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Festivals de musique : la situation est-elle si désespérée ?

Du petit rassemblement champêtre à la grand-messe rock, l'ambiance est morose dans le milieu des festivals de musique à quelques jours de la saison d'été. En cause : des financements publics en baisse.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
Un concert du festival Django Reinhardt, le 25 juin 2011, à Samois-sur-Seine (Seine-et-Marne). (ANTHONY VOISIN)

A Meaux (Seine-et-Marne), cette année, septembre sera plus triste qu'à l'accoutumée. Finie l'effervescence qui s'empare du centre-ville à chaque fin d'été : le festival Muzik'Elles qui, depuis 2005, attirait 6 000 personnes par soir, n'aura pas lieu en 2015. Un cas loin d'être isolé. De nombreux rendez-vous, comme les Voix du Gaou, à Six-Fours (Var), ou l'Hadra Trance festival, de Lans-en-Vercors (Isère), ont jeté l'éponge. Francetv info s'est penché sur le sort des festivals français. La situation est-elle si inquiétante ? 

Oui, c'est vrai, il y a moins de festivals

A l'orée de l'été, une saison qui concentre près de la moitié des événements, le sort des festivals inquiète, à cause notamment du désengagement financier des pouvoirs publics. Début 2015, la diffusion d'une "cartocrise" de la culture, élaborée par une médiatrice culturelle, a alimenté cette crainte : près de 200 festivals, structures et associations culturels ont mis la clé sous la porte depuis mars 2014, indique le document. 

De quoi faire frémir le secteur. Pourtant, ce chiffre est à prendre avec précaution. "Sur cette cartocrise, on ne voit pas les festivals créés, on trouve des événements qui ne sont pas supprimés mais suspendus, et d'autres qui ont fusionné, explique Bénédicte Dumeige, directrice de France Festivals, fédération qui regroupe 80 événements dans l'Hexagone. Mais surtout, certaines structures ne sont pas des festivals."

En l'absence de définition officielle du terme "festival", il est difficile d’en établir le nombre exact et encore plus de déterminer ceux qui ont disparu. En 2014, le Centre national de la chanson, de la variété et du jazz a recensé 1 615 festivals de musiques actuelles, c’est-à-dire hors musique classique, théâtre ou arts de la rue. Depuis 2013, le CNV relève également le nombre de disparitions et de créations. On dénote bien un solde négatif en 2014, mais à un degré moins alarmant que celui décrit par la cartocrise. 

Si elle ne reflète pas la réalité des festivals, "la cartocrise reste quand même intéressante, car elle permet de poser le débat, estime le chercheur Emmanuel Négrier, auteur de Festivals de musique(s), un monde en mutation. Car il est clair que la fenêtre d’opportunité pendant laquelle les grands festivals sont nés, on ne la retrouvera pas de sitôt."

Une référence aux années 1980, période dorée pour les festivals, durant laquelle le soutien de l'Etat à la culture a permis la naissance de nombreux événements, avant que la décentralisation accentue le phénomène en offrant de nouvelles possibilités de financement, au niveau local. Si bien qu’aujourd’hui, les subventions publiques représentent près de la moitié du budget moyen d’un festival, avec les communes et les régions en premiers contributeurs. 

C'est à cause de la baisse des subventions publiques...

Avec la crise, la dépendance aux subventions publiques s'est transformée en vulnérabilité, malgré le succès grandissant des festivals auprès du public. "On a mené une enquête auprès de 35 de nos adhérents, et la tendance est clairement à la baisse, ou au mieux, au maintien des budgets", concède Bénédicte Dumeige. Beaucoup d'acteurs culturels y voient la conséquence directe de la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales, un coup de rabot de 11 milliards d’euros d’ici à 2017 répercuté par les collectivités sur les budgets culturels, donc sur les subventions accordées.

C'est le cas à Meaux (Seine-et-Marne), où les Muzik'Elles n'ont pas survécu aux choix budgétaires de la mairie dirigée par Jean-François Copé. "A la rentrée 2014, la ville a dû financer la réforme des rythmes scolaires, à hauteur de 780 000 euros, soit exactement ce qu'elle versait au festival, dont le budget avoisine le million d'euros, explique le directeur des Muzik'Elles, Pierre Corbel. Avec la baisse des dotations de l'Etat, organiser le festival est devenu impossible."

En revanche, le prestigieux festival de jazz Django Reinhardt, organisé fin juin sur la bucolique île du Berceau, à Samois-sur-Seine (Seine-et-Marne), est passé entre les gouttes, malgré trois jours de pluie qui ont failli le mettre à terre. "C'était un cauchemar, se souvient le président Jean-Pierre Guyard. On n'a pas atteint les 14 000 entrées, et on s'est retrouvé avec un trou de 60 000 euros. On a cru qu'on n'y arriverait pas pour 2015Et puis la mairie et le conseil général ont consenti un effort, mais on sait qu'on a eu de la chance."

Si certains parviennent donc à s'adapter, la liste des victimes de la baisse des subventions pourrait encore s'allonger en 2016, avec la réforme territoriale"Si deux régions fusionnent, et qu'elles ont deux visions différentes de l'investissement culturel, qui va l'emporter ?, s'interroge la sénatrice PRG Françoise Laborde, vice-présidente de la commission culture au Sénat. C'est un peu l'inconnu. Mais les politiques devront jouer leur rôle, car on ne parle pas que de culture, on parle aussi de défense d'un territoire." 

... mais aussi de l'alternance politique dans les mairies et les départements

A cette cure d'amaigrissement imposée par le pouvoir politique s'ajoute un calendrier électoral qui vient rendre la situation plus complexe. "Avec les municipales de l’an passé, marquées par beaucoup de changements de bord, les départementales en mars et les régionales en décembre, tout est bloqué", explique la sénatrice Françoise Laborde.

"A cause des élections, les budgets, et donc les subventions accordées, sont définis très tard, poursuit Bénédicte Dumeige. Alors que pour réserver un artiste, un festival doit parfois s’y prendre un an à l’avance. C’est un casse-tête pour les organisateurs qui doivent signer des contrats sans savoir de quelles ressources ils disposeront le jour J."

Ce climat d’austérité permet également aux mairies de trouver des raisons pour opérer des réorientations culturelles. Ainsi, à Versailles, le modeste festival Le Potager du rock, organisé fin juin depuis huit ans, a définitivement mis la clé sous la porte. "Pour l’édition 2015, la mairie ne nous a donné que 500 euros de subventions, regrette Luc Ardaillon, président d’Universailles, l'association qui organisait le festival. Mais surtout, on nous a refusé ce qui faisait l'intérêt du festival, une scène en plein air, pour des raisons budgétaires."

"Nous n'avions pas les moyens, avec ce qu'impliquent les nouvelles contraintes de Vigipirate, d'assurer la sécurité de cet événement, rétorque Jean-Marie Guinebert, directeur des affaires culturelles de la ville. Pourtant, le budget culture de la ville est passé de 7,8 millions d’euros en 2014 à 8,2 millions en 2015. "Ça prouve bien qu'on ne veut pas sacrifier la culture, au contraire", remarque Jean-Marie Guinebert. Il explique préférer "favoriser un terrain", avec des "groupes d'électro-pop en résidence", avant de se lancer dans la démarche festivalière.

Les subventions ne vont pas disparaître...

Un festival, pourtant, constitue un apport économique assuré. Dans une étude axée sur le Languedoc-Roussillon, le politologue Emmanuel Négrier a défini que, pour un euro d'argent public investi, un festival de musique ou de danse rapporte 7 euros au tissu économique local. "A l'approche du festival [Django Reinhardt], tous les hôtels de la région sont pleins, et les restaurants débordent", confirme Didier Maus, le maire de Samois-sur-Seine.

En cas d'annulation, le manque à gagner s'établit également en terme d'emplois pour les musiciens, chez qui les festivals représentent la moitié des revenus, mais aussi pour le personnel intermittent et les salariés locaux. "Chaque année, on avait besoin de chauffeurs, de cuisiniers, et on sollicitait Pôle emploi pour embaucher des jeunes", explique Pierre Corbel, le directeur des Muzik'Elles de Meaux.

