Dégâts, reconstruction, assurances... Onze questions sur l'incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris
Les pompiers de Paris ont lutté pendant douze heures pour sauver la célèbre cathédrale, un des monuments emblématiques de Paris. Les dégâts sont immenses et encore difficilement estimables.
Trente mille visiteurs se pressent habituellement chaque jour sur le parvis de Notre-Dame. Depuis lundi 15 avril au soir, les Parisiens et les touristes se rassemblent devant l'édifice pour constater les dégâts provoqués par l'incendie qui a ravagé cet édifice catholique, emblématique de Paris, âgé de 856 ans.
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La totalité de la toiture de la nef, du chœur et du transept du monument le plus visité d'Europe a été consumée par les flammes. L'incendie, qui s'est déclaré peu avant 19 heures, a conduit à l'effondrement de la flèche. Seules les tours et la structure ont été sauvées par les 400 pompiers mobilisés. Franceinfo répond aux douze questions qui se posent au lendemain de ce sinistre historique.
1Quand et comment le feu s'est-il déclenché ?
Selon le procureur de Paris, Rémy Heitz, une première alerte incendie a retenti à 18h20 sans qu'aucun départ de feu ne puisse être constaté. Une messe venait de débuter. Le dernier exercice incendie avait eu lieu quelques jours auparavant, l'évacuation des visiteurs a été rapide : dès le déclenchement de l'alarme incendie, près de 1 500 personnes ont été dirigées vers la sortie, "en deux, trois minutes" assure le responsable de la communication de Notre-Dame, André Finot. Une seconde alerte a été donnée treize minutes plus tard. Un feu dans la charpente a alors été découvert.
L'incendie a véritablement pris vers 18h50. Le feu est parti des combles de la cathédrale avant d'embraser rapidement la charpente et de gagner une partie du toit. Les flammes ont progressé rapidement en raison de la constitution de cette immense charpente qui s'étendait sur 100 mètres de long. Elle était surnommée "la forêt", en référence aux 24 hectares de chênes coupés au XIIIe siècle pour sa construction. Le bois, qui a séché durant des siècles, a alimenté le brasier.
Vers 19h50, la flèche de la cathédrale, qui culmine à 93 mètres de hauteur, s'est effondrée, provoquant un vif émoi. Une heure après le début de l'incendie, une grande partie du toit a été réduite en cendres.
Dans la soirée, l'inquiétude est encore montée d'un cran quand le feu s'est approché des deux tours, où sont abritées les cloches de la cathédrale. A 22h50, elles ont définitivement été "sauvées" des flammes et la structure de la cathédrale a été "préservée dans son intégralité", selon le commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers, le général Jean-Claude Gallet. Les pompiers ont annoncé avoir éteint "l'ensemble du feu" mardi 16 avril, peu avant 10 heures.
2Est-ce que la protection contre les incendies était suffisante ?
Sur France Inter mardi 16 avril, le recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Patrick Chauvet, a détaillé les dispositifs mis en place pour prévenir les départs de feux lors de travaux : "Nous avons des surveillants incendie, ils montent trois fois par jour sous la charpente pour voir l'état des lieux. Elle est surveillée". Un pompier était affecté 24h/24 à la surveillance de la cathédrale. "Au niveau de la sécurité, je crois qu'on ne peut pas faire plus. Il y a toujours l'incident qu'on ne peut pas prévoir", ajoute le recteur-archiprêtre.
Des investissements avaient été effectués quelques années auparavant pour parer aux risques de feu. Des détecteurs d'incendie ont été placés un peu partout dans l'édifice, assure au Parisien Serge Delahaye, un expert judiciaire en incendies. Mais l'installation de systèmes d'extinction automatique est complexe dans les édifices anciens, déplore-t-il.
