L'occasion n'est plus tabou, c'est un acte militant : cinq marques de mode osent le défi de la seconde main
La mode de seconde main, en pleine expansion, est une solution économique, écologique et éco-responsable pour prolonger la vie d’un vêtement.
L’année 2020 a bouleversé les habitudes des Français et leur consommation se veut plus que jamais responsable : acheter de l’occasion, limiter son impact environnemental, soutenir les commerces de proximité…
Face au gaspillage vestimentaire, 74% des Français se disent prêts à renoncer à l’achat de neuf et 70% disent vouloir consommer de manière plus responsable après la pandémie du Covid-19 (enquête OpinionWay pour Rakuten - juin 2020). "Rallonger la durée de vie des vêtements de juste neuf mois en les portant souvent permettrait de réduire de 20-30% leur empreinte écologique en matière de CO2, eau et déchets” indique, pour sa part, la plateforme Fashion Revolution.
Cinq marques ont développé des services de seconde main et nous expliquent leurs motivations.
La re-consommation
L'économie circulaire passe aussi par le marché de la seconde main qui n'a plus rien à voir avec la friperie à l'ancienne. Avec lui, le cercle vertueux de la mode éco-responsable est enclenché : une pièce aura plusieurs vies avec des clientes différentes.
La vente de produits d'occasion n'est pas un phénomène nouveau mais désormais les entreprises, elles-mêmes, organisent cette revente sur leurs sites avec le plus souvent la reprise de leurs propres vêtements et accessoires transformée en bons d’achat, sans toujours aller jusqu’à réinjecter les dits articles dans le circuit. Cette tendance touche tous les secteurs, de la grande distribution (La Redoute avec son service La Reboucle), en passant par les chaînes (Promod, Kiabi, Zalando...) jusqu'au luxe. Les marques de créateurs Léon Flam, Balzac Paris, Gas Bijoux, Atelier Mansaya et ba&sh nous expliquent leur démarche.
"Là où d'autres marques choisissent de faire disparaître leurs produits défectueux, fins de série, nous décidons de les revaloriser en leur donnant une seconde vie" indique l’atelier de maroquinerie Léon Flam. Sur sa plateforme Le Collectif Léon Flam, on trouve des modèles de seconde main avec des défauts mineurs et des prototypes ou des fins de séries à prix réduits pour encourager une consommation collaborative et responsable. Les clients peuvent renvoyer contre un bon d’achat leurs produits en fin de vie qui sont réparés dans l’atelier puis revendus sur la plateforme. "Cette initiative nous permettra de contrôler la totalité du cycle de vie de nos produits en les réintégrant dans l'économie circulaire afin de limiter leur impact écologique".
Fidèle à sa devise T.P.R. (toujours plus responsable), la marque Balzac Paris a lancé en 2020 sa plateforme de seconde main Créer pour Durer où ses clientes peuvent envoyer leurs anciennes pièces contre un bon d’achat à utiliser sur le site. "En encourageant le marché de l’occasion, en insistant sur l’importance de donner ou vendre des produits toujours en bon état qui ne seraient plus utilisés, notre objectif est toujours le même : augmenter la durée de vie de nos produits. Car oui, nos vêtements et accessoires de mode continuent à avoir de la valeur avec le temps. Créées pour durer, nos pièces vont vivre plusieurs vies à vos côtés" indique la marque.
"Pourquoi un bijou devrait dormir dans un tiroir alors que nos 80 artisans peuvent lui redonner une seconde vie ?" s’est demandé Gas Bijoux qui a lancé Seconde Vie, une opération de récolte de ses anciennes créations en boutiques (contre un bon de remise sur le prochain achat). L'opération est renouvellée régulièrement. Après un examen pour savoir s’ils sont recyclables, les bijoux sont envoyés à l’atelier "pour que nous récupérions les éléments et apprêts ré-utilisables, au lieu d’en commander ou produire de nouveaux. La fabrication circulaire ou le fait de retravailler une matière existante, c’est reposer les poumons de la terre".
C'est une autre démarche qu'a lancé l'Atelier Mansaya, dont Adama Togola est la créatrice et Rose Dema, la gestionnaire. La marque de wax met en place un nouveau site internet, qui permet le click & collect mais propose également un club VIP. Il offre réductions, bons d'achat et exclusivités sur les collections. Ses membres accédent sur abonnement au service New Life by Mansaya. "A partir du 9e mois après l'achat d'un vêtement, nous donnons la possibilité à nos clientes très fidèles de revendre leurs pièces. On récupère le produit et selon son état, on le retravaille et le transforme si nécessaire ou on le met en vente à l'identique. La cliente touchera après revente 50% du prix d'achat initial". Les tenues de seconde main sont disponibles uniquement sur le site pour l'instant mais plus tard ce service sera également possible en boutique, où depuis la pandémie de la Covid-19, la marque s'est recentrée sur six produits best-sellers
ba&sh propose depuis 2020 Resell, un service qui permet à ses clientes de revendre des vêtements ou accessoires de la marque depuis son site. Engagée dans un processus d’innovation durable et convaincue de l’importance de la consommation responsable, la marque a intégré deux solutions technologiques (Arianee et Reflaunt) pour les accompagner dans cette démarche. Authentifié, l’article est mis en ligne sur plusieurs marketplaces de seconde main avec une description pré-écrite et un prix de revente conseillé. Pour Pierre-Arnaud Grenade, Global CEO de ba&sh, "le marché de la seconde main revêt un enjeu environnemental considérable pour notre secteur et il représente également une opportunité importante, celle de toucher de nouvelles communautés. ba&sh devient ainsi la première marque au monde à intégrer une solution de revente portée par la blockchain (ndlr, permet la vérification de la propriété des données)".
