Les marques de mode émergentes Mansour Martin et Alexandre Blanc se propulsent vers l'avenir avec le soutien du showroom Sphère
Pas facile d'être un jeune créateur aujourd'hui, surtout en temps de pandémie. Pour renforcer leur visibilité, les marques Mansour Martin et Alexandre Blanc ont intégré le showroom Sphère mis en place par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Retour sur une expérience entamée en 2020.
Outre les 93 créateurs inscrits au calendrier de la Paris Fashion Week, d'autres dévoilent leur travail dans des showrooms. Après l'incubateur "Designers Appartment", depuis janvier 2020 "Sphère. Initiatives marques émergentes" apporte son soutien à de jeunes marques, sélectionnées pour leur créativité et leur potentiel de développement à l'international. Celles que la Fédération de la Haute Couture et de la Mode accompagne bénéficient de soutiens financiers et d’expertises leur permettant d’anticiper les différentes étapes de leur croissance.
Un "showroom digitalisé"
Les maisons choisies sont déjà dans une phase de développement, indique Serge Carreira, responsable du showroom : "nous sélectionnons des maisons structurées avec déjà des équipes commerciales et de communication". Sphère les accompagne par la mise en place d'opérations spécifiques de communication et elles bénéficient de la visibilité de la Fédération via ses outils (site web, réseaux sociaux). En 2020, le digital a été particulièrement soutenu, indique l'homme, qui enseigne à Sciences Po : "Nous leur avons très rapidement donné la possibilité d'intégrer gratuitement un showroom digitalisé. Si les créateurs ne reçoivent pas d'aides financières directes, ils bénéficient de prestations comme l'appui d'une personne pour leurs commerciaux, de même que de dispositifs juridiques pour les aider dans leur développement, par exemple en direction de l'Asie". Un showroom où règne "une forte solidarité entre les créateurs qui ont bien échangé entre eux" et où "80% des créateurs sont inscrits dans le calendrier", précise Serge Carreira.
Quatre fois par an, Sphère, qui regroupe une vingtaine de créateurs, propose des marques masculines, féminines ou mixtes. La version online a débuté le 20 janvier 2021 avec une session de huit créateurs masculins (dont Mansour Martin), suivie le 3 mars d’une session de six créateurs féminins (dont Alexandre Blanc).
Retour d'expérience à Sphère
En 2019, Mansour Badjoko et Martin Liesnard lancent le label Mansour Martin, offrant des collections "genderless" - pour homme qui s’adressent aussi aux femmes-. Une mode durable et respectueuse avec des inspirations pop, urbaines et culturelles.
Alexandre Blanc, lui, fonde sa maison, en 2018. Inspiré par la peinture, il réalise au pinceau ses imprimés qu'il fait reproduire sur des soies. Les pièces sont pensées pour durer, les coupes sont travaillées dans de belles matières intemporelles "un peu comme on faisait avant". Ces deux marques tirent déjà des enseignements de leur présence à Sphère depuis 2020. Rencontre.
Franceinfo culture : Quels ont été les points négatifs et les enseignements positifs de l'année 2020 ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : 2020 nous a forcés à nous adapter rapidement et à pousser davantage notre réflexion sur l’éco-responsabilité, dynamique intrinsèque à l’ADN de notre marque. Nous fabriquons désormais la plupart de nos pièces, vendues sur notre site internet, à la demande. Nous avons compris que ce mode de production nous permettrait de faire face à cette crise, si nous étions capables de l’assouplir et de le renforcer. C’est ce que nous avons fait. Nos ateliers de production ont vu leurs fonctionnements chamboulés. Nous avons renforcé l’équipe de nos couturiers indépendants à Paris et à Bruxelles. Ils étaient partants pour travailler de chez eux et nous avons donc pu maintenir leur activité et la nôtre, dans le respect des règles sanitaires. Cela a valorisé leur travail et savoir-faire : nous communiquons sur cette démarche auprès de nos clients, et cela s’inscrit dans notre démarche communautaire. Dans la mode, la lumière est trop souvent braquée sur le designer, or, on n’aboutit pas à un vêtement fini sans un travail d’équipe. Pour compléter cette démarche, nous avons sensibilisé nos clients aux matières éco-responsables - sourcées à travers l’Europe - que nous utilisons. Durant cette période tout s’est digitalisé très vite mais nous avons tout de même hâte de retrouver un rapport plus humain, d'aller à la rencontre de nos partenaires et fournisseurs, de présenter physiquement notre travail.
Alexandre Blanc : Cela c’est passé en deux temps. Je travaille comme consultant pour financer mes collections et comme beaucoup de créateurs, il est quelquefois difficile de jongler avec un emploi du temps. Le premier confinement fut l’occasion de prendre le temps de faire les choses correctement : j'ai entrepris la réalisation d’un dessin d’imprimé très précis que j’ai mis deux mois à mettre au point. De ce côté, ce fut très positif. Le point négatif fut surtout financier : comme beaucoup, j’ai subi des annulations de commandes après le showroom de mars 2020. Ce fut un manque à gagner important suite aux frais engendrés par les achats de matières. Le rythme collection/showroom/livraison était devenu intenable et dans une certaine mesure la crise de 2020 a aussi permis de réfléchir à de nouveaux systèmes, une fois libérés des anciens schémas trop contraignants.
Quels sont les critères de sélection pour intégrer Sphère ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : Pour postuler, vous devez avoir constitué une organisation et une équipe capable d’assurer les ventes et la visibilité des collections. Nous avons rencontré les équipes de Sphère lors du lancement de notre première collection en 2019.
Alexandre Blanc : Il faut être une jeune marque émergente et passer devant une commission pour justifier d'un certain chiffre d'affaires, d'une collection construite, d'être assez autonome. C'est aussi important d'avoir son commercial, ses usines et d'avoir déjà effectué un cycle complet de collection (création, vente, production et livraison).
Pourquoi avez-vous rejoint ce showroom ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : Être chez Sphère, c’est l’opportunité d’être reconnu et visible par le biais d’une institution historique et de référence qu’est la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Le rayonnement est à la fois local et international. C’est une réelle première étape pour démarrer et se préparer, avant de passer aux suivantes que sont, par exemple, les présentations au sein du calendrier officiel des Fashion Weeks. L’équipe de Sphère nous apporte sa bienveillance et son expertise pour nous accompagner sur des sujets auxquels les jeunes marques sont confrontées : construction de l’offre, des outils commerciaux, optimisation de l’organisation…
Alexandre Blanc : Avant je présentais seul dans un appartement que je louais. Serge Carreira m’a convaincu de participer pour la première fois en mars 2020 : la sélection des autres créateurs et le dynamisme de l’équipe m’ont séduit. C’est un showroom très professionnel.
Êtes-vous lié pour une période déterminée ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : Nous sommes libres de nous orienter vers d’autres showrooms quand nous le souhaitons. Nous savons que nous pourrons toujours compter sur le soutien de l’équipe au-delà de cette expérience. D’ailleurs, elle nous conseille - et est présente même hors période des Fashion Weeks - sur la globalité des sujets liés à notre développement.
Alexandre Blanc : Il y a un engagement moral. Sphère a été créé pour aider les créateurs émergents mais ils doivent en retour assurer la livraison des boutiques, et participer au sérieux de ce showroom. Il est conseillé de s’engager sur deux ou trois saisons. En revanche au-delà d’un certaine chiffre d’affaire, il faut voler de ses propres ailes et laisser sa place aux nouveaux arrivants [les créateurs ne peuvent pas dépasser six saisons].
Quels sont les accompagnements et les soutiens proposés ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : Sphère nous aide au développement de notre réseau de distribution en nous transmettant les connaissances, les bons réflexes et les outils nécessaires, comme pour une grande marque plus établie. Habituellement, il est organisé au Palais de Tokyo. Pour des créateurs, c’est l’endroit rêvé pour y présenter leurs collections. Nous y accueillons les acheteurs que nous avons nous-même démarchés. Sphère organise aussi des rendez-vous transverses : nous bénéficions tous [l'ensemble des créateurs de Sphère] du trafic généré par le showroom mais aussi par celui réalisé par les autres marques, dans un esprit collectif. Sphère nous permet de nous rencontrer entre créateurs et de tisser des liens, de pouvoir s’entraider. Les ventes que nous réalisons sont exemptées de commissions. De plus, l’accès au showroom ainsi qu’aux outils nécessaires à son déroulement sont offerts par la Fédération, ce qui constitue aussi une réelle aide financière pour démarrer. Enfin, nous bénéficions d’une visibilité auprès des journalistes et des personnalités du secteur : bureaux de presse, partenaires de production, logistique, conseillers en développement, artistes… C’est un excellent tremplin pour se lancer et se consolider en tant que jeune marque. On se sent très vite moins seul et plus solide.
Alexandre Blanc : Cela fonctionne sur un partage solidaire des rendez-vous : un acheteur vient voir la collection d'un créateur et l'équipe de Sphère en profite pour lui proposer de voir les autres marques. L'union fait la force. Nous bénéficions d'un soutien matériel pour faire les photos pour le "New Black" (plateforme qui permet aux acheteurs de voir les collections en ligne) mais aussi de conseils spécialisés en merchandising. Le suivi est très personnalisé. Sphère apporte un soutien financier par la gratuité de certains services, son réseau, par la possibilité d'avoir accès à des boutiques et aussi le gage de qualité que représente cette institution.
Quelles sont les actions que vous n'auriez pas mises en place si vous n'étiez pas intégré ce showroom ?
Mansour Badjoko et Martin Liesnard : La situation actuelle nous a obligé à passer en format digital. La Fédération a été ultra réactive : Sphère s’est transformé en showroom digital et nous a permis de bénéficier des services de Le New Black et de Grand Shooting (photos réalisées pour les ventes online). Nous avons pu présenter nos collections sur le showroom virtuel avec les mêmes typologies de contenus et les mêmes services que de grandes marques établies. Même si nous avons hâte de présenter nos collections physiquement, ce format nous a beaucoup aidé pour concrétiser des partenariats durant cette période inédite. Par exemple, en France, nos collections sont désormais disponibles sur le site du Printemps.com et chez BDC, boutique située rive gauche à Paris. Enfin, nous avons été informés et conseillés au sujet des mesures légales et d’aides pour les entreprises grâce au département juridique de la Fédération. Des séminaires nous ont également permis de nous adapter à la situation : sourcing tissus, communication, logistique. Nous n’aurions pas pu être autant réactifs par nos propres moyens.
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Alexandre Blanc : Je pense que je n'aurai certainement pas été présent sur la plateforme Le New Black qui permet de montrer les collections en ligne aux boutiques, qui ne vont pas se déplacer cette saison. Dans une année particulièrement incertaine, où nous devons adapter nos pratiques commerciales, cet accompagnement est d'autant plus utile pour une jeune marque comme la mienne.
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