Mgr Patrick Chauvet : "Nous avons des surveillants incendie qui montent trois fois par jour sous la charpente pour un état des lieux, un pompier de service, au niveau de la sécurité je crois qu'on ne peut pas faire plus" #le79inter #NotreDame pic.twitter.com/BLTDpcdN3f
— France Inter (@franceinter) 16 avril 2019
"On aurait pu éviter ça", s'indignait mardi matin sur franceinfo, le rédacteur en chef du magazine La Tribune de l'Art, Didier Rykner. Il estime que les mesures de précaution pour les travaux sur les monuments historiques sont insuffisantes : "On fait du soudage, on fait des travaux et c'est une fois que les ouvriers sont partis que le feu peut prendre."
Plusieurs voix d'historiens et de défenseurs du patrimoine ont dénoncé l'état général de la cathédrale. Alexandre Gady, historien de l'architecture et professeur à la Sorbonne, regrette "un accident qui aurait pu être évité tout simplement avec un tout petit peu plus de protocole de sécurité". "Le manque d’un réel entretien et d’une attention au quotidien à un édifice majeur est la cause de cette catastrophe", affirme de son côté, Jean-Michel Leniaud, président du conseil scientifique de l'Institut national du patrimoine dans un entretien à La Croix.
3Quelle stratégie les pompiers ont-ils adopté ?
Quelque 400 sapeurs-pompiers ont été mobilisés pendant plus de douze heures pour maîtriser le feu. Munis de 18 lances à incendie, ils se sont activés toute la soirée pour sauver ce qu'il restait de l'édifice le plus visité d'Europe. C'est l'eau de la Seine, directement pompée et acheminée par d'immenses tuyaux, qui a alimenté leurs lances. Des pompiers perchés à des dizaines de mètres de hauteur, sur des bras mécaniques, ne parvenaient pas à dominer les flammes, qui s'élevaient dans le ciel de Paris.
Le largage d'eau par avion n'était pas envisageable dans une zone urbaine aussi dense. Un tel volume d'eau aurait fragilisé la structure restante et mis en danger les hommes mobilisés. "Le temps a joué au début contre nous, le vent a joué contre nous et il fallait reprendre le dessus", retrace le lieutenant-colonel Gabriel Plus, mardi matin. Les pompiers ont dû trancher rapidement sur la stratégie à adopter pour circonscrire le feu : il a fallu "se dire que la partie de la toiture prise par le feu n'était pas sauvable et prendre le parti de mettre tous nos moyens pour protéger les deux beffrois, de mettre tous les moyens et les hommes qui étaient engagés à l'intérieur pour sauver les œuvres", expose le porte-parole des sapeurs-pompiers. Des pompiers, munis de lances, ont été positionnés près des tableaux qui pouvaient être sauvés.
D'importants moyens techniques ont été déployés pour venir en aide aux pompiers mobilisés. Lorsque la flèche de la cathédrale s'est effondrée, les efforts se sont concentrés sur l'extérieur de l'édifice. Les personnes engagées à l'intérieur ont alors été remplacées par "un robot qui permettait d'éteindre et de faire baisser la température à l'intérieur de la nef", poursuit le lieutenant-colonel Gabriel Plus.
Les policiers ont mis à disposition des pompiers leurs drones qui leur ont permis de disposer d'une vision précise de l'évolution des flammes dans la toiture. "C'est grâce à ces drones, à cette technique nouvelle absolument incontournable aujourd'hui, que l'on a pu faire des choix tactiques pour arrêter ce feu à un moment où il allait potentiellement occuper les deux beffrois", détaille le porte-parole des pompiers. Selon ces derniers, deux policiers, en plus d'un soldat du feu, ont été légèrement blessés lors de cette vaste et périlleuse opération.
4Quelle est l'ampleur des dégâts ?
Une heure après le début de l'incendie, la flèche de Notre-Dame s'est effondrée. La toiture de la cathédrale, datant du XIIe et du XIVe siècles, a été emportée par les flammes. "Deux tiers de la toiture est partie en fumée", estime le ministre de la Culture, Franck Riester, "la flèche est tombée à l'intérieur de la cathédrale, créant un trou dans la voûte". "La croisée du transept et le transept nord se sont également effondrés", a ajouté le ministre.
