Notre-Dame de Paris : de l'incendie à la réouverture, les grandes étapes d'un chantier hors norme
Le relèvement de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en partie ravagée par le tragique incendie du 15 avril 2019, aura été effectué dans un délai "audacieux", soulignait Philippe Villeneuve, son architecte en chef. Ce chantier exceptionnel, chapeauté par l'établissement public "chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame", a été mené en un temps record. À savoir cinq ans, la période fixée par le président Emmanuel Macron que beaucoup avaient jugés intenable.
Le chef de l'État, qui effectue vendredi 29 novembre une dernière visite sur le chantier, exprimera son satisfecit lors de l'office de réouverture qui se tiendra dans l'après-midi du samedi 7 décembre. "Le président de la République prendra la parole pour dire : nous avons tenu le pari" d'une réouverture en cinq ans, affirmait Mgr Laurent Ulrich, l'archevêque de Paris, en donnant les grandes lignes des festivités il y a quelques semaines.
La reconstruction se sera faite en deux étapes majeures. D'abord, la sécurisation qui a démarré dès le lendemain de l'incendie. Elle prendra fin l'été 2021 pour laisser place à la restauration. Les défis architecturaux de ce chantier exceptionnel provoqueront quelques polémiques. Parmi elles, celles relatives à la reconstruction de la flèche ou encore à l'aménagement intérieur de la cathédrale. La destruction partielle de la cathédrale aura aussi permis de faire une trouvaille majeure, celle du Jubé de Notre-Dame, une tribune en pierre ornée de statues. Redonner son lustre à cet emblème de l'architecture gothique a été aussi une aventure humaine et familiale qui sera marquée par des deuils. De l'incendie à la réouverture de la cathédrale, franceinfo Culture a remonté le temps.
Des flammes dévastatrices
L'incendie a pris aux alentours de 18h50, le 15 avril 2019. Il démarre dans les combles de l'édifice et embrase la charpente du chantier de la restauration de la flèche qui était en cours. Maîtrisé au bout de quatre heures, il a détruit d'importants éléments architecturaux. Parmi eux, la charpente en chêne qui comprend notamment la "forêt" édifiée au début du XIIIe siècle, ainsi que la couverture en plomb.
Les flammes provoqueront également la chute de la flèche en chêne construite au XIXe siècle par l'architecte Viollet-le-Duc et l'entreprise Bellu. Elle cède peu avant 20h, le 15 avril 2019. "'Avec la flèche, c'est l'expression d'une grande idée qui est tombée', n'a pas manqué de relever Adrien Goetz dans l'ouvrage fervent que lui a inspiré le sinistre", rappelle Philippe Bélaval, l'ancien président du Centre des monuments nationaux, dans son livre Notre-Dame (Presse de la cité). La chute de la flèche détruira une partie des voûtes. Leurs maçonneries ont été également imprégnées par l'eau déversée par les pompiers. Par ailleurs, "la combustion du bois au sol de la nef et de la croisée a détruit les sols et répandu des poussières dans tout l'intérieur de la cathédrale". Enfin, l'échafaudage, construit pour restaurer la flèche dont le chantier est en cours au moment de l'incendie, est fragilisé.
La reconstruction ne peut démarrer sans ces travaux de sécurisation et de consolidation. Elle sera interrompue l'été 2019 en raison du risque lié au plomb contenu dans la toiture de la cathédrale. Il a fondu et s'est répandu dans l'édifice et ses alentours. Nouvelle interruption au printemps 2020 à cause du confinement lié au Covid-19. Entamé sous la maîtrise d'ouvrage de la Drac d'Île-de-France, le chantier se poursuivra à compter du 1er décembre 2019, sous celle d'un établissement public dédié à la reconstruction de Notre-Dame.
Un vaste élan de générosité
L'incendie de Notre-Dame de Paris et le choc provoqué donnent lieu à un impressionnant élan de solidarité en France et à travers le monde pour aider à financer la reconstruction de cet emblème de l’architecture gothique : 846 millions d'euros sont récoltés en quelques jours grâce à des grandes entreprises, de riches mécènes et des particuliers plus modestes. Au total, Notre-Dame a mobilisé 340 000 donateurs dans plus de 150 pays. Emmanuel Macron avait lancé une souscription nationale au lendemain de l’incendie de la cathédrale.
