"Nous sommes le groupe français le plus célèbre... à être passé inaperçu" : Christian Décamps, leader d'Ange qui fête ses 50 ans
A l'occasion des 50 ans d'existence du groupe, Ange débute une tournée "jubilé" le 31 janvier au Trianon. Son fondateur et leader charismatique, Christian Décamps, nous a raconté ce qui l'anime, encore et toujours.
Un demi-siècle que le groupe Ange distille sa musique, savant mélange de poésie et de rock progressif. La plus ancienne formation française encore en activité fête cette longévité par une tournée "jubilé" qui débute au Trianon, à Paris, le 31 janvier, cinquante ans jour pour jour après leur tout premier concert à Belfort, le 31 janvier 1970. Christian Décamps, qui a fondé le groupe avec son frère Francis fin 1969, a répondu à nos questions. Un artiste toujours passionné et au désir créatif intact.
Franceinfo culture : Ange a un demi-siècle d’existence, ce qui en fait le plus ancien groupe français encore en activité : qu'est-ce que ça vous fait ?
Christian Décamps : Déjà une grande fierté, et puis la preuve que la passion est toujours là. Je m’amuse avec l’inconnu. On ne sait ce que sera demain, mais on sait ce qu’hier fut. J’ai toujours comparé Ange à un vieux chêne : les racines qui forcent le respect, la sève qui incarne la passion, et chaque printemps il y a de nouveaux fruits, de nouvelles chansons, et ainsi de suite jusqu’à la nuit des temps puisqu’un ange est éternel.
Je crois en l’éternité à travers les autres, ceux qui prendront la suite après, j’espère, et qui feront que Ange sera un artiste intemporel, qui va perdurer et rester friand de découvertes. C’est un bonheur indescriptible. Chaque nouvel album me donne des frissons, et ensuite le fait de le partager avec le public, ce qui est essentiel pour un artiste.
Il y a toujours l’envie ?
Oui, l’envie de créer, et l'envie des rencontres. Maintenant il y a trois générations qui viennent à nos concerts, et c’est du pur bonheur. C’est une immense tribu. C’est très tribal comme ambiance.
C’est votre souhait, que le groupe vous survive et perdure après vous ?
J’espère que mon fils prendra la relève après moi. Ange, c’est aussi un terrain vague où des gamins s’amusent, c’est un terrain de jeu. J’espère qu’après moi ils se retrouveront sur le tas de sable et qu’ils continueront. Ils ne sont pas obligés, mais je souhaite qu’ils en aient l’envie.
Vous avez dû ajouter un deuxième concert au Trianon car la date anniversaire du 31 janvier s'est remplie très rapidement, preuve de l’engouement du public encore bien présent.
C’est une histoire à part dans le monde artistique francophone, c’est le groupe français le plus célèbre à être passé inaperçu (rires). Il n’a jamais été médiatisé par les grands medias, on a toujours foncé tête baissée. On a démarré les premiers festivals avec les groupes Martin Circus ou Triangle en 1970-71. On se retrouvait parfois sans le sou parce que l’organisateur du festival s’était barré avec la caisse ! C’était les tout débuts, et ça a ouvert des portes à plein de choses par la suite. Quand Higelin est venu nous voir à Lyon en 1977, il a été époustouflé. Tous ces gens qui venaient de la rive gauche n’étaient pas trop pro-rock. Ils ne pensaient pas que le français puisse s’adapter à du rock progressif.
On vous a souvent appelé les Genesis français
Dans la presse spécialisée en France, il y a toujours ce "un tel à la française". On ne dit jamais d’un chanteur anglo-saxon qu’il est un Brassens anglais. En ce qui concerne Genesis, on a démarré ensemble, on ne se connaissait pas, on s’est même retrouvé sur une même scène (au Reading Festival le 26 aout 1973 – NDLR). On ne connaissait pas leur musique, et en fait on a évolué en même temps, en parallèle. Les journalistes ont trouvé cette formule parce que Peter Gabriel portait des masques et que je le faisais aussi. Mais c’était vraiment une coïncidence.
On est des enfants de Procol Harum, King Crimson plus que de Genesis. Un titre comme Salty Dog m’a donné l’envie d’écrire Capitaine cœur de miel sur Guet-Apens. Même si les deux personnages n’ont rien à voir, c’est l’ambiance qui se dégageait du morceau qui nous a inspirés.
Après la tournée d’adieu avec la première formation en 1995, le groupe est passé à une nouvelle ère ?
Oui. Je voulais dire adieu à mes premiers compagnons, mais j’avais bien l’intention de continuer. Mon fils a pris la place de mon frère aux claviers, et on a démarré autre chose qui existe depuis vingt-cinq ans. C’est-à-dire la deuxième moitié de ces cinquante ans finalement. Pour les anciens morceaux, certains n’ont pas été modifiés, et d’autres ont été complétement revisités. D’ailleurs dans le public, certains nous en veulent pour ça, mais ils nous en veulent même d’avoir changé physiquement ! (rires)
On a prévu de faire un nouvel album en 2021
Christian Décamps
Certains voudraient rester figés dans le passé ?
