Aux Nuits de Fourvière de Lyon, Air rejoue "Moon Safari" et nous embarque dans une odyssée céleste nostalgique

Les légendes de la French Touch Air confirment sur scène que leur premier album aux climats oniriques reste aussi frais et intemporel que lors de sa sortie il y a vingt-cinq ans.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Le groupe Air rejoue son album "Moon Safari" (1998) sur scène aux Nuits de Fourvière, le mardi 18 juin 2024. (PAUL BOURDREL / NUITS DE FOURVIERE)

Les Nuits de Fourvière ne craignent pas le grand écart. La veille, le Grand théâtre gréco-romain accueillait le tandem Justice, et ce flambeau de la French Touch 2.0 nous propulsait à grande vitesse dans le futur, avec un show dantesque et tapageur. Mardi 18 juin au soir, en ce même lieu, le duo Air, héros de la French Touch originelle, nous téléportait à l’inverse tout droit dans le passé, et sur coussin d’air s'il vous plaît, en rejouant son premier album, l’impérissable Moon Safari, paru en 1998.

Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, restés absents des scènes durant sept ans, ont embarqué en février pour une longue tournée internationale dans laquelle ils interprètent chaque morceau de ce classique, dans l’ordre, et de façon la plus fidèle possible au disque, un ovni de pop rétro-futuriste dont le succès fut immédiat, en particulier chez les Anglo-Saxons.

"C’est la première fois que nous jouons ces morceaux de la même façon que sur l’album. Parce que durant la première tournée, il y a 25 ans, on les jouait dans des versions différentes", soulignent les deux musiciens, rencontrés peu avant le concert. "À l’époque, on voulait du nouveau chaque semaine. Aujourd’hui, on a une telle distance, un tel recul par rapport à l’œuvre, qu’on peut la jouer telle quelle. Moon Safari ne nous appartient plus. Il appartient au zeitgeist [à l’air du temps]."

Alunissage en douceur

Dès les premières mesures de La Femme d’Argent, Nicolas Godin à la basse et Jean-Benoît Dunckel sur ses claviers, accompagnés du batteur de tournée Louis Delorme à l’efficacité discrète, nous projettent en douceur dans un hier voluptueux. Pour qui a usé cet album en son temps, impossible de ne pas sentir ses poils se hérisser d’émotion en retrouvant le point d’entrée de ces 45 minutes rêveuses qui ont bercé tant de nouveau-nés et accompagné tant de levers et de couchers de soleil idylliques.

Accueilli par les cris de joie du public, le hit Sexy Boy, bien moins atmosphérique que son prédécesseur, reste d’une incroyable fraîcheur et fait se redresser les quatre mille deux cents spectateurs comme un seul homme.

Jean-Benoît Dunckel (à gauche) et Nicolas Godin de AIR, saluent la foule des Nuits de Fourvière venue les applaudir, mardi 18 juin 2024. (PAUL BOURDREL / NUITS DE FOURVIERE)

Amoureux et collectionneurs de longue date d’instruments analogiques avec une âme, ces fabuleux Moog, Korg, et autres Fender Rhodes, Jean-Benoît et Nicolas alternent tout du long avec les instruments digitaux, un mélange qui fait aussi la singularité de leur musique depuis le début. Nicolas tient la basse et la guitare, mais aussi certains claviers et l’harmonica (sur Ce matin-là), tandis que Jean-Benoît se tient souvent entre deux claviers, un pour chaque main.

Sur All I Need, la délicieuse chanteuse américaine Beth Hirsch est remplacée par le duo au vocodeur. L’exercice s’avère délicat et la charge émotionnelle du morceau s’en trouve diminuée. Beth Hirsch manquera encore cruellement sur You Make it Easy et ce sera le seul regret de ce concert, qui déroule avec grâce Kelly Watch The Stars et ses myriades sonores dédiées à la série Drôles de Dames, le somptueux Talisman et ses arrangements de cordes cinématiques, les célestes Remember et New Star in the Sky, et l’hommage enjoué aux shows télé pour petits tels les Barbapapa de Ce matin-là.

Aux portes du paradis perdu

Appuyer ainsi résolument sur la touche rewind est un geste plein de nostalgie, pour le groupe comme pour le public. Moon Safari apparaît comme un paradis perdu, un cocon sonore ouaté dans lequel il fait bon se lover en ces temps troublés. Pour autant, cet album aux mélodies aériennes est un intemporel. Il l’était dès sa parution et il le reste. Quant à la nostalgie, elle était présente dès l’origine. "Avec ce disque, on disait au revoir au monde de notre enfance", nous confirme Nicolas Godin. "On comprenait, on pressentait, que tout ce qu’on nous avait vendu, notamment l’an 2000, allait passer à la trappe. Moon Safari c’est un peu une vision nostalgique de ce rêve qu’on avait vers 7-8 ans."

Un fantasme des années soixante-dix, qui promettait à l'humanité de naviguer dans le cosmos, vêtue de tenues aussi immaculées que le trio ce soir, à bord d’engins spatiaux aux angles arrondis glissant sans bruit entre la Lune et les étoiles. Le dispositif scénique de cette tournée, à la fois simple et sophistiqué, retranscrit à merveille cette conquête spatiale à hauteur d’enfant.

Les musiciens évoluent dans une boîte rectangulaire, ouverte à l’avant, un antre lumineux doté d’un ingénieux dispositif de miroirs et d’écrans en fond de scène, avec une féerie de couleurs et d’effets – nuageux, étoilés, rougeoyants, graphiques, animés de bouches pop ou de jeux vidéo d'arcade. Le clin d’œil au vaisseau de 2001 l’Odyssée de l’espace devient particulièrement saisissant lors de la projection de planètes et de météorites s'approchant et s'éloignant lentement.

Le vaisseau scénique de AIR sur la tournée Moon Safari 2024, posé dans le Grand théâtre gréco-romain qui sert de cadre au festival des Nuits de Fourvière, le 18 juin 2024. (PAUL BOURDREL / NUITS DE FOURVIERE)

À l’issue des 45 minutes enchanteresses de Moon Safari, Air ne nous fausse pas lâchement compagnie. Au contraire. Il prolonge le plaisir en piochant dans ses albums Talkie-Walkie (beaucoup) et 10 000 HZ Legend (un peu), avec un détour par les B.O. des films de Sofia Coppola.

On n’aurait pas forcément fait les mêmes choix qu’eux, mais on applaudit le bouleversant Highschool Lover de Virgin Suicides et Alone in Kyoto entendu dans Lost in Translation, tandis que Don’t Be Light révèle toute son intrigante noirceur, sœur de celle de Tim Burton. Le très Kraftwerk Electronic Performers, dont la mélancolie hypnotique referme idéalement le show, sonne comme un message : bye bye innocence, hello gravité. Une promesse de future tournée ?

Air poursuit sa tournée Moon Safari autour du monde, elle passe en France le 24 juin à Paris au festival Days Off à la Philharmonie, le 13 juillet à Montpellier au festival Radio France Amphi d'O et le 17 août à Saint-Malo à la Route du Rock.

Les Nuits de Fourvière se tiennent à Lyon jusqu'au 25 juillet 2024

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