"C'est l'appel d'une grande dame qui a beaucoup souffert" : le créateur Jean-Charles de Castelbajac a conçu les vêtements et ornements liturgiques de Notre-Dame de Paris

C'est son troisième chapitre avec l'Église. En 1987, l'artiste rencontre le comité d'art sacré pour la célébration de la messe dans les prisons, puis, en 1997, signe le vestiaire liturgique arc-en-ciel porté par le pape Jean Paul II aux Journées mondiales de la jeunesse.
Article rédigé par Corinne Jeammet - propos recueillis par
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Le créateur français Jean-Charles de Castelbajac avec un des vêtements liturgiques que porteront évêques, prêtres, diacres et chanoines pour la célébration des messes lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris, en décembre 2024. (PHILIPPE GARCIA)

Le créateur français Jean-Charles de Castelbajac – ancien directeur artistique de Benetton jusqu'en 2022 – a dessiné les vêtements et ornements liturgiques que porteront évêques, prêtres, diacres et chanoines pour la célébration des messes et des offices lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris prévue les samedi 7 et dimanche 8 décembre.

"On voulait de la simplicité, de l'humilité, un langage universel. Cela a été fait de concert avec Monseigneur Ribadeau Dumas et le Père Guillaume Normand et ceux qui m'ont accompagné sur ce beau projet. Ce qui m'émeut et remplit mon cœur de joie, c'est que ce n'est pas juste pour la réouverture. C'est pérenne. Je viens de créer tous les vêtements de fête de Notre-Dame dans le futur", constate l'artiste.

Après ces cérémonies qui s'étendront jusqu'à la Pentecôte 2025, ce vestiaire sera utilisé lors des grandes célébrations – Noël, Pâques, Toussaint... – et des ordinations de prêtres.

"Cette paramentique est porteuse de l'histoire de Notre-Dame et de toute sa dimension solennelle, épique, téméraire et courageuse. C'est un message pour dire aux jeunes générations, n'ayez pas peur, essayons d'avoir beaucoup d'espérance au travers de cette renaissance de Notre-Dame", ajoute-t-il encore lors d'une interview accordée à franceinfo Culture, le 27 novembre 2024.

Présentation des dessins de Jean-Charles de Castelbajac réalisés pour la paramentique de Notre-Dame de Paris, novembre 2024. (JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC)

Connu, entre autres, pour ses dessins d'anges aux visages doux, le styliste a rejoint, en 2024, l'atelier de Notre-Dame en charge du réaménagement de la cathédrale ravagée par un incendie le 15 avril 2019.

Réalisés par des maisons d'artisanat françaises et offertes par mécénat, les vêtements de l'archevêque, des prêtres et des diacres sont ourlés de galons en couleurs primaires.

Une collaboration avec les maisons d'art résidentes du 19M

Ces chapes, mitres, étoles, chasubles et dalmatiques ont vu le jour grâce aux savoir-faire des maisons d'art du 19M : Lesage, Goossens, Paloma, Atelier Montex et Maison Michel.

"J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec l'équivalent des compagnons, mais dans les métiers d'art avec ce 19M remarquable ! Florence Dennetière, qui le dirige, m'a ouvert les portes des ateliers". Cette restauration a nécessité la convergence de différents talents : "Tous ces métiers sont entrés au service de Notre-Dame, aux côtés des tailleurs de pierre et de ceux qui font des vitraux pour s'inscrire dans la marche du temps. C'était émouvant de voir toutes ces personnes multiconfessionnelles travailler ensemble. Une longue chaîne de l'intelligence de la main, de générosité, d'esprit et d'artistes qui ont contribué à la faire vivre", souligne le créateur.

La paramentique, un vestiaire codifié

En effet, 250 entreprises et des centaines d'artisans d'art ont participé à ce titanesque chantier de restauration. Pour Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de Notre-Dame, le vestiaire liturgique créé répond en tout point au cahier des charges : "La noble simplicité à la hauteur de la beauté et de la sobriété de la cathédrale." Pour le styliste, il était important "de parler aux jeunes générations, de parler de Notre-Dame dans l'histoire, de sa dimension séculaire de cristallisation et de spiritualité dans le futur".

Les vêtements et ornements liturgiques, créés à l'occasion des célébrations de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, "veulent honorer la noble simplicité de la liturgie, la solennité du lieu et du moment ainsi que l'élan d'une création contemporaine".

Une mitre conçue par Jean-Charles de Castelbajac et Maison Michel pour Notre-Dame de Paris, 2024. (ALIX MARNAT)

Lors de la messe, les évêques et les prêtres revêtent une étole, large bande de tissu portée autour du cou descendant le long du corps et par-dessus, une chasuble, large manteau recouvrant le corps. Les diacres, eux, portent une étole de l'épaule gauche à la hanche droite ainsi qu'une dalmatique, longue tunique à manches. Pour les autres célébrations, on utilise la chape qui a la forme d'une grande cape.

