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Harcèlement et violences sexuelles : l'"omerta" en vigueur dans le milieu de l'opéra commence à se fissurer

Après la plainte déposée par la cantatrice Chloé Briot pour agression sexuelle, les langues commencent doucement à se délier dans le milieu de l'opéra, où témoigner peut encore vous priver de travail.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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La soprano Chloé Briot sur le filage de la pièce "Les Enfants terribles", opéra de Philip Glass d'après le roman de Jean Cocteau, à Paris en novembre 2012. (DELALANDE RAYMOND / SIPA)

Elle est un peu l'Adèle Haenel de l'opéra en France: la soprano Chloé Briot est l'une des rares cantatrices à avoir osé porter plainte pour agression sexuelle, dans un milieu feutré où le risque de perdre un rôle pèse sur la prise de parole.

Ces trois dernières années, le mouvement #MeToo a rattrapé le monde lyrique et musical : l'affaire la plus retentissante à ce jour concerne la légende Placido Domingo. Des chefs d'orchestre influents, comme James Levine (du Metropolitan Opera de New York) ou Charles Dutoit (à la tête de plusieurs formations prestigieuses), ont été suspendus ou licenciés à la suite d'accusations de harcèlement.

En France, les langues commencent à se délier. Fait marquant dans l'affaire Chloé Briot, le ministère de la Culture a procédé début septembre à un signalement auprès du procureur de la République et annoncé qu'un "travail d'alerte, de prévention et d'accompagnement" serait mené, avec des résultats attendus fin 2020.

Chloé Briot accuse un partenaire d'attouchements sexuels répétés

Le 17 août, dans la revue La lettre du musicien, la soprano a accusé d'attouchements sexuels répétés un baryton qui tenait le rôle principal masculin dans l'opéra L'inondation de Joël Pommerat, créé en octobre 2019 à l'Opéra-Comique et repris à l'Opéra de Rennes puis à l'Opéra de Nantes.

La soprano affirme n'avoir rien dit, à Paris, pour ne pas "mettre le bazar dans la production", avant de finalement s'exprimer à Rennes.

La chanteuse soutient que dans deux scènes intimes, le chanteur est allé au-delà des propositions du metteur en scène. Elle a déposé une plainte en mars à Besançon et une enquête préliminaire pour agression sexuelle a été ouverte le 15 mai. L'affaire a mis en lumière ce que la soprano qualifie d'"omerta" dans le milieu lyrique.

Le chanteur a porté plainte pour dénonciation calomnieuse, selon ses avocates Anna Branellec et Sophie Soubiran. Pour le procureur de la République de Besançon Etienne Manteaux, la plainte de Mlle Briot a "besoin d'être explicitée pour comprendre dans quelle mesure le jeu de l'acteur sur scène a pu constituer des faits d'agression sexuelle".

Interviewée le 8 septembre par l'AFP, Chloé Briot a finalement demandé à ne pas être citée.

Témoignage d'une autre soprano harcelée

Une autre soprano, trentenaