Réparer ses vêtements : hier signe de pauvreté, demain "marque de conscience écologique et de créativité"
"Achetez moins, choisissez bien, faites que ça dure" martèle la créatrice britannique Vivienne Westwood, pionnière de la mode durable. Face aux 200 tonnes de déchets textiles produits chaque année en France par l'industrie de la mode, il est primordial de trouver des alternatives.
La conscience des impacts écologiques de l'industrie de la mode progresse : les consommateurs ont compris qu'il existe des alternatives pour renouveler une garde-robe sans acheter de nouveaux vêtements. C'est le cas avec la réparation. Explications.
Réparer pour donner un souffle créatif
Selon l'organisation britannique Wrap (Waste & Ressources Action Programme) porter un vêtement durant neuf mois supplémentaires permettrait de réduire l'empreinte carbone, les déchets et l'utilisation d'eau de 20% à 30%. Au lieu d'acheter de nouveaux vêtements, retombez amoureux de ceux que vous possédez déjà, de ces habits qui sont vos préférés même quand ils ne sont plus parfaits : un jean abîmé mais si doux, une robe que votre grand-mère portait et qu'elle vous a donné... Un accroc, un bouton manquant ne devraient pas vous empêcher de les porter. Ne les jetez pas, prolongez leur vie en les réparant, par exemple, d'une manière créative pour affirmer votre style. En plus chaque vêtement réparé est unique, ce qui rend cette pratique de mode plus désirable encore.
"Le prêt-à-porter et les changements de société (ndlr, les années 60) ont interrompu la tradition de la transmission des savoir-faire liés à la réparation et dévalorisé ces usages. Il était plus rapide alors de racheter un vêtement", constate Isabelle Cabrita de Good Gang Paris, organisme qui prône la transition écologique par l'expérimentation textile. "Il est, en effet, très compliqué aujourd'hui de faire une réparation à l'ancienne qui demande beaucoup de technicités", explique-t-elle avant de rajouter : "ce qui était autrefois un signe de pauvreté peut devenir une marque de conscience écologique et aussi de créativité".
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Isabelle Cabrita est intervenue lors de la conférence Porter ses valeurs grâce à la réparation créative organisé dans le cadre de la Fashion Revolution Week (du 19 au 25 avril), ONG oeuvrant pour plus de transparence dans l'industrie textile. Ce mouvement est né après le 24 avril 2013 quand le Rana Plaza, bâtiment de confection de vêtements pour le marché occidental, au Bangladesh, s'est effondré.
Comment dépasser les résistances et les clichés pour intégrer la réparation créative à la fois dans nos vies et dans l’écosystème du vêtement, en faire enfin une option désirable ? La réparation peut-elle nous aider à remodeler notre rapport émotionnel aux vêtements ? Le rendre plus durable, plus conscient et plus engagé ? Cette conférence (en vidéo, ci dessous) donne des réponses à ces questions sur l'art de réparer des accrocs et déchirures en sublimant le vêtement (visible mending).
Consommer un très beau produit que je fais réparer quand nécessaire
Véronique Zucca
Suite à la disparition de certains savoir-faire spécifiques depuis quelques années, trouver le professionnel adéquat peut s'avérer parfois difficile. Pour Véronique Zucca, co-fondatrice de l'agence Kartel Production, qui possède une collection de beaux cachemires auxquels elle tient tout particulièrement, dénicher une remailleuse a été complexe.
La jeune femme préfère être dans une logique de consommer un très beau produit que 'je fais réparer quand nécessaire" plutôt que dans "une consommation de produits jetables, remplaçables au moindre accroc". "J'ai eu le malheur d'avoir des mites et comme il n'était pas question de jeter mes pulls alors qu'on peut les réparer, j'ai cherché une solution". Un vrai parcours du combattant quand elle s'est aperçue que l'atelier de stoppage/remaillage qu'elle connaissait avait disparu: "J'ai fait de nombreuses recherches sur internet, consulté des forums - sur lesquels je repérais des adresses, trop anciennes car les gens avaient pris leur retraite. J'ai alors réalisé qu'il n'y a plus nécessairement la transmission de ce savoir-faire".
La couture autrefois était enseignée à l'école. "Pourtant on constate que ce besoin revient à fond" ajoute-t-elle. C'est sur Instagram qu'elle a trouvé son bonheur : "C'est une Japonaise formée chez Tricot Saint-James, qui fait du stoppage remaillage. C'est un savoir-faire rare qui a disparu car à l'époque du 'acheté-jeté' les gens ne faisaient plus appel à ce service car c'était un savoir qui était, hier encore, assez cher".
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Apprendre les techniques pour personnaliser, rafistoler et transformer
Les services d'un couturier ne sont plus l'unique alternative pour les moins habiles de leurs mains. Acquérir des connaissances et des compétences est aujourdhui facile. Certes en cette période de pandémie de la Covid-19 tous les lieux ne sont pas ouverts pour l'instant mais dès la réouverture de nombreuses solutions s'offrent à vous : les Repair Café (café de réparation), les ateliers de couture (Bobines & Combines, Brin de Cousette...), les ressourceries (La Textilerie), sans oublier les sites et les blogs avec leurs tutoriels de couture en ligne qui donnent des techniques pour personnaliser, rafistoler, transformer et redonner vie aux vêtements.
Inspirez-vous de l'art japonais du Sashiko Mending, une broderie traditionnelle utilisée pour réparer les kimono ou du Boro (signifie "guenilles") utilisé pour des tissus recyclés. Modifiez vos vêtements en personnalisant la forme, en les teignant ou en les transformant en quelque chose de nouveau : le DIY "Do It Yourself" est désormais plus qu’une tendance, c'est devenu un art de vivre.
Certaines marques ont depuis longtemps leurs propres ateliers de retouches, en boutique ou en ligne (Patagonia). "On les retrouve sur plusieurs chaînes YouTube, dont celle de la marque éco-responsable La Gentle Factory, sur la plateforme SloWeAre", indique, de son côté, Magali Moulinet-Govoroff dans son ouvrage Mode Manifeste. S'habiller autrement.
S'adresser à des spécialistes
Pour les moins habiles, Beryl de la Bouchère, fondatrice de Tilli, a remis au goût du jour un métier artisanal oublié, en l’adaptant aux besoins des citadins : de jeunes couturiers indépendants proposent un service personnalisé dans la mouvance actuelle d'upcycling, de made in France et de zéro empreinte carbone (tout se fait à domicile, à pied ou à vélo). Les 100 tillistes (couturiers, brodeurs, modélistes) se déplacent à domicile sur rendez-vous (pris sur le site internet ou sur l’appli) dans le but d'aider à upcycler, réparer ou personnaliser un vêtement pour lui donner une seconde vie. La marque dispose d’une boutique atelier à Paris avec l’objectif d’en ouvrir dix à travers la France.
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