Le reste de la voûte est toujours en place mais il y a une grande inquiétude parce qu'il y a de l'eau au-dessus de cette voûte, il y a aussi des morceaux de bois carbonisés gorgés d'eau
Franck Riester, le ministre de la Culturesur France Inter
Une partie des vitraux est détruite, ceux restants vont devoir être démontés et restaurés. "Les grandes roses du transept nord et sud n'ont pas subi de dommage catastrophique", assure Franck Riester mardi midi.
5Des œuvres d'art ont-elles été détruites ?
Les pompiers sont parvenus à sauver des œuvres d'art présentes dans la cathédrale. "Le trésor de Notre-Dame de Paris a été sauvé. Tout est en sécurité à l'hôtel de ville de Paris" assurait dès hier soir le ministre de la Culture, Franck Riester. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a indiqué que "la couronne d'épines et la tunique de Saint Louis" ont été placés "en lieu sûr".
"Le reste du trésor sera mis en sécurité au Louvre aujourd'hui et demain, a ajouté Franck Riester. Les grandes peintures ne pourront être retirées qu'à partir de vendredi matin". Ces peintures ont été endommagées par les fumées. Un inventaire va être mené ainsi qu'une estimation des dégâts. Les œuvres seront ensuite dépoussiérées, déshumidifiées et placées dans un lieu de conservation, avant d'être restaurées.
Quelques objets sauvés de l’incendie, abrités à la salle saint Jean de l’Hôtel de ville. C’est hélas peu de choses. La couronne d’épines et un morceau de la croix sont en sécurité dans un coffre. #NotreDamedeParis pic.twitter.com/lGpIDrSMSQ
— J-B de Froment (@jbdef) 16 avril 2019
L'état du grand orgue de la cathédrale a suscité de vives inquiétudes avant que l'organiste titulaire, Vincent Dubois, se montre rassurant : l'instrument a échappé aux flammes. "C'est un miracle et évidemment on s'en réjouit (…) Toute la nuit j'ai croisé les doigts pour que les clés de voûte ne tombent pas" sur le grand orgue, raconte-t-il à franceinfo.
6Existe-t-il des risques pour la structure ?
L'organiste alerte cependant sur la fragilité de l'édifice : "Maintenant, il faut être prudent pour la suite parce que la structure même de la cathédrale va devenir instable : une fois que tout va sécher, on ne sait pas comment les joints des clés de voûte vont travailler. Est-ce que ça va s'effondrer ou pas ?", s'interroge Vincent Dubois.
La cathédrale a été percée à trois endroits, fragilisant sa structure : par l'effondrement de la flèche, de la croisée du transept et de la voûte du transept nord, en fin de nuit. Des risques importants d'effondrement de la voûte demeurent, selon une source au ministère de la Culture, notamment au niveau du pignon du transept nord et sur une partie du beffroi sud. Le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez, a estimé mardi que ces deux zones devaient encore être sécurisées avant d'assurer que "globalement, la structure tient bon". Des travaux de sécurisation vont être menés pendant 48 heures pour sécuriser les parties de la cathédrale qui présentent encore des "vulnérabilités". Pour prévenir tout risque d'écroulement, cinq immeubles voisins ont été évacués.
7Où en est l'enquête ?
Une enquête a été ouverte dans la nuit par le parquet de Paris, pour "destruction involontaire par incendie". La piste d'un départ de feu accidentel, en lien avec les travaux, est privilégiée selon le procureur de Paris, Rémy Heitz. Cinq entreprises intervenaient sur le site et une quinzaine d'ouvriers étaient présents lundi. Ils ont été entendus dans le cadre d'une audition de témoins.
Une quarantaine d'enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire sont mobilisés, ainsi qu'une dizaine de membres de l'identité judiciaire (la police technique et scientifique), et des employés du laboratoire central de la préfecture de police. Dans la nuit de lundi à mardi, ils ont auditionné une dizaine de personnes, a appris franceinfo. Une vingtaine d'auditions étaient également déjà prévues ce mardi.
8En quoi consistaient les travaux en cours ?