Oui c’est parfois dangereux. Ce qui est important c’est de vivre ce rêve. Comme disait l'écrivaine Virginia Wolf, "La vie n’est qu’un rêve, c’est le réveil qui nous tue". On vient de l’imaginaire, on repart à l’imaginaire, on est sur le fil d’un funambule, et on avance… Je trouve ça excitant pour un artiste, de se retrouver dans cette situation dangereuse, entre jouissance et souffrance. C’est ça Ange : plein de gens sont montés sur ce navire, ce vaisseau spatial, et ont fait que ce groupe est encore là maintenant, et se porte bien. On a prévu de faire un nouvel album en 2021. On se devait de fêter ce cinquantenaire. Et au Trianon on va enregistrer les deux concerts, et un coffret DVD sortira de cet évènement (comme ça avait déjà été le cas pour les quarante ans le 31 janvier 2010, NDLR).
Si vous deviez retenir une ou deux choses de ces cinquante ans ?
Avoir tourné avec Hallyday en 1972. Ça ne s’appelait pas première partie, mais "lever de rideau". On ouvrait la scène. Ça durait 25 minutes. On a joué une soixantaine de concerts avec lui, alors qu’au départ son manager lui avait dit : "Tu verras, ces mecs-là devant toi, ils ne tiendront pas trois jours". Et on est devenus vraiment amis, et c’est un type que j’ai adoré rencontrer, d’une extrême gentillesse et d’un vrai respect.
En 1973, au festival de Reading en Angleterre, on a eu droit à une standing ovation à deux heures de l’après-midi devant 30 000 personnes et c’était très impressionnant. Des grands frissons. Et puis être félicité en descendant de scène par Carl Palmer et Greg Lake (du trio ELP, NDLR) ça faisait plaisir. Malheureusement, les journalistes de la presse spécialisée française étaient au restaurant et ils ne nous ont pas vus ! (rires) On n’avait pas de bol. C’est pour ça que je dis qu’on est le groupe français le plus célèbre à être passé inaperçu (rires) !
Côté albums, Au-delà du délire a été un véritable album de groupe. Guet-Apens a marqué un tournant dans notre carrière. Je n’oublie pas Emile Jacotey qui a été spécial dans notre carrière.
Je sais que vous n’en aimez pas trop la deuxième face
C’est pour ça qu’on l’a revisité. On n’avait pas le temps à cette époque. Il fallait qu’on fournisse un album par an, et on tournait 150-200 concerts par an dans toute l’Europe. On créait pendant les balances. Et la deuxième face, on a dû la créer en studio. Ce sont des bonnes maquettes, mais il fallait les retravailler. Bon ça n’a pas empêché l’album de faire disque d’or en trois semaines.
Il a un peu un statut culte
Oui, surtout par le personnage. Un symbole de la sagesse ancestrale. On l’a rencontré par hasard, via une petite cousine à moi. Au départ l’album devait s’appeler Le livre des légendes, et puis je me suis dit : pourquoi on ne l’appellerait pas Emile Jacotey ? Rendre célèbre un anonyme. On l’a enregistré, il nous racontait ces histoires. Et puis il avait aussi une mirabelle merveilleuse, c’est un reflet de la Franche-Comté, le pays d’où on vient.
Et puis bien sûr il y a eu cette fameuse reprise de Ces Gens-là de Brel (sur l’album Le cimetière des Arlequins, NDLR) J’entendais des personnes qui pensaient que la chanson était de vous, ce qui prouve à quel point vous avez su vous l’approprier et l’incarner pleinement...
On l’a fait connaître au grand public. On avait la pression de la maison de disques qui nous demandait de ne pas faire trop long pour que ça puisse passer en radio. C’est pour ça qu’on a remplacé le dernier couplet sur Frida par un solo de guitare. Et puis on ne sentait pas franchement le personnage de Frida, à l’époque. Maintenant quand je le joue en solo, je chante le passage sur Frida.
On a dit à Brel "on n’a pas osé te voler Frida" et il a complétement compris. Mais il a fallu qu’on lui demande l’autorisation, car normalement on n’a pas le droit de mutiler une chanson. Il a écouté et il a dit : "Là je me sens vraiment comme un auteur-compositeur". Il était ravi de ne pas avoir été cloné.
On ne nous a jamais demandé de venir participer à une émission ou un disque hommage à Brel. Mais on est fier de l’avoir fait de son vivant, c’était important pour nous. Il fait partie des gens qui m’ont donné envie de chanter et d’écrire. Il y a deux types qui m’ont impressionné et vraiment donné l’envie de m’allumer sur scène, ce sont Brel et Roger Chapman de Family. Être habité par ses textes, c’est ça qui est important.
Ange sera sur scène cette année, ce sera assurément l'un des grands évènements musicaux de 2020.
Ange - Tournée 50 ans - Dans toute la France
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