Fashion Week : Pierre-François Valette s'inspire de Françoise Sagan pour revisiter le vestiaire masculin et lui donner un souffle nonchalant
La jeune marque Valette Studio, née en 2020, a signé le 17 janvier son sixième défilé dans le calendrier officiel de la Paris Fashion Week masculine automne-hiver 2023-24, qui comprend 80 créateurs cette saison.
Après un début de carrière dans la musique classique et des collaborations avec le chef William Christie et l’artiste William Kentridge, Pierre-François Valette étudie le droit avant de se tourner vers la mode. Il présente sa première collection Valette Studio en janvier 2020. La marque - qui réinterprète le vestiaire masculin en respectant une construction classique qu’il assouplit pour une allure plus contemporaine - a présenté sa sixième collection.
Outre cette collection présentée le 17 janvier dans le calendrier de la Paris Fashion Week masculine, Valette Studio est aussi au showroom "Sphère, initiatives marques émergentes" qui apporte son soutien à de jeunes marques, sélectionnées pour leur créativité et leur potentiel de développement à l'international. Celles que la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM) accompagne bénéficient de soutiens financiers, d’expertises et de la visibilité de la Fédération. Valette Studio et sept autres créateurs - Arturo Obegero, Christoph Rumpf, Jeanne Friot, Louis Gabriel Nouchi, Ponder.er, Steven Passaro et Uniforme - présentent leur travail du 18 au 22 janvier 2023 au Palais de Tokyo.
Rencontré à quelques jours de son défilé automne-hiver 2023-24, Pierre-François Valette revient, sans nostalgie, sur le chemin parcouru par sa jeune maison et ses projets d'avenir.
Franceinfo culture : vous avez créé votre marque en 2020 pendant le Covid ?
Pierre-François Valette : c'était juste avant le Covid, puisqu'on a présenté la première collection en janvier 2020, puis tout a fermé en mars. L'idée était de lancer une entreprise mais surtout de faire une collection après avoir remporté le concours de la Saint Laurent Couture Institute. La direction du prêt-à-porter de cette maison m'avait conseillé de le faire.
On ne s'est pas dit "zut notre entreprise ne va pas fonctionner" mais plutôt "on va attendre, on va trouver des solutions et on fera une collection quand on le pourra". On ne l'a pas vécu de manière trop dramatique mais on l'a ressenti plus tard quand même, au bout de trois collections. C'était plus lent à décoller au niveau des acheteurs qui étaient moins venus à Paris.
Avant de vous lancer dans la mode, vous avez fait du droit, entre autres ?
J'ai fait du droit. Quand j'ai eu ma licence, je me suis rendu compte que je n'arrivais pas trop à m'y exprimer. J'ai toujours été passionné par le vêtement : je trouve que c'est un moyen d'expression super, il a une vie et accompagne les gens. J'ai alors fait la Chambre syndicale de la couture parisienne [désormais IFM], avec en deuxième année un stage chez Isabelle Marant où j'ai beaucoup appris sur le processus de création. A l'issue du master, en 2018, j'ai fait un stage chez Saint Laurent et participé à la Saint Laurent Couture Institute. C'est un programme de formation de découverte de la maison avec un concours pour lequel on doit réinterpréter un vêtement du vestiaire Saint Laurent et le remettre au goût du jour. Avec mon jumpsuit [combinaison], en flanelle rayures tennis, j'ai remporté le concours en 2019.
Qu'est-ce qui vous motive ?
Je me suis lancé avec des personnes qui m'accompagnaient déjà et d'autres qui se sont agrégés au mouvement, non révolutionnaire bien sûr (sourires). Je parie beaucoup sur le collectif, mon équipe, c'est une grande histoire de famille et d'amis : Denise, par exemple, était à l'atelier Saint Laurent pendant 35 ans et au moment de sa retraite, elle est venue m'aider, avec ses idées, son oeil, son expérience...
Je me suis dit "j'ai plein d'idées" : les années 70/80, le constructivisme, les artistes de l'ex-URSS. C'est un peu ce qui me motive : une subculture [sous-culture], un courant, une époque, un mouvement artistique, une personnalité qui me fascine. Cette saison, ma collection automne-hiver 2023-24 est inspirée par Françoise Sagan. Je suis au calendrier masculin mais je vends beaucoup à la femme aussi. Ma collection est complètement unisexe et je pense que ce n'est plus trop un sujet aujourd'hui : par exemple, un très beau pantalon tailleur masculin sur une femme, ce n'est qu'une question de longueur.
Comment définissez-vous Valette Studio ?
Son ADN, c'est Paris. Mon idée, en plus des années 70/80 très Saint Laurent finalement, c'est le salon de couture, les prises de mesure. L'identité de ma marque, c'est le tailleur cool par la matière, la coupe et l'allure. C'est l'aisance, pour ne plus porter la chemise qui nous étrangle, c'est enfiler un pantalon ample. C'est un travail sur tout un look, une attitude, une manière d'être.
Vous avez intégré rapidement la Paris Fashion Week ?
