Redressement fiscal, DJ stars et ombre de la mafia... Bienvenue dans les coulisses de l'Amnesia, la success story du clan Boudou, la belle-famille de Johnny Hallyday
André Boudou, le père de Laeticia Hallyday, a voulu construire un empire avec sa discothèque l'Amnesia. Mais de ce désir de grandeur ne subsiste que le lieu où tout a commencé : le night-club du Cap d'Agde.
"Self-made-man" pour les uns, "voyou tendance plouc" pour les autres, André Boudou divise... Stratège du clan Boudou, cet homme de 66 ans est parti de rien et tient, depuis pratiquement trente ans, l'une des discothèques les plus réputées de France, l'Amnesia. Bien connu des amateurs de soirées au Cap d'Agde (Hérault), cet établissement draine chaque été des milliers de joyeux fêtards. Racheté par "Dédou" en 1990, ce lieu est le point de départ d'un empire de la nuit qu'il a voulu étendre. Miami, Paris, Corse... des Amnesia ont vu le jour au fil des années. Mais le succès n'a pas toujours été au rendez-vous. Plongée dans ce monde nocturne où l'on croise les DJ les plus cotés, le fisc, et sur lequel plane aussi l'ombre de la mafia.
Au Cap d'Adge, la plus belle programmation de France
Le Cap d'Agde, cette station balnéaire prisée des naturistes, est le royaume d'André Boudou, depuis qu'il a racheté l'Amnesia. Rien ne prédestinait ce fils de pêcheur à se lancer dans le business "de la night". "Mes parents m'ont bien fait comprendre que je n'aurais pas d'héritage. Alors, je suis allé bosser...", confie-t-il à L'Express (article pour abonnés). A 19 ans, sans diplôme, il lance son premier établissement, Le Crabe. D'autres suivront, jusqu'à l'Amnesia en 1990, qu'il rachète à Jacky Bonnieu, son créateur. Il a alors 38 ans. Chaque été, des milliers de personnes viennent s'entasser et se déhancher dans la première boîte à ciel ouvert de France. Cet ancien pilote et rugbyman devient le roi de la nuit agathoise en surfant sur la vague naissante de l'électro.
"Les clients font la queue sur 500 mètres et attendent deux heures pour y entrer, ce n'est pas pour rien ! Ils viennent souvent de loin et choisissent aussi de passer leurs vacances au Cap d'Agde parce que l'Amnesia est là", vante un journaliste du canard local herault-tribune.com à franceinfo. "C'est une arène tellement belle, tellement grande. A 17 ans, quand je suis entré, je me suis dit que j'allais me perdre. Sans compter que c'est une des plus belles programmations de France", s'enthousiasme Benjamin Detti, un client contacté par Franceinfo.
David Guetta, Bob Sinclar, Martin Solveig ou encore DJ Snake se sont succédé derrière les platines, situées dans une cabine qui trône au sommet des gradins et cernées par les 4 000 personnes qui peuvent envahir le lieu chaque soir, de la mi-juin jusqu'à la fin août. Et pour remplir cet espace de plus de 1 000 m2, André Boudou ne lésine pas. Rien qu'en 2017, il a dépensé 900 000 euros pour s'offrir la crème des DJ. Fort de sa réussite sudiste, André Boudou tente le grand saut de l'autre côté de l'Atlantique.
A Miami, André Boudou vit son rêve américain
A la fin des années 80, fraîchement divorcé et fâché avec la France, "ce pays que je voyais devenir communiste depuis l'élection de Mitterrand", analyse-t-il dans Libération (article pour abonnés), André Boudou file à Miami, avec Laeticia, pour vivre une histoire avec "une belle Américaine" raconte l'un de ses amis à L'Express. Econduit, il touche le fond, est soutenu par sa fille et remonte la pente grâce à sa boulimie de travail. En 1993, il ouvre une deuxième Amnesia.