Le vintage, le goût de l'authentique
Dans ce marché de la seconde main, le vintage occupe une place de choix car la mode millésimée est devenue désirable avec ses pièces au look rétro. Ce mot anglais signifie au sens propre “grand cru, millésime” mais il est utilisé pour qualifier tout ce qui est rétro. Aussi beaucoup de créateurs s'inspirent, réactualisent, multiplient les hommages, et les maisons qui ont un passé rééditent leurs modèles phare.
Le vintage satisfait une envie de rare, de personnel dans un monde où ce qui est à la mode se duplique à l'infini, partout au même moment. En s'offrant un sac des années 70, une robe des années 60 ou un manteau signé d'un couturier de l'après-guerre par exemple, on affirme son goût pour l'authentique.
Une passion qui peut coûter cher si on fait le choix des ventes aux enchères pour acquérir des pièces rares mais d’autres moyens existent. Ainsi Leclaireur Archives met en lumière des pièces historiques collectionnées au fil des années, au sein de la boutique 40 rue de Sévigné à Paris. Cet espace est accompagné d'un compte instagram - qui présente cette sélection vintage soldée jusqu’à -70% - et d'un e-shop avec un service de personal shopper.
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Il y a un côté poétique dans ce vêtement qui traverse le temps
Elisa Palmer
Mais cette passion peut être aussi assouvie à moindre coût comme l’explique à Franceinfo culture Elisa Palmer, agente mode et social. "Ma mère était passionnée de seconde main. Cela a toujours été dans mon éducation et je n’ai jamais eu honte de porter un vêtement déjà porté. Pour moi, il y a un côté poétique dans ce vêtement qui traverse le temps". La jeune femme de 35 ans n'achète quasiment plus de neuf, ni pour elle, ni pour ses enfants et essaye même de convertir les autres car aujourdhui "les gens ont moins cette appréhension face à la seconde main". Plusieurs raisons motivent son choix : le budget, l’originalité et la créativité et l’existant. "Ces vêtements de seconde main sont arrivés jusqu’à nous, car ils sont plus résistants. J’aime leur originalité, la créativité des coupes et les matières utilisées. Je suis passionnée des années 70-80-90. Je collectionne les pièces Claude Montana (j’en ai une vingtaine). Ce couturier avait une façon d’aborder le corps de la femme avec une découpe de fou, une carrure".
Dans sa garde-robe, il y a "des pépites", des pièces Caude Montana mais aussi des jeans Levi's. "Je rentre régulièrement en boutique pour essayer un modèle. S’il me plaît, je le cherche sur les plateformes de seconde main pour l'acheter". Mais quand elle a le temps, Elisa Palmer préfère de loin fréquenter les boutiques, les puces en France et à l’étranger et les friperies plutôt que les plateformes digitales. "Dans les boutiques où je vais régulièrement, il y a plus de personnalisation et d’humain. La vendeuse connaît mes goûts et me proposera des pièces susceptibles de me plaire. Mais, je suis une femme de ma génération donc je cherche aussi sur les plateformes par marques ou par type de pièce (épaulettes, taille haute, pantalon patte d'éléphant)". Sa préférée : le Label Emmaüs, "un e-shop militant avec une logique sociale et humaine".
Où s’approvisionner ?
Il y a depuis longtemps les charity shops (ndlr, boutiques caritatives) - Emmaüs, La Croix Rouge, le Secours Populaire, Bis Boutique Solidaire... - ainsi que les dépôts-vente. Mais le secteur a aussi connu un véritable boom avec le digital et ses marketplaces généralistes (Ebay, Leboncoin) puis celles spécialisées dans la mode comme Vinted, Vide-Dressing, jaiio et Monogram.
"Le luxe de seconde main est désormais une tendance réelle et profonde, en particulier parmi les jeunes consommateurs", a déclaré François-Henri Pinault, PDG de Kering, groupe qui sera représenté au conseil d'administration de Vestiaire Collective. En mars 2021, le site français a levé 178 millions d'euros auprès du groupe de luxe Kering et du fonds d'investissement américain Tiger Global Management. "La part des pièces de seconde main dans la garde-robe des particuliers devrait passer de 21% en 2021 à 27% en 2023, et le marché de la seconde main devrait atteindre plus de 60 milliards de dollars d'ici 2025", estime le site.
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