Depuis un an, la cathédrale, érigée il y a 856 ans, était en chantier. La tâche était lourde : réaliser des travaux sur la charpente et réparer la couverture de plomb de la flèche, qui n'avait pas été rénovée depuis les années 1930. La mise en place de l'échafaudage de 250 tonnes qui entourait la flèche a duré neuf mois. Ces importants travaux avaient aussi pour objectif de nettoyer l’édifice, noirci par la pollution.
Dans un reportage diffusé une semaine avant l'incendie, une équipe de LCI s'était aventurée sur l'échafaudage et jusque dans les combles de la cathédrale. Les rénovations devaient durer au moins dix ans. Des reporters britanniques de la BBC avaient également pu mesurer, début avril, l'état inquiétant de la structure de l'édifice.
9La cathédrale était-elle assurée ?
C'est la question qui se pose alors que la reconstruction s'annonce titanesque. Qui va payer pour les réparations de la cathédrale, lourdement endommagée ? Alors que les dons affluent, se posent la question de savoir si le monument était assuré. Selon BFMTV, l'édifice, classé aux monuments historiques depuis 1862, n'est "pas spécifiquement assuré". La cathédrale appartient à l'Etat et c'est donc à ce dernier que revient la responsabilité des réparations, suivant "le principe de l'auto-assurance de l'Etat".
L'administration a ainsi "la responsabilité de son entretien mais la ville s'est associée à l'Etat", a expliqué la maire de Paris, Anne Hidalgo, mardi sur France Inter. "Il y a eu en 2015 une convention signée avec l'Etat, la ville et le diocèse de Notre-Dame pour justement lancer tous ces travaux", a-t-elle ajouté. L'administration va donc devoir "puiser dans les deniers publics" pour redonner à Notre-Dame son ancienne silhouette.
Des mécènes (du groupe LVMH aux familles Pinault et Bettencourt) se sont fait connaître pour participer, financièrement, à la rénovation. La "collecte nationale" lancée par la Fondation du patrimoine avait déjà permis de récolter "1,1 million d'euros", mardi en fin de matinée. En 2017, "il a fallu que la Fondation Avenir du Patrimoine à Paris, sous l’égide du diocèse, se mobilise et collecte des fonds pour qu’une restauration s’engage", rappelle l'historien Jean-Michel Leniaud à La Croix.
10Combien vont coûter les travaux ?
Les risques d'effondrement étant toujours importants, les experts n'ont pas pu débuter leur estimation des dégâts. Interrogé à ce sujet sur France Inter mardi matin, Franck Riester a jugé que la reconstruction, promise par Emmanuel Macron "[représente] des budgets très importants". Le ministre de la Culture a déclaré que "l'Etat assumera ses responsabilités" et que la "volonté de solidarité de nos compatriotes va trouver une issue avec la création de cette grande souscription nationale qui va permettre de collecter un montant financier très important".
11Combien de temps peut prendre une telle rénovation ?
Mardi soir à 20 heures, Emmanuel Macron a annoncé en direct à la télévision qu'il souhaitait que la recontsruction de Notre-Dame "soit achevée d'ici cinq années". Quelques heures plus tôt, de nombreux experts s'étaiernt montré beaucoup plus pessimistes. "Cela risque de prendre des décennies, car il faut faire appel à beaucoup de corps de métiers spécialisés, comme des sculpteurs ou des architectes spécialistes, estimait notamment Grégory Teillet, spécialiste de l'architecture médiévale et chargé du mécénat au ministère de la Culture. On reconstruit désormais en tenant compte des transformations ultérieures, pas uniquement sur la base du projet originel."
Eric Fischer, le directeur de la Fondation de l'Oeuvre Notre-Dame, qui recueille les dons pour l'entretien et la restauration de la cathédrale de Strasbourg, tablait lui aussi sur "des décennies". Il se montre en revanche confiant sur la réussite de ce chantier : "On sait, à mon avis, tout faire. Retravailler la pierre, refaire les vitraux. Vu l'ampleur présumée des travaux, quasiment l'intégralité des corps de métiers devra intervenir. Il y aura évidemment des travaux sur la pierre, la charpente, la métallerie ou les installations techniques comme l'électricité, l'éclairage, la couverture...", conclut-il.
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