La discothèque que j'ai créée ici est un concept totalement différent et dans le pays de Disney, où ils ont soi-disant tout vu, je suis venu, moi, étonner les Américains avec un truc plus gros, plus fort et beaucoup mieux conçu que ce qu'ils connaissaient déjà.
André Boudoudans "Le Magazine info" de TF1 en 1995
La recette est la même qu'au Cap d'Agde : forum grec à ciel ouvert, une superficie de 4 000 m2 qui peut contenir jusqu'à 6 000 personnes. Rolls-Royce, lunettes de soleil, André Boudou savoure son succès. Sa boîte affiche un chiffre d'affaires mensuel de 600 000 dollars, lui se promène en hors-bord et réside sur Fisher Island, l'île des milliardaires. A la fin des années 90, il revend l'établissement et réalise "une coquette plus-value", écrit Bernard Violet dans son livre La Face cachée des people (éd. L'Archipel), sans en préciser le montant.
La réputation de l'établissement n'a pas souffert de l'étroite surveillance, à une époque, de la DEA, l'agence centrale antidrogue américaine, comme l'avancait Le Parisien en 2003. Comme tous les autres clubs de Miami, selon Gwendal Gauthier, rédacteur en chef du Courrier de Floride. "Il y a toujours eu des trafiquants de drogue qui fréquentaient les clubs de Miami, une ville où a vécu Pablo Escobar", nuance pour Franceinfo ce Français basé à Miami. C'est dans ce club, par l'intermédiaire de Jean Roch, autre "roi de la night", que Johnny Hallyday rencontre Laeticia. La suite, on la connaît...
En 2011, André Boudou reviendra en Floride, pour rouvrir l'Amnesia, associé, cette fois, au DJ français Bob Sinclar. Mais l'affaire tourne court, confirmant une fâcheuse tendance de cette "marque". Pourquoi une fin si brutale ? Pour une histoire d'argent. Désireux de faire des travaux et notamment de doter la boîte d'un toit pour éviter les nuisances sonores, les associés font appel à d'autres investisseurs et, un an seulement après son ouverture, l'Amnesia est rachetée par un investisseur américain. Elle devient le Story Nightclub, rapporte le site Miami.com (lien en anglais).
La Corse, le caillou dans la chaussure
Retour en France, au milieu des années 90. Si, en 1995, la vie du clan Boudou change avec l'irruption de Johnny, cette année-là est également marquée par l'ouverture d'une autre Amnesia, celle de Bonifacio. En Corse, André Boudou laisse la main à Paul Lantieri. Lui et son frère, Jean-Simon, traînent une réputation sulfureuse – ils sont catalogués "dans le domaine du banditisme" par la préfecture d'Ajaccio – mais ça n'empêche pas "Dédou" de leur céder gratuitement l'exploitation de sa franchise. "Ce sont des amis proches et des hommes d'affaires très sérieux que j'estime", justifie-t-il alors au Parisien. Les affaires tournent au vinaigre puisqu'en janvier 2000, l'Urssaf place l'établissement "en redressement judiciaire pour charges impayées", relate Bernard Violet.
La liquidation judiciaire est prononcée, quelque temps avant le bouquet final. Le 15 avril 2000, la discothèque est éparpillée façon puzzle dans l'explosion de 500 kilos de nitrate de fuel. Diverses pistes sont explorées pour expliquer ce mystérieux attentat : règlement de comptes entre familles corses ? Fraude à l'assurance ? Réaction d'opposants à la musique électronique, persona non grata sur l'île des polyphonies ? Des théories mais aucune vérité officielle. "Les mecs étaient mi-voyous mi-carambouilleurs. On ne sait pas trop si la boîte avait été mal gérée, et s'ils ont préféré tout faire sauter pour toucher l'assurance", s'interroge même Serge, ancien habitué des lieux, à Greenroom. André Boudou et Johnny Hallyday voient leur nom associé à ce fait-divers. Le chanteur était "le parrain" de la boîte et s'y était "rendu en compagnie de Laeticia afin d'en assurer la promotion", raconte Bernard Violet dans son ouvrage. Une publicité dont les deux hommes se seraient bien passés.