De couleur blanche, ces vêtements sont utilisés pour les célébrations liturgiques festives (Noël, Pâques, Toussaint, les fêtes de la Vierge Marie par exemple). La croix dorée de Marc Couturier, l'éclat de la lumière colorée des vitraux et le rayonnement sont les trois éléments structurant l'ensemble de chasubles préparées pour cette réouverture.

Entre mode, design et art, l'œuvre pluridisciplinaire avant-gardiste de Jean-Charles de Castelbajac est marquée notamment par l'héraldique, la science du blason, et le pop art autour des couleurs primaires (bleu, jaune, rouge).

Des couleurs qu'il affectionne depuis toujours, depuis la pension quand il allait à la messe tous les jours : "C'était mon doudou, mon objet transitionnel. Ces couleurs m'ont accompagné toute ma vie. Mais c'est aussi les couleurs du temps liturgique : le rouge du sang du Christ, le vert de l'espérance, le bleu symbolise l'eau ainsi que le jaune et l'or pour la puissance et la gloire du Christ. C'est un langage universel. Je ne suis qu'un révélateur, qu'un lien entre l'Église et des millions de personnes qui seront là", précise-t-il.

Un créateur avant-gardiste passionné d'histoire

Pour ce troisième chapitre avec l'église, le styliste a réinventé avec des couleurs les capes, chasubles, étoles et dalmatiques des officiants : "En 1987, c'était avec Anish Kapoor et Garouste pour le comité d'art sacré pour la célébration de la messe dans les prisons. Cela a été ma première rencontre et ma première émotion. Une expérience incroyable. En tout cas, c'est toujours lié à cette dimension de l'art sacré", explique Jean-Charles de Castelbajac. En 1997, il signe le vestiaire liturgique arc-en-ciel porté par le pape Jean Paul II, les évêques et les prêtres aux Journées mondiales de la jeunesse.

Une commande différente des deux précédentes puisqu'elle ressemble, pour lui, à un accomplissement : "C'est l'appel d'une grande dame, qui a beaucoup souffert. Lorsque j'étais jeune provincial à l'âge de 17 ans, Notre-Dame était un refuge spirituel. J'ai trouvé l'inspiration de mon style puisqu'il y avait une chemise de Saint-Louis, qui est toujours dans le Trésor, devenue un peu mon totem. C'est aussi le lieu où, plus tard, j'ai pensé que j'avais fermé une boucle lorsque le pape Jean Paul II a donné sa chasuble au Trésor de Notre-Dame et à sa mort, elle est devenue une relique lorsqu'il est devenu Saint."

Jean-Charles de Castelbajac s'est laissé guider par le thème de la lumière et du rayonnement. Les symboles qu'il utilise exprimant la vitalité et le dynamisme de l'Évangile. Sur la chasuble créée pour l'archevêque, la croix dorée concentre des éclats colorés. Le positionnement des éclats suggère le foyer d'un mouvement qui tend à se diffuser.

"Mon premier geste créatif a été cette croix d'or avec ses étincelles, ses rayonnements de couleurs. Je la voulais contemporaine et symbole d'espérance pour parler de joie de vivre ensemble aux communautés du monde. Notre-Dame est un lieu universel" souligne-t-il.

Des techniques immémoriales rencontrent flocage et matelassage

Le créateur a voulu quelque chose de solennel et d'une grande simplicité mais "avec du contemporain dans les techniques. J'ai dit aux brodeurs que je voulais mettre en place sur cette structure épique, presque chevaleresque, des techniques que je connais depuis très longtemps puisqu'elles sont celles qui viennent de l'univers du sportswear. Se rencontrent ainsi des techniques immémoriales – comme la broderie de paillettes martelées – avec le flocage et le matelassage pour apporter de la modernité" précise-t-il.

Parmi ces pièces, il reconnaît qu'il préfère par-dessus tout "le Chrisme. Ce symbole, qui représente le Christ, a été utilisé à partir du IIIe siècle avant Jésus-Christ et malgré ces 17 siècles d'âge, il me paraissait d'une modernité incomparable. Il ressemble à une petite étoile, avec comme une épée au centre à la convergence d'un X et d'un P. Je l'ai transformé en rouge, bleu, jaune et or. J'aime cette idée d'avoir réussi à électriser l'histoire, à redonner une renaissance à des symboles qui n'étaient plus tellement usités", souligne le créateur avant de conclure : "Maintenant, il faut attendre le jour de convergence. C'est ma plus grande émotion."

Sur la chape de l'archevêque, les artisans de la maison Lesage ont brodé une croix au crochet de Lunéville, un savoir-faire ancien requérant une grande maîtrise, car il nécessite de travailler sur l'envers. (ALIX MARNAT)

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