Un établissement dédié pour un chantier inédit
"Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore et je veux que ce soit achevé d'ici cinq années. Nous le pouvons et, là aussi, nous mobiliserons", avait déclaré Emmanuel Macron au lendemain de l'incendie. La mobilisation passe par la mise en place d'un établissement public dont la mission est d'assurer la conservation et la restauration de Notre-Dame. Prévu par la loi du 29 juillet 2019, il est créé le 1er décembre 2019. Au lendemain de l'incendie, le général Jean-Louis Georgelin est nommé représentant spécial du président de la République "en charge de veiller à l'avancement des procédures et des travaux qui seront engagés pour la restauration de la cathédrale". Le 2 décembre, il prend la tête de l'établissement public. L'ancien chef d'état-major des armées estime que sa nouvelle charge est une "mission de combat", confie-t-il au Télégramme. À la disparition brutale de l'officier en août 2023, son bras droit, Philippe Jost prend sa suite à la tête de l'établissement.
La sécurisation avant la restauration
Au lendemain de l'incendie, le chantier de la sécurisation est mis en place dès l'extinction de l'incendie. Ainsi, 1 300 œuvres seront mises à l'abri alors même que les pompiers tentent de sauver la cathédrale du feu. Dans les précieux décombres de Notre-Dame, un travail de déblaiement, de tri et d'inventaire des vestiges est effectué pendant deux ans. Le cintrage des arcs-boutants, qui contrebalancent le poids que la voûte et la charpente exercent sur les murs en créant une poussée équivalente, est une opération indispensable. Elle est menée entre juillet et décembre 2019. Vingt-huit cintres – lourdes structures en charpente – vont soutenir les arcs-boutants en les déchargeant de leur propre poids en annulant la poussée qu'ils exercent. Une opération délicate, qui va se dérouler entre juillet et novembre 2020, est le démontage de l'échafaudage servant à la restauration de la flèche que l'incendie a mis à mal. Au total, 40 000 pièces sont à démonter.
Autres travaux d'ampleur : la consolidation des voûtes gorgées d'eau (juillet 2020-août 2021), la dépose du grand orgue miraculeusement sauvé mais plein de poussière (août-décembre 2020) et le montage des échafaudages intérieurs. Ces derniers constitueront un support pour les bois qui soutiennent les voûtes et permettent d'accéder au sol et à toutes les parois de la cathédrale (octobre 2020-mars 2021). Enfin, la sécurisation de la croisée du transept, menée de décembre 2020 à août 2021, "signe la fin de la phase de sécurisation de la cathédrale", rappelle-t-on sur le site de l'établissement public.
De septembre 2020 à avril 2021, la restauration est testée dans deux chapelles de la cathédrale et leurs travées adjacentes : la chapelle Saint-Ferdinand, dans le chœur de la cathédrale, et la chapelle Notre-Dame-de-Guadalupe, dans la nef. "Nous arrivons à un point critique de l'histoire du chantier, c'est-à-dire à l'horizon de l'été, à la fin de la phase de sécurisation", confiait alors le général Georgelin sur France Inter en avril 2021, en annonçant le démarrage des travaux de restauration pour la fin de l'année 2021. Au total, plus de 100 marchés de travaux sont nécessaires pour couvrir la restauration de la cathédrale. La majorité de ces marchés a été attribuée de l'automne 2021 à la fin 2022.
Le nettoyage de l'orgue, début du chantier de la restauration
Les opérations de restauration sont lancées à l'automne 2021. Elles démarrent avec le nettoyage – après démontage – de l'orgue composé de 8 000 tuyaux répartis en 115 jeux, ce qui en fait le plus grand instrument de France par le nombre de jeux. Il résonne dans la nef de Notre-Dame depuis 1773. Le chantier, confié à trois groupements de facteurs d'orgue, est impressionnant.