"L'ambiance de Miami" au pied de la tour Montparnasse
En épousant Laeticia Hallyday en 1996, Johnny découvre "un package", la famille Boudou. Lors du dîner organisé par Jean Roch à Miami, Johnny rencontre la fille et le père, André. "C'est un self-made-man, il vient du Sud. Cette légitimité d'homme d'affaires impressionne Johnny", note le journaliste Eric Le Bourhis, auteur d'un livre sur le chanteur, interrogé par franceinfo.
Johnny et André Boudou aiment les courses automobiles – le duo fera équipe lors du rallye de Tunisie en 2001 – et les night-clubs. "Ils imaginent une association dans ce domaine", témoigne Bernard Violet. Ils lorgnent sur Cannes pour implanter une nouvelle Amnesia. Malgré le soutien du maire de la ville, Maurice Delauney, l'opposition se mobilise. Une pétition circule pour empêcher le projet d'aboutir. Le coup de grâce est porté par la réglementation : "Seule la création de structures ayant une vocation portuaire, balnéaire ou nautique est possible", écrit le préfet à la mairie, rapporte Nice Matin. "Dédou" et Johnny se tournent alors vers Paris. A l'automne 2003, la star se démultiplie sur les plateaux pour faire la promotion de sa discothèque. Au pied de la tour Montparnasse (14e arrondissement), il fait la visite en avant-première pour l'émission Tout le monde en parle. "On a voulu recréer l'ambiance de Miami", annonce le rockeur.
Pas de ciel ouvert cette fois, mais une cascade, trois bars, sept mètres de hauteur sous plafond sur 1 500 m², pouvant accueillir un millier de "clubbeurs". L'Amnesia, première discothèque créée à Paris depuis les années 1970, ouvre ses portes le 1er octobre 2003. Tout le show-biz et les amis sont au rendez-vous : Michel Drucker, Jean-Claude Van Damme, Jack Lang, Eddie Barclay, les DJ Marc Cerrone et David Guetta, Loana de Loft Story ou encore le cinéaste Patrice Leconte. Cette ouverture en grande pompe reste l'unique coup d'éclat d'une aventure qui tourne au fiasco.
L'ombre de la mafia
Cette Amnesia à un prix : 4 à 5 millions d'euros, "dont on ignore la provenance exacte", détaille Bernard Violet dans son ouvrage. Johnny lui-même n'est pas au courant du montant. Au départ, il y a six associés : le chanteur, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, mari de l'actrice Clotilde Courau, un gérant d'établissements de nuit nommé Stéphane Mouangué, le beau-frère du chanteur, Grégory Boudou, et deux sociétés de droit luxembourgeois : Night Force Investment et Blue Sky Corporation. A elles seules, ces deux structures détiennent près de 95% du capital.
Rapidement, des soupçons se tournent vers la Blue Sky Corporation, dont deux actionnaires sont en fait des sociétés "offshore" basées dans des paradis fiscaux. Ce circuit financier intéresse les ex-renseignements généraux (RG), qui s'interrogent sur le profil d'André Boudou et ses fréquentations. "A l'époque, on avait peur qu'il se serve du nom de Johnny pour monter un circuit de blanchiment d'argent en lien avec le milieu corse", confie un ancien des RG à VSD. Tous les regards se tournent à nouveau vers les Lantieri. Les proches du chanteur commencent à s'inquiéter. "On se demande ce que Johnny est allé faire dans cette aventure, confie l'un d'eux au Parisien . Est-il vraiment conscient de ce qui se passe en coulisses ?"
Face aux rumeurs qui enflent, André Boudou réagit : "La participation comme actionnaire de Johnny a toujours été un clin d'œil amical, avec 5% du capital, soit 50 000 euros. De plus, le chanteur n'a jamais été caution personnelle", précise le businessman à l'AFP. Il dément également l'emprise de la mafia sur ce projet. "Johnny a servi de prête-nom, il a été le dindon de la farce, estime Stéphane Bouchet, ancien journaliste au Parisien qui a suivi l'affaire, même s'il n'y a jamais eu de preuve". Autre problème, le succès n'est pas au rendez-vous. Après le lancement cinq étoiles, le soufflet retombe. Johnny, qui promettait une présence récurrente dans la boîte de nuit, n'y est pratiquement jamais revenu.
Ça n'a pas pris, il y a eu énormément de battage médiatique, mais c'était très mal ciblé. Ce n'était pas assez classe pour les VIP et trop cher pour les fêtards lambda.
Stéphane Bouchet, journalisteà franceinfo
Le 31 janvier 2005, moins d'un an et demi après l'ouverture de l'Amnesia, sa vente est officialisée. L'acquéreur est un homme de la nuit parisienne, Philippe Fatien, propriétaire à l'époque de quatre clubs dans la capitale (Castel, le Queen, le Cab et le Bus Palladium). "Philippe Fatien a la volonté d'agrandir son groupe et nous, de notre côté, nous souhaitons nous défaire de cette belle affaire", déclare André Boudou, optimiste, pour sauver la face. Cet échec précipite la fin de la relation entre "Dédou" et Johnny, qui se fâchent pour de bon après le litige qui oppose le chanteur à sa maison de disques Universal.
L'Amnesia, poumon économique du Cap d'Agde
Aujourd'hui ne subsiste que l'Amnesia du Cap d'Agde. André Boudou, miné par les ennuis judiciaires, a laissé la main à son fils Grégory. Pincé pour fraude fiscale, le père de Laeticia Hallyday a été condamné définitivement par la justice, après un long processus, à deux reprises, en 2011 et en 2012, avance L'Express (article pour abonnés). Des condamnations que "Dédou" a mises sur le dos de sa relation avec la star. "Je paie peut-être tout le bien que j'ai fait à Johnny. Est-ce que ses anciens proches ont fait pression sur la justice ou est-ce l'administration fiscale qui a voulu faire de moi un exemple pour effrayer les autres ?" s'interroge-t-il dans Le Parisien. Un avis partagé par le journaliste de Hérault-tribune.com :
Quand vous tenez un commerce où 80% de la clientèle paye en espèces, j'imagine qu'il est tentant de ne pas tout déclarer et lui, comme il est dans la lumière, il s'est fait allumer.
Un journaliste de "Hérault-tribune"à franceinfo
Laeticia et Johnny ont eux aussi subi un redressement fiscal pour leur gestion de cette Amnesia au Cap d'Agde. Cet acharnement agace Alexis Marty, chauffeur indépendant chargé de conduire les DJ. "Je n'ai jamais eu aucun souci avec André et Grégory. André est un homme d'affaires, on le traite de mafieux. Ce sont des gens formidables, honnêtes. Ils savent faire des affaires, le reste ne me regarde pas", lance-t-il au téléphone. Il tient également à rappeler que l'établissement a un poids économique conséquent dans la région et que les hôtels, les clubs de plage, les campings et les restaurants "font du chiffre" grâce à l'Amnesia.
La discothèque, malgré les polémiques qui entourent le propriétaire et les odeurs de vomi critiquées par certains clients sur la page Facebook de l'établissement, continue d'attirer les meilleurs DJ internationaux. A l'époque de l'Amnesia Montparnasse, un producteur parisien jugeait André Boudou : "C'est le cliché du mec de province qui pense qu'en s'associant à une star il va faire venir les bobos parisiens". Sans Johnny et loin de la capitale, il a pourtant réussi à mettre le Cap d'Adge sur la carte du monde de la nuit.
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