"Avant, les organisateurs de festivals venaient d'ailleurs, mais ils se sont de plus en plus enracinés pour devenir de vraies entreprises locales, confirme Emmanuel Négrier, qui se veut néanmoins optimiste. Je ne crois pas que les élus locaux vont arrêter brutalement de financer les festivals. C'est trop important en termes d'apport, mais aussi d'image."

Pour encourager les collectivités à rester mobilisées, le gouvernement propose des "pactes culturels" : si un maire ne touche pas à son budget culture, l'Etat maintient ses aides dans ce domaine pendant trois ans. Mais un festival doit voir plus loin et s'émanciper, selon Emmanuel Négrier : "Se dire 'l'argent va finir par revenir', ça ne marche pas. Il faut évoluer, s'adapter, et quand la baisse des subventions est faite progressivement, c'est possible."

... mais inventer un autre modèle économique est devenu une nécessité

Le festival qui veut survivre doit donc changer de  modèle économique. A Meaux, le festival Muzik'Elles reviendra en 2016, si son directeur y parvient. "On y travaille, explique Pierre Corbel, mais on ne veut pas augmenter le tarif du billet [15 euros], parce que la crise touche aussi le public." D'autres solutions s'offrent à l'organisateur qui veut diversifier ses ressources : moins dépenser en communication, augmenter la jauge (le nombre de places), développer le merchandising, proposer un financement participatif au public, ou encore rationaliser les frais artistiques en misant sur des musiciens en tournée plutôt que sur des exclusivités (plus chères). 

L'idéal reste d'appâter davantage de partenaires privés, qui profitent de la défiscalisation offerte aux mécènes par la loi Aillagon de 2003. Mais s'ouvrir aux entreprises a ses limites, selon Emmanuel Négrier : "A de rares exceptions près, ça concerne toujours du mécénat local, qui est limité. Mais surtout, il faut être attentif aux contreparties demandées par les entreprises : les concerts privés, les invitations, ou un choix d'artistes imposé, ce qui peut au final coûter plus cher."

Le risque, en misant sur le sponsoring, est de modifier la nature d'un festival. A Barcelone, l'immense festival Primavera, organisé début juin, s'appelle désormais le Heineken Primavera Sound. La bière n'y est pourtant pas moins chère qu'ailleurs. "Il faut se méfier parce que le phénomène arrive en France, regrette Bénédicte Dumeige. On voit poindre de très gros festivals qui misent sur 'l'entertainment' [le divertissement] plus que sur l'artistique, et dont l'objectif est commercial." 

Au festival Django Reinhardt de Samois-sur-Seine, on défend un esprit d'authenticité et de proximité avec le public, loin de la standardisation des festivals, à l'image de ces musiciens amateurs qui se mêlent à des professionnels. (ANTHONY VOISIN)

Jean-Pierre Guyard, président du festival Django Reinhardt, raconte comment une grande marque de bière hollandaise qui compte s'implanter en France a tenté de nouer un partenariat exclusif avec lui. "Ils nous proposaient des barnums et tout un tas d'animations. Mais ce n'est pas dans l'esprit de ce que l'on fait. On n'a pas l'ambition de devenir un truc énorme."

D'ailleurs, les festivals à taille humaine sont la nouvelle tendance prisée par le public. A l'image des "boutiques festivals", moins grands et moins standardisés que les grosses machines, comme les décrit Le Monde (article payant), les Eurockéennes de Belfort ont aujourd'hui "une lisibilité plus forte" après avoir réduit la voilure en passant de 80 groupes en 2014 à 60 en 2015, d'après le directeur Jean-Paul Roland, sur France Inter.

Chaque festival se bat donc comme il peut et, c'est certain, il y a de la casse. Mais est-ce forcément négatif ? Autrement dit, comme le formule Emmanuel Négrier : "Est-ce qu'il n'y a pas trop de festivals ? Tous ne seront pas impactés de la même façon par cette crise : ce sont les festivals qui manquent de fond artistique et de capacité à se renouveler qui risquent de disparaître. Car plus que les subventions de l'Etat, c'est la demande, le public, qui va faire évoluer l'économie de ces structures et les sauver."

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