L'emblématique reconstruction de la flèche et du transept
Les charpentes en chêne et les couvertures en plomb de la nef, du chœur, du transept et de la nef de Notre-Dame de Paris ont été détruites par l'incendie. Après une vive polémique, il est décidé qu'elles seront reconstruites à l'identique. L'opération consiste à la fois en la reconstruction de la flèche et du grand comble du transept ainsi qu'à celle du grand comble de la nef et du chœur, dont les charpentes dataient du début du XIIIe siècle. Les travaux sont entamés à l'automne 2022 après des opérations d'approvisionnement en chênes démarrées en janvier 2021, puis en pierre, à partir de mars 2022, pour les maçonneries.
L'élévation de l'échafaudage de la flèche jusqu'à sa hauteur maximale, 96 m, s'effectue en novembre 2023. Un mois plus tard, c'est la fin du montage de l'aiguille de la flèche. La cathédrale retrouve peu à peu sa silhouette avec l'achèvement, vendredi 1er décembre 2023, de la charpente de la flèche, désormais visible dans le ciel parisien. Au sommet de la flèche, la croix est de retour. À l’instar du coq qui a également retrouvé sa place au sommet de Notre-Dame de Paris dans l'après-midi du vendredi 15 décembre 2023. Béni au sol plus tôt par l'archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, ce nouveau coq doré, a été dessiné par l'architecte en chef des monuments historiques français Philippe Villeneuve. Pour l'architecte, le gallinacée "aux ailes de feu" rappelle "que la cathédrale peut renaître de ses cendres tel le phénix".
La reconstruction des voûtes
Il faut éliminer la poussière de plomb dispersée après l'incendie : parois, peintures murales, statues en pierre sont nettoyées permettant de décrasser le monument. Les opérations commencent à partir de janvier 2022. Quant aux garde-corps (tribunes autour du vaisseau central), ils sont restaurés en atelier.
La restauration des voûtes et des maçonneries démarre également en janvier 2022. Les voûtes effondrées (dans la nef, le bras nord du transept et la croisée du transept) sont reconstruites. Les pierres fragilisées par l'incendie (murs bahuts, murs pignons et voûtes de la nef, du chœur et des deux bras du transept) sont consolidées ou remplacées.
Un nouveau système anti-incendie et un nouveau mobilier
Toutes les installations techniques de la cathédrale ont été revues, y compris une protection incendie repensée. Il inclut un dispositif de brouillard d'eau (brumisation) dans les charpentes en chêne. La cathédrale reconstruite dispose de nouvelles chaises pour les fidèles. Le diocèse de Paris a aussi fait installer un éclairage intérieur et une sonorisation adaptés à l'exercice du culte catholique.
Les nombreuses polémiques
Les dons – près de 850 millions d'euros récoltés quelques jours après l'incendie en avril 2019 –, la flèche, les risques liés à la dispersion du plomb pendant l'incendie, l'aménagement intérieur ou encore les vitraux auront été à l'origine de vives polémiques durant ces cinq années de travaux. La première concerne les dons et leur bonne utilisation par l'établissement public responsable de la reconstruction de Notre-Dame. Un peu plus d'un an après l'incendie, la Cour des comptes se penche sur la question. Les donateurs "ont le droit de savoir à quoi leur argent ou leurs promesses servent où vont servir", estime Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes sur France Inter mercredi 30 septembre 2020. "Nous n'avons pas cessé de travailler en ce sens depuis le premier jour avec les représentants de l'État", répond sur franceinfo Célia Vérot, directrice générale de la Fondation du patrimoine.
Pour la reconstruction de la flèche à l'identique ou pas, c'est Emmanuel Macron qui tranche en juillet 2020. La troisième flèche de Notre-Dame sera reconstruite à l'identique. "Le président a fait confiance aux experts et pré-approuvé dans les grandes lignes le projet présenté par l'architecte en chef, qui prévoit de reconstruire la flèche à l'identique", annonçait l'Elysée dans un communiqué le 9 juillet 2020, mettant ainsi fin à des mois de polémique.
Cette décision est à l'origine d'une nouvelle crise parce qu'elle suppose une couverture en plomb. En décembre 2023, alors que la flèche trône de nouveau dans le ciel parisien, Greenpeace dénonce un "scandale sanitaire". L'utilisation du plomb inquiète aussi bien des élus, des ONG et les riverains.
