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"L'idée de ma mère, c'est de donner le plus gros morceau à ma sœur" : des enfants déshérités témoignent

Le tribunal de Nanterre doit trancher, vendredi, sur le gel des avoirs de Johnny Hallyday. Deux de ses enfants, David et Laura, estiment qu'ils sont déshérités. Nous avons recueilli le récit de personnes qui, elles aussi, affirment avoir été lésées lors d'une succession.

Article rédigé par franceinfo - Lison Verriez
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Une notice d'explication du ministère du Budget français sur les droits de succession, en 2018. (GILE MICHEL/SIPA)

"Quand l'affaire Hallyday est sortie, on a bien ri, avec ma femme. On s'est dit que Laeticia avait pris des leçons de belle-maman." Jean-François Robinet, 62 ans, fait partie de ces Français qui s'estiment lésés au moment de l'héritage. Au téléphone, il sourit mais redevient sérieux lorsqu'il évoque la succession dont il dit avoir été privé : "Mais ça nous interpelle : on se rend compte qu'à volume réduit, c'est une situation qui arrive souvent."

L'histoire de Laura Smet et David Hallyday a eu un écho particulier pour Jean-François Robinet, qui a répondu à notre appel à témoin. Les deux aînés de Johnny sont suspendus à une décision de justice pour régler la succession de leur père. De son côté, Jean-François Robinet raconte être en attente, depuis 2016, de voir s'ouvrir la succession pour espérer récupérer son héritage. Pour lui, pas de trust, mais un conflit ouvert et inattendu avec sa belle-mère.

En France, "techniquement, la loi ne permet pas à un parent de déshériter un enfant", explique à franceinfo la notaire Nathalie Couzigou-Suhas. Et pourtant, François Robinet n'est pas un cas unique.

"C'est comme ça qu'on zappe les héritiers"

A défaut d'un "déshéritage" complet, "on peut diminuer l'héritage", explique Philippe Delaitre, directeur de l'ingénierie patrimoniale chez masuccession.fr.

Les mécanismes sont nombreux pour cela. Pour Johnny Hallyday, une résidence permanente en Californie et des montages financiers. Dans des familles moins célèbres, des dons d'argent ou de biens avant de mourir, une souscription à une assurance-vie au bénéfice de la personne de son choix, ou plus simplement un testament... Toutes ces méthodes permettent au parent d'avantager quelqu'un d'autre ou même de déléguer la gestion de son héritage.

Jean-François Robinet connaît bien cette situation. Ce cadre de la fonction publique est un héritier en attente d'héritage. En octobre 2016, au moment du décès de son père, qui s'était remarié, c'est la douche froide. Il raconte que non seulement il n'a pu revoir ce père malade d'Alzheimer depuis 2011, mais, alors qu'il "ne se doutait de rien", il comprend que sa belle-mère va l'écarter de la succession. "En 2009, mon père avait signé un Mandat de protection future au profit de ma belle-mère." Cet outil, proche de la tutelle, permet au mandataire de gérer les intérêts personnels et le patrimoine d'une personne, lorsque celle-ci n'est plus en état de le faire.

La belle-mère de Jean-François Robinet vend la maison de famille, "la maison où j'allais en vacances quand j'étais petit, que mes grands-parents ont reconstruite eux-mêmes, où mes enfants venaient régulièrement quand ils étaient enfants..." Et lui ne voit pas la couleur de l'argent.

Depuis le décès de son père, il raconte que la procédure de liquidation de la succession est en attente. "Il faut que le mandataire fasse le nécessaire auprès du notaire. On en a vu trois, on est passés par trois avocats... C'est comme ça qu'on zappe les héritiers."

Ce ne sont pas des biens qui ont une grande valeur, je ne suis pas dans une situation [financière] difficile... Mais c'est la façon dont le processus s'est mis en place et l'impossibilité pour la justice d'intervenir qui est difficile.

Jean-François Robinet

à franceinfo

En attendant, il explique ne pas avoir accès à la part qui devait lui revenir. Car Jean-François Robinet est bel et bien un héritier : selon la loi, il doit toucher une partie du patrimoine qui lui est réservé en tant qu'enfant. Amer, le cadre sait que les procédures peuvent encore durer dix ans. Une démarche longue et pénible pour les enfants, comme l'atteste Isabelle Santoni-Baliant, avocate au cabinet Picovschi, spécialisé dans les successions : "Il faut avoir les reins solides pour lancer une procédure contre son père ou sa mère, contre le conjoint survivant, contre ses frères, ses sœurs... C'est difficile, psychologiquement parlant."

Les enfants lésés

Autre cas de figure, bien plus courant : les enfants désavantagés dans la succession. Une situation que les notaires rencontrent régulièrement, car le droit français permet de déséquilibrer un héritage. Par exemple, une fois que les parties réservées aux enfants et au conjoint sont distribuées, le parent peut disposer du reste comme il le souhaite. S'il décide de tout verser à un voisin, à une association... ou à un enfant en particulier, c'est possible. De son vivant, il peut aussi faire des donations à un enfant et pas à un autre. Bref, il a des outils pour avantager la personne de son choix... souvent au détriment d'une autre.

Isabelle Santoni-Baliant identifie plusieurs profils de familles qui font souvent appel à elle pour ce type d'affaires. Les familles nombreuses, et notamment "de l'époque des Trente glorieuses". Pour ces cas, "vous vous rendez compte que les parents de l'ancienne génération misaient souvent sur les aînés et les garçons. Donc ça se traduit par un désavantage très important" pour les femmes et les cadets.