Notre grande chance a été de rentrer directement au calendrier de la PFW en janvier 2021 pour notre deuxième collection puis d'enchaîner avec le showroom Sphère en juin 2021 pour notre troisième collection.
Pour la première collection, j'avais énormément de références pour une jeune collection, quasiment une centaine. J'étais accompagné par des chefs d'atelier de Balenciaga, des anciens de chez Saint Laurent, des anciens de l'école, des amis. Pour cette sixième collection, on s'est dit on va faire moins de références mais j'ai toujours été boulimique. J'ai appris depuis que cela n'est pas forcément bien !
Que propose la FHCM à un créateur qui intègre le showroom Sphère ?
Déjà, quand on est rentré au calendrier on a vu la différence. Sphère, c'est un accompagnement : le showroom propose le stand, un endroit pour défiler, le personnel pour nous accompagner, des commerciaux qui ouvrent les portes des plateformes de vente, des shootings.... Son action est très concrète. L'objectif est qu'on construise quelque chose de solide. De facto, le jeune créateur fait une présentation. Un défilé, c'est un budget énorme : pour le moment je suis lucide, il faut mieux y aller doucement.
Vous avez une démarche de production responsable ?
C'est quelque chose de très tendance aujourd'hui mais j'avais mis en place le côté responsable dès le début : je travaille avec un ami qui rachète les tissus inutilisés des grandes maisons. C'est une démarche sustainable [durable] ces tissus de seconde main et avoir des stocks, c'est mieux, car ce tissu ne peut pas être commandé indéfiniment. Par exemple, 100% de la première collection a été réalisée avec ces tissus.
Pour les collections suivantes, on a réduit l'emploi du tissu de seconde main en travaillant avec des entreprises italiennes proposant des tissus détissés et retissés, à l'origine d'une nouvelle matière. Côté production, on travaille avec l'Europe de l'est et l'Italie. La fabrication est réalisée à Paris et dans le Sud-Ouest, la maille dans le Sud de la France. La production du cuir et du jean en Afrique du Nord.
Cette collection automne-hiver 2023-24 est inspirée par Françoise Sagan. Pourquoi ?
Françoise Sagan est quelqu'un que je trouve rassurant alors que d'autres pourraient la trouver anxiogène. En même temps, elle colle parfaitement à l'identité Valette Studio, du parisien pop. On n'est pas loin, quand même, du côté bourgeois décadent, bien que je ne pense pas avoir une identité décadente mais un peu rock, nonchalante. Je propose un tailleur cool, un peu négligé, dans lequel personne n'a envie de souffrir... c'est cela, Sagan.
Au point de vue de sa personnalité, c'est un chemin de vie [la collection s'intitule Vivre], une philosophie, une prise de risque, je ne sais pas si j'aurais été capable de faire comme elle. C'est plutôt pas mal de lui rendre hommage, c'est l'écrivain français qui a vendu le plus de livres de l'histoire.
J'avais travaillé sur le dandy à l'école - même si je n'utilise plus trop ce terme car cela fait peur aux gens. Pour moi Serge Gainsbourg est le plus grand des dandys. Sagan, c'était aussi cet univers.
Quelles sont les pièces de cette garde-robe ?
Avec la situation mondiale et les prix qui ont explosé, côté matières on a aussi un peu ressorti des stocks de tissus pour réaliser de grands manteaux sans doublure, comme des plaids, des matières assez molles... j'imagine Sagan au coin du feu enroulée dedans. Il y a des bombers avec des broderies dont le V de Valette Studio, un imprimé dessin d'un visage en trait continu, des blousons, des grandes combinaisons, des pantalons très larges, des grands hoodies [sweats à capuche].
Chez Sagan, il y a un côté tailleur un peu austère mais aussi un côté madame avec les perles : on n'utilise pas vraiment les perles mais les studs [clous] sur de gros pulls, on a la chemise blanche classique, un top sans manche en crêpe de soie avec un col lavallière, des grandes robes qui m'évoquent Sagan à Cannes, que pourrait porter au défilé Violetta Sanchez, la grande égérie Saint Laurent. Il ne faut pas oublier le pantalon de jogging avec tous les détails tailleur décliné dans plein de tissus, le pantalon taille haute, la saharienne, la veste sans bouton, la combinaison, le hoodie avec sa tête brodée ton sur ton dans le dos ainsi que des bijoux. Cette saison, on n'a que deux imprimés exclusifs.
La précédente collection a été vendue en Australie, aux États-Unis, à Paris, à Lyon et sur des plateformes. Côté prix, il faut compter pour un manteau 1000-1400 euros, un blouson 150 euros, un pantalon 290 à 550 euros, une chemise 250 à 400 euros, la maille 400-690 euros, un t-shirt 95 euros.
Comment voyez-vous votre futur ?
Je me vois continuer à faire des collections, faire du sur-mesure, développer mon équipe, changer de studio, avoir un peu plus de temps pour aller aux musées et pourquoi pas gagner des concours car nous n'avons pas beaucoup d'aide dans la mode !
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