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En Iran, le net et la culture foisonnent sous contrôle

En Iran, poètes, chanteurs et philosophes sont les personnes les plus admirées. Mais à l’image d’internet, la culture doit composer avec la censure pour s'exprimer.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
  (Le chanteur King Raam de retour en Iran après plusieurs années d'exil © Rezalution Photography)

Il est impossible en Iran de produire une œuvre, quelle qu’elle soit, seul dans son coin, sans filtre, sans contrôle préalable. "Que vous soyez un écrivain, un dramaturge ou un cinéaste, avant de produire votre travail, vous devez obtenir les validations d’une commission spéciale qui dépend du ministère de la Culture" , explique Mahmoud Azizi acteur de théâtre renommé en Iran.

 

"Il arrive souvent que les membres de cette commission lisent un scénario et exige des changements avant que le film puisse se tourner" , ajoute-t-il. Quelquefois, même après modifications, l’autorisation de tournage est refusée.

Contourner les interdits

Lorsqu’on lui demande son avis sur ce système de contrôle de la création, Mahmoud Azizi ne se livre pas à une critique frontale. "J’ai choisi de travailler dans ce pays. Pour le moment, je dois donc composer avec ce fonctionnement. Tous les artistes, ici, acceptent ces règles", dit-il sobrement.

 

Mais les artistes iraniens s’accommodent de cette situation en jouant parfois un peu des interdits, en les contournant habilement. L’illustration en est le film de Jafar Panahi, Taxi Téhéran . Il a l'interdiction de réaliser des films. Alors il a produit un ovni, mi-reportage, mi-fiction. Il se filme lui-même au volant d’un taxi de la capitale avec des caméras miniatures dissimulées à l’intérieur.

Le corps des femmes reste un tabou

Les grands tabous que les artistes sont priés de ne pas briser? La politique et la religion. Et puis, il y a le corps des femmes. On ne doit voir que le visage et les mains. Alors, les chaînes de télévision rajoutent des vêtements, en dessins grossiers sur l’écran. La même technique est adoptée pour la diffusion des Jeux Olympiques : une bande noire barre la ligne de départ du 100 mètres, en athlétisme comme en natation.

Ces restrictions et contraintes pour les artistes et auteurs n’ont pas dissuadé Raam, exilé aux Etats-Unis pendant sept ans, de rentrer dans son pays il y a un an et demi. Chaque midi, ce chanteur de 34 ans descend avec cinq copains de son âge un escalier bringuebalant qui mène à une discrète cave dans un quartier du nord de Téhéran. Des pans de velours sombres recouvrent les murs. C’est là qu’ils créent, qu’ils s’évadent. Trois guitares, un clavier une batterie et beaucoup d’envie. Ils enchaînent des morceaux mélancoliques et des airs plus rock.

 "Vivre de l’intérieur les réformes"

Jeans slim, lunettes à la mode, Raam a un look de hipster new-yorkais. "J’ai beaucoup voyagé depuis mon enfance notamment au Canada et aux Etats-Unis, revenir à Téhéran a été un choix réfléchi. Je voulais être là pour vivre de l’intérieur  les réformes, les changements qui animent en ce moment mon pays" , confie le trentenaire optimiste pour l’avenir de l’Iran depuis l’élection en 2013 du président Rohani. Il invite même les autres artistes exilés à tenter l’aventure du retour.

 

"Vous trouverez nos albums sur Spotify et iTunes" , tient à souligner Raam dont le nom de scène est en fait King Raam. Agacé de la réputation dont souffre son pays, agacé des clichés sur le système iranien, il souhaite avec son groupe donner une "autre image"  de l’Iran. Pour cela, les six garçons font de plus en plus de tournées au Moyen-Orient et en Europe. Raam chante en farsi et en anglais des textes d’amour. Ses chansons parlent aussi des "barrières à transcender ". Tout est métaphorique. Pas question d’avoir des textes clairement engagés.

 

Ceux qui s’y risquent en payent parfois le prix cher. Dans un tout autre registre musical, le groupe iranien Confess, groupe de heavy metal a vu deux de ses membres arrêtés en novembre. Une de leur chanson jugée anarchiste et blasphématoire va leur valoir un procès. Ils risquent  la peine de mort.

Internet sous le filtre de la censure

Les artistes iraniens ne sont pas les seuls à devoir composer avec la censure. L’internet est lui aussi soumis à des restrictions dans le pays. Comme en Chine, certains sites sont bloqués en permanence comme Facebook, Twitter ou Youtube. Impossible de se connecter non plus aux sites des médias israéliens et de nombreux médias américains. Il y a également des blocages ponctuels sur certaines pages ou articles précis, avec un filtrage des contenus. La police d’internet, baptisée "Fata", fait un filtrage des contenus par mots-clés.

 

Mais encore une fois, les Iraniens rusent et déjouent la censure grâce à ce qu’on appelle des VPN. Il suffit de télécharger une de ces applications. Une fois en route, l’internaute bascule sur une autre adresse IP, dans un autre pays du monde où l’internet est libre. Plus aucun filtre. C’est vraiment très simple. Beaucoup d’Iraniens utilisent ce système de manière assumée. Les autorités ferment apparemment les yeux. Comble de l’ironie,  le , et le ont eux-mêmes leur compte twitter sur lesquels ils délivrent des messages à des citoyens qui ne sont pas censés pouvoir les lire.

Branchés sur l'actualité internationale

Grâce à ce système de VPN, de plus en plus de jeunes accèdent à la musique, mais surtout à l’actualité internationale. Quand on parle d’élections à Yasser, graphiste de 26 ans, il se fiche bien du scrutin iranien de vendredi. Lui qui se branche chaque jour sur radio Farda - une radio d’Iraniens en exil aux Etats-Unis - préfère parler des primaires américaines!

 

"Je n’aime pas Donald Trump qui répand sa haine des musulmans. En revanche, j’adore Bernie Sanders, le démocrate. Je voudrais qu’il soit le prochain président américain" , explique le jeune homme. Il se gardera bien toutefois de se confier sur ce sujet sur les réseaux sociaux. Les Iraniens veillent plus que les autres aux informations et images qu’ils diffusent sur la toile.  En la matière, la prudence est de mise.

 

Le gardien de l’équipe nationale de football en a fait les frais. Des photos de lui ont circulé. On le voit enlacé par deux femmes sexy sans voile. La police des mœurs l’a arrêté et enfermé quelques jours. Il attend son procès. Son club le FC Persépolis n’a pas attendu pour le limoger.

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Législatives : vers une victoire des conservateurs

France Info pose ses valises ce jeudi en Iran à la veille des élections du Parlement et du conseil des experts, ces 88 sages religieux censés nommer et éventuellement démettre le guide suprême. L'ayatollah Ali Khamenei a 76 ans. La question de sa succession commence à se poser.

La liberté sous le voile

Le port du voile (le hijab) est obligatoire dès l’âge de 9 ans. Les femmes, qui représentent la moitié de la population, ont encore besoin de l’autorisation de leur mari pour voyager, pour travailler, pour hériter. Pourtant, malgré les contraintes que leur impose la République islamique, elles gagnent chaque jour de nouveaux espaces de liberté.

 

Pour Peugeot, un retour en terrain connu

Les entreprises françaises entendent profiter de la levée des sanctions contre l’Iran, à commencer par les constructeurs automobiles. Les Iraniens achètent un million de voitures chaque année : un marché alléchant ! Renault négocie deux partenariats. Mais c’est Peugeot qui va faire le plus gros investissement.

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