Autre situation souvent évoquée par les notaires : les familles recomposées, "avec des papas qui disent que les enfants de la précédente union auront des choses du côté de leur mère, qu'ils sont protégés par rapport aux plus jeunes. C'est psychologique, ils considèrent que les enfants de l'union actuelle en ont plus besoin", observe la notaire Nathalie Couzigou-Suhas.

Il y a une vraie incompréhension des enfants qui ont l'impression d'être déshérités. Et ça entraîne des ravages chez eux, beaucoup de souffrance.

Nathalie Couzigou-Suhas, notaire

à franceinfo

Cécile* connaît bien ce sentiment. La mère de cette infirmière suisse de 45 ans, pourtant, est bien vivante. Mais elle a anticipé sa succession, et elle a décidé qu'à sa mort, la sœur aînée de Cécile hériterait d'une maison qui est dans la famille depuis deux cents ans. Cécile estime que la différence avec la maison dont elle-même va hériter est flagrante. Une succession qui lui paraît ouvertement déséquilibrée et assumée par leur mère. "Avec ce pacte, l'idée de ma mère, c'est de donner le plus gros morceau à ma sœur."

A ses filles, la mère explique "qu'elle ne voulait pas que les maisons soient vendues, que c'est pour ça qu'elle a partagé de cette manière, évoque Cécile. Il y a de son côté une volonté de garder le patrimoine familial, quitte à faire du mal à la famille." Leurs relations n'étaient pas au beau fixe, mais "là, c'était la goutte d'eau", explique celle qui a reçu la décision "comme un coup de massue".

Il y a forcément le message 'il y a moins d'amour d'un côté que de l'autre', à juste titre ou pas. Et aussi une incompréhension pour mes propres enfants qui seront désavantagés par rapport à leurs cousins.

Cécile

à franceinfo

L'infirmière, qui doit donner son accord pour valider cette succession, décide "d'abdiquer", pour conserver de bonnes relations avec sa sœur. Aujourd'hui, les deux sœurs n'évoquent jamais cette succession. Si Cécile raconte qu'elle a accepté cet héritage, le lien avec sa mère est quasi rompu. "Cette histoire a sonné le glas", s'attriste-t-elle.

"Souvent, ça vient d'une situation déjà dégradée, difficile avec les parents. Ou alors quand les parents décident d'avantager un enfant en estimant qu'ils rééquilibrent les choses, par exemple en donnant plus à un enfant qui a moins bien réussi dans la vie", analyse Jean-Michel Boisset, notaire installé dans le Calvados. 

Le testament parfait n'existe pas

"Les Français sont très attachés à l’égalité et c’est pour ça que, souvent, ils ne font pas de testament", indique à franceinfo Anne Gotman-Rousseau, sociologue auteure du Que Sais-je (éd. PUF, 2006) sur l'héritage. "Ils laissent faire la loi qui partagera également entre tout le monde, ils ne veulent pas avoir à choisir, à décider."

Depuis la Révolution française, c'est ce qui empêche aussi, en France, que des enfants soient totalement déshérités par leurs parents. Et cela fonctionne puisque les notaires interrogés confirment que les procédures de successions litigieuses sont bien moins nombreuses que celles qui se déroulent sans accroc. Quant aux demandes des parents pour déshériter leurs enfants, elles sont très rares : "Je ne l'ai vu qu'une fois en vingt ans de carrière", témoigne Nathalie Couzigou-Suhas.

Mais pour la sociologue Anne Gotman-Rousseau, rien de surprenant à ce que l'héritage puisse être un sujet sensible au sein des familles. "Ce sont toutes les relations familiales qui se rejouent au moment de la succession."

Les enfants peuvent considérer que cette égalité de valeur ne correspond pas à l’état des relations entre les uns et les autres, parce que c’est sa place dans la famille qui se joue quand on reçoit une part d’héritage.

Anne Gotman-Rousseau

à franceinfo

"Il y a l'égalité et le sentiment d'égalité", deux choses bien différentes, selon Jean-Michel Boisset. Ainsi, même si le prix est le même, une maison de famille n'aura jamais la même valeur sentimentale qu'un terrain ou un appartement en ville, par exemple. Et dans l'héritage, "il y a un vrai travail d'interprétation des enfants : "Ah, mais pourquoi il a laissé tel objet à mon frère ?" remarque Anne Gotman-Rousseau.

Les notaires l'observent : non seulement les enfants vivent le deuil, mais ils doivent aussi subir cette question du partage des biens. En rendez-vous, Isabelle Santoni-Baliant accueille souvent des clients en larmes, parfois frustrés après la lecture de la succession et souvent en état de choc émotionnel.

Il peut y avoir un sentiment de culpabilité. Ils se disent : 'J'ai dû faire quelque chose pour mériter ça'. C'est difficile pour eux de mettre une image négative sur leurs parents.

Isabelle Santoni-Baliant, avocate

à franceinfo

"Pour les enfants, c'est une vraie blessure, ils sont meurtris", déplore Barbara Thomas-David, notaire à Paris, qui a eu affaire à de nombreux conflits familiaux au cours de sa carrière.

"Laura Smet a découvert avec stupéfaction et douleur le testament de son père Johnny Hallyday", écrivaient les avocats de cette dernière au mois de février. "Ni bien matériel, ni prérogative sur son œuvre artistique, ni souvenir – pas une guitare, pas une moto, et pas même la pochette signée de la chanson Laura qui lui est dédiée." C'est aujourd'hui à la justice de trancher ce qu'un testament n'a pas pu régler. 

* Le prénom a été changé

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