"Yves Saint Laurent - Formes" : une exposition à Paris pour redécouvrir la modernité et la géométrie des créations du couturier
Après l'exposition Gold. Les ors d’Yves Saint Laurent, le musée parisien montre avec Yves Saint Laurent - Formes une facette de l'œuvre du couturier "plus minimale, plus radicale, plus graphique". "Sans doute une œuvre moins connue du grand public", indique Elsa Janssen, la directrice du musée YSL Paris.
Le couturier n’a eu de cesse d’inventer des formes. Dès 1958, directeur artistique chez Christian Dior, il affirme sa modernité en signant la ligne Trapèze. À partir des années 1960, ses créations qui allient simplicité de la coupe, rigueur des lignes et franchise des couleurs font écho aux courants artistiques modernes. Il exécute des robes minimales et des combinaisons monochromes qui semblent jaillies d’un seul trait. Coloriste, il imagine des compositions abstraites nées de l’assemblage de surfaces planes aux teintes vibrantes. Il oppose le noir au blanc pour créer du mouvement dans le vêtement.
"Pour mettre en scène ce projet, nous avons invité une artiste. L'exposition s'est construite comme un duo-show entre Yves Saint Laurent et Claudia Wieser". Influencée par l’œuvre de Vassily Kandinsky et Paul Klee, cette artiste - qui porte une attention particulière à la couleur et à la forme - explore les constructions géométriques d’inspiration moderniste. "La raison pour laquelle Elsa Janssen m’a invitée à concevoir cette exposition, c’est qu’elle perçoit, dans mon travail, des aspects formels pouvant être reliés à certaines créations d’Yves Saint Laurent", souligne Claudia Weiser.
Un ensemble de pièces (panneaux céramiques, miroir, sculptures), dont certaines inédites de l'artiste allemande côtoient avec bonheur la quarantaine de modèles du couturier, tout au fil du parcours, comme si un dialogue s'était établi entre eux deux. Bluffant de modernité.
Formes pures
"C'est une exposition thématique, en quatre chapitres mais dans laquelle nous essayons de présenter l'entièreté de la carrière d'Yves Saint Laurent, de ses débuts à la fin des années 50 jusqu'à la fin de sa carrière en janvier 2002, quand il a fermé sa maison de couture", explique Serena Bucalo-Mussely, la conservatrice responsable des collections du Musée Yes Saint Laurent Paris.
Tout au long de sa création, le couturier a inscrit la beauté féminine en lignes, aplats et formes. Dès ses débuts pour la maison Christian Dior, il conçoit des créations légères, tenues par les épaules et non plus par la taille qui s’éloignent de la ligne New Look. Cette tendance au dépouillement apparaît de manière constante dans son œuvre et au travers de réalisations discrètes qui témoignent de toujours plus de rigueur. Il trace une silhouette toute en verticalité, essentielle et libérée de tout superflu afin d’atteindre la pureté de la construction. C’est de cette rigueur que découle son style. Ce dernier est nourri de multiples influences.
Le ton est donné, dès la première salle : au mur, sur un panneau de bois des carreaux de céramique émaillés attirent le regard. À côté de cette œuvre de l'artiste allemande Claudia Wieser, trois tenues monochromes déclinées dans le même type de tonalités. "On a choisi des pièces monochromes car justement c'est la coupe et la matière qui donnent la forme de ces modèles", indique Serena Bucalo-Mussely. En face sur un podium trônent cinq combinaisons. Les vêtements empruntés au monde du travail sont une des sources d’inspiration du couturier qui les adapte à la haute couture pour en offrir une version féminisée. Ainsi, le jumpsuit - combinaison utile aux aviateurs puis aux spationautes - est transformé en un ensemble monochrome, dont l’élégance est profilée par des lignes simples et fluides. À la fin des années 1960, ce vêtement devient un classique de sa garde-robe évoquant son esthétique "chic décontractée". À côté de ces modèles sont présentés, dans deux niches, des chapeaux.