Pourtant, le responsable de la reconstruction, Philippe Jost, a assuré devant la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale que "le nuage de plomb consécutif à l'incendie, qui a suscité une vive polémique et des plaintes de riverains, n'a pas induit de manière visible de contamination".
L'incendie n'a pas épargné les vitraux, il en a même détruit. Un an jour pour jour avant la réouverture prévue de Notre-Dame, Emmanuel Macron annonce que de nouveaux vitraux seraient réalisés pour la cathédrale. Ils seront censés porter "la marque du XXIe siècle". L'idée ne plaît pas à tout le monde et une pétition est même lancée. Ce qui n'empêchera pas le processus de se poursuivre.
Quant aux vitraux qui ont résisté aux flammes, celles des baies hautes de la cathédrale ont été restaurées en atelier. Les autres sont nettoyées in situ.
Pour l'aménagement intérieur, l'Église va aussi batailler. Le diocèse de Paris défend un projet avec une touche contemporaine qui ne fait pas l'unanimité. Il est aussi question d'accrocher des œuvres contemporaines au mur, et de projeter des phrases de l'Évangile. "On peut le regretter, nous, on ne le regrette pas : aujourd'hui, il y a 12 millions de touristes", justifiait le Père Gilles Drouin, responsable du projet. Les experts trancheront de nouveau le jeudi 9 décembre 2021 en donnant un avis favorable au "programme de réaménagement intérieur" de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
La dernière polémique en date concerne la gratuité de l'accès à Notre-Dame. La ministre de la Culture Rachida Dati a lancé l'idée d'un accès payant mais l'Église de France s'y oppose catégoriquement.
Une famille endeuillée
C'est une famille, réunissant quelque 2 000 membres relevant de plusieurs corps de métiers, qui s'attelle à la reconstruction de Notre-Dame. La mort accidentelle du général Jean-Louis Georgelin, à la tête de l'établissement public, dans la soirée du vendredi 18 août 2023 après une chute en montagne dans l'Ariège, est un coup dur. "À la fin de l'année, nous verrons la flèche dans le ciel de Paris", se réjouisssait-il le 21 juillet 2023, lors de la répétition générale du montage du premier étage de la flèche de la cathédrale à Briey (Meurthe-et-Moselle). "Le général Georgelin ne verra jamais de ses yeux la réouverture de Notre-Dame aux Français, dont il aura été l'incomparable artisan. Mais le 8 décembre 2024, il sera présent avec nous, à sa réouverture, d'une autre manière", indiquait le communiqué de l'Élysée. Son nom a été gravé sur le bois de la flèche de Notre-Dame.
Un autre décès va de nouveau frapper la famille Notre-Dame, celui d'Azzedine Hedna, début novembre. "Échafaudeur, il était l'une des figures marquantes de la restauration de Notre-Dame de Paris. Par son engagement, son énergie, son enthousiasme, sa gentillesse", écrit le 10 novembre 2024 Philippe Jost dans un post sur Facebook.
Un jubé dans les entrailles de Notre-Dame
L'incendie de Notre-Dame aura permis de faire des découvertes exceptionnelles. Durant les fouilles qui ont suivi le sinistre, les scientifiques ont eu la rare opportunité d'explorer les entrailles d'une importante cathédrale médiévale. Elles vont permettre de retrouver deux sarcophages en plomb et surtout des éléments sculptés de l'ancien jubé, le mur richement décoré qui séparait la nef et le chœur isolant ainsi les fidèles du clergé pendant les offices. Les fragments retrouvés représentent des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Les 7 et 8 décembre, les Français et le monde, émus par sa destruction par le feu, verront une Notre-Dame qui renaît de ses cendres. Le 15 novembre 2024, "la Vierge de Notre-Dame retrouvait sa maison. Elle nous précède, comme elle nous précède dans notre marche", avait lancé l'archevêque de Paris Laurent Ulrich à la foule massée sur le parvis de l'église Saint-Germain l'Auxerrois, où la statue avait trouvé refuge depuis l'incendie le 15 avril 2019. Elle avait miraculeusement échappé aux flammes.
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