Le documentaire "Le Château d’Hérouville, une folie rock française", à voir sur France 5, revient sur une épopée artistique captivante
Elton John, Pink Floyd, David Bowie, Iggy Pop, Magma, Eddy Mitchell, Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, Nino Ferrer et beaucoup d’autres, y ont enregistré : le château d’Hérouville fut au début des années 1970 à l’épicentre, en France, de la musique pop et rock. Niché au cœur d’un petit village paisible du Val-d'Oise, à trente minutes de Paris, et entouré de champs, cet ancien relais de poste du XVIIIe siècle, abrita naguère les amours de Chopin et George Sand. Il avait été acquis en 1962 par Michel Magne, musicien expérimental et compositeur iconoclaste, particulièrement célèbre pour ses musiques de films (Les Tontons flingueurs, Un Singe en hiver, Mélodie en sous-sol, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil…).
C’est l’histoire de ce lieu mythique, mais aussi de Michel Magne, personnage et artiste hors du commun qui se revendiquait "romantique et farfelu" et traversa de nombreux drames avant de se donner la mort en 1984, que retrace le documentaire passionnant Le Château d’Hérouville, une folie rock française de Christophe Conte, à voir vendredi 19 janvier à 23 heures sur France 5 (puis en replay sur France.tv).
L'invention du premier studio d'enregistrement résidentiel
C’est à la fin des années 1960, après avoir vu toute son œuvre partir en fumée lors d’un tragique incendie au château, acquis quelques années plus tôt et entièrement rénové, que Michel Magne décide de construire un studio d’enregistrement dernier cri, et d’un genre nouveau. Le but de ce musicien anticonformiste était d’abord d’offrir la possibilité aux compositeurs de "transcrire immédiatement leurs idées musicales" sans en passer par l’écriture d’une partition avec crayon et papier. "Je pense une musique, j’en fais un objet tout de suite", expliquait-il.
Mais ce châtelain généreux, avant-gardiste et noceur, souhaitait aussi créer "un lieu de travail où l’on peut s’amuser". Parc arboré, piscine, terrain de tennis, ping-pong, baby-foot, dix chambres et un chef cuistot de haut vol : Michel Magne inventait sans le savoir le premier studio résidentiel au monde, qui a fait depuis de nombreux émules.
Délectables séquences inédites
Même si vous connaissez un tant soit peu la légende du lieu, ou que vous avez lu la remarquable bande dessinée Les Amants d’Hérouville parue en 2021, vous n’êtes pas au bout de vos surprises avec ce documentaire.
On se délecte d’abord des précieuses images d’époque, dont de nombreuses inédites, dénichées par le réalisateur Christophe Conte. Les rares extraits d’émissions et de reportages dans lesquels Michel Magne s’exprime résument bien son approche singulière de la vie et de l’art. On y constate aussi la délirante ambiance hippie et fêtarde qui régnait au château, où l’on ne buvait pas que de l’eau, au point que pompiers et gendarmes censés contenir d’éventuels débordements finirent comme des bienheureux dans la piscine, lors du fameux concert improvisé du Grateful Dead en juillet 1971 – toute l’histoire de leur venue sur les lieux vaut le détour.
Le récit, particulièrement vivant, avance grâce aux nombreux témoignages de proches, à commencer par celui de la veuve de Michel Magne, la délicieuse Marie-Claude Magne, qui le connut à l’âge de 16 ans en faisant du stop et fut d’abord la baby-sitter de ses deux enfants issus d’un premier mariage.
L’ingénieur du son Dominique Blanc-Francard, aux commandes des consoles de 1971 à 1974, et qui fut déterminant dans l’attractivité du studio, mais aussi Laurent Thibault, gérant du château de 1974 à 1985, livrent nombre d’anecdotes sur cette demeure dans laquelle on enregistrait jusque dans les escaliers, et sur leur patron "magnétique et complètement fou".
Stars, fantômes, fêtes et tragédies
Le bassiste des Rolling Stones Bill Wyman sera le premier musicien d’envergure à être bluffé par le son du studio et Elton John sera la première star à venir y enregistrer – il y prit ses quartiers pour trois albums au total, dont l’impérissable Goodbye Yellow Brick Road –, bientôt suivi par Pink Floyd puis David Bowie et Iggy Pop pour l’album The Idiot.
Le documentaire révèle au passage qui était la fameuse China Girl du tube co-écrit par le duo, et la femme en question se souvient de moult détails face caméra – nous vous laissons découvrir de qui il s’agit.
Les farces des hôtes qui tentent de faire croire à la présence d’un fantôme au château ne dissuadent aucun musicien : le studio tourne à plein régime de 1972 à 1973 et le champagne coule à flots. Mais bientôt les dettes s’accumulent pour le flambeur Michel Magne. Il doit céder peu à peu son studio, puis son château. Lorsque les droits de sa musique sont saisis, cet artiste total, amateur d’art contemporain, décide de ne plus donner à entendre sa musique, mais de la donner à voir : les bandes magnétiques de ses œuvres sont tricotées, tissées, tressées. Ainsi exposée, sa musique fait encore un tabac. Pourtant, son dernier requiem composé pour Les Misérables de Robert Hossein fut aussi le sien. Après s’être procuré Suicide mode d’emploi, il fut retrouvé mort dans une banale chambre d’hôtel de Cergy en 1984, à 54 ans, à deux pas du château de ses rêves.
"Le Château d’Hérouville, une folie rock française", documentaire inédit (52 minutes) de Christophe Conte, raconté par Lou Doillon, est à voir vendredi 19 janvier à 23h05 sur France 5, puis en replay durant plusieurs semaines sur France.tv.
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