Formes et couleurs
La couleur est pour Yves Saint Laurent l’essence même de la composition des formes et la salle suivante en apporte la démonstration. "C'est par la couleur que la forme se construit", indique Serena Bucalo-Mussely. "Nous sommes ici sur des modèles très épurés, très linéaires des années 50 aux années 90".
Ses premières créations sont des robes courtes, droites aux coloris exubérants. Les collections des années 1965 et 1966 proposent un style avant-gardiste puisant leurs sources dans l’univers des peintres abstraits. Combinant rigueur de la coupe et fantaisie chromatique, ces robes se présentent comme des constructions nouvelles, nées de la rencontre de plusieurs tonalités vives. La nature et la disposition de ces surfaces colorées participant à la diversité des formes.
La couleur est au cœur de la démarche créative du couturier qui privilégie des assemblages par aplats de couleurs saturées faits sur des matières unies et lisses comme le jersey. La juxtaposition "en vagues" qui avait caractérisé une partie de la collection automne - hiver 1966 est remplacée dans les décennies suivantes par des imbrications plus nettes, entre rectangles de couleur ou matières différentes et lignes tranchantes. Les teintes sont assemblées par deux ou par trois. Une couleur foudroyante s’impose plus que les autres, attirant le regard sur une partie de la silhouette. Coloriste, il ose une palette nouvelle, empruntant pour ses tenues les tons vifs de l’abstraction géométrique ou ceux vibrant du Pop art.
Noir et blanc, dessiner la forme
À l'étage, une salle est consacrée aux intemporels et contemporains noirs et blancs qui font partie intégrante de l’univers créatif d’Yves Saint Laurent et ce dès l’origine. Une quinzaine de pièces textiles sont exposées aux côtés de croquis en noir et blanc réalisés aux crayons. Avec le couturier, tout travail sur la forme commence par un trait de crayon sur le papier pour esquisser ses modèles. Il utilise la ligne noire comme un moyen d’expression concordant avec sa recherche constante de simplicité et de pureté.
"Pour nous, c'était une évidence, quand on parle de noir et blanc et du dessin et de la forme, de montrer une partie de nos arts graphiques. Comme tout grand artiste, comme tout architecte, décorateur, chaque idée, chaque concept s'exprime par un dessin, par un trait sur une feuille blanche. Ici, on voit une série de dessins réalisés de 1955 à 2001 au crayon graphite 2B. On note que le couturier souligne, parfois marque, avec de la gouache, du feutre ou à l'encre de Chine, des points d'appuis, des coupes, des lignes, qui sont des indications pour ses ateliers" explique la conservatrice.
Je pense qu’une feuille blanche, c’est très ennuyeux et que sans le noir il n’y a pas de traits, pas de lignes. C’est pour ça que mes femmes sont souvent en noir, j’aime que les femmes ressemblent à des dessins, à des épures.
Yves Saint Laurent
Le noir, teinte favorite du couturier pour le soir comme pour le jour, est dans l’inconscient collectif encore associé au deuil par opposition au blanc, symbole de lumière. Pourtant, dès le XIVe siècle, il s’impose peu à peu dans la mode, puis entre, au XIXe siècle, dans les garde-robes devenant la quintessence de la simplicité, de l’élégance et de la séduction. Si, en 1926, il connaît un apogée avec Coco Chanel et sa petite robe noire, Yves Saint Laurent s’aventure encore plus loin. "Je l’aime parce qu’il affirme. […] Mais attention, pas la petite robe noire qu’on porte avec des perles et une étole de vison. Du noir moderne". Car, si dès les années 1910 – 1920, le noir devient un manifeste de la modernité en opposition avec le blanc avec des artistes comme le peintre russe Kasimir Malevitch, il est poussé à son paroxysme dans l’œuvre d'Yves Saint Laurent. À l’instar des artistes minimalistes ou de l’Op art [art optique], par un subtil jeu de contrastes, de symétries et de dissimulations, il crée un répertoire visuel et formel.
"Si l’on considère les collections conçues par Yves Saint Laurent sur quatre décennies, on remarque qu’un grand nombre de ses créations sont exclusivement en noir et blanc. Il joue sur les effets de profondeur, les contrastes entre les volumes, les formes rondes ou carrées, l’opposition ample/ajusté... Dans mon travail, j’aborde souvent des questions formelles similaires à travers ces notions de contraste, d’équilibre ou d’opposition", souligne la plasticienne Claudia Wieser.
Formes géométriques
La forme peut être donnée de différentes manières : par la coupe, la ligne ou la couleur. Ces trois états sont réunis, ici, pour façonner des ensembles. Comme en témoignent ses multiples dessins de recherches, "Yves Saint Laurent construit sa collection Rive Gauche de l'automne - hiver 1988 autour de formes géométriques colorées avec une inspiration cubiste. On voit, ici, la synthèse de tout ce qu'on a vu tout au long de l'exposition avec ce modèle en satin cuir accessoirisé d'un chapeau avec deux cubes superposés", précise la conservatrice.
À l’instar des peintres cubistes, il va jusqu’au bout d’une thématique en la déclinant grâce à des combinaisons de lignes, couleurs ou textiles. C’est à l’aide du pastel et d’échantillons qu’il réfléchit dès son dessin à différentes compositions. Il sépare les formes de larges ganses noires pour appuyer les lignes du corps féminin. Les textiles choisis pour réaliser ces vestes créent un nouvel effet d’optique par l’alternance de mats et de brillants, de surface lisses ou côtelées et de reliefs engendrés par les ganses et les sequins. Les accessoires, des gants colorés et des chapeaux constitués de cubes superposés ou de cônes, prolongent la pensée du couturier.
Yves Saint Laurent avait affirmé l’importance de la forme dès sa première collection chez Christian Dior au printemps - été 1958, avec des modèles confectionnés à partir du trapèze. La forme restera présente au fil des collections et se retrouvera jusqu’à la fin de sa carrière.
L'émouvant studio du couturier
Le parcours d'une exposition au musée Yves Saint Laurent Paris se termine toujours dans le bureau du couturier. Lieu central de cette maison de couture pendant près de trente ans, le studio est la pièce la plus émouvante. Si elle frappe par sa simplicité et contraste avec la somptuosité des salons de l'époque, elle s'accorde à l'atmosphère de travail dont le couturier avait besoin. Dans le miroir au fond, Yves Saint Laurent examinait le reflet du mannequin pour apprécier le vêtement. Ses objets fétiches sont réunis, ses souvenirs et ses pots à crayons de couleurs. Sur le rebord de sa chaise, sa blouse blanche. Au pied du bureau, la gamelle de son chien Moujik. Et, dans la bibliothèque, des ouvrages, principales sources d'inspiration du couturier.
Le musée, présidé par Madison Cox, est le premier musée consacré à l’œuvre d’un des plus grands couturiers du XXe siècle dans la capitale de la mode. Il a ouvert ses portes en 2017. Quinze années après la fermeture de la maison de haute couture, il occupe l’hôtel particulier historique du 5, avenue Marceau où naquirent durant 30 ans, de 1974 à 2002, les créations d’Yves Saint Laurent. La collection est riche de 100 000 pièces d’arts graphiques dont 55 000 croquis de mode du couturier, 130 000 photographies, et 20 000 pièces textiles et accessoires. Un fonds documentaire presse et audiovisuel de 50 000 archives complète ces collections.
Exposition "Yves Saint Laurent - Formes" avec décors et oeuvres de Claudia Wieser jusqu'au 14 janvier 2024. Musée Yves Saint Laurent. 5, avenue Marceau, 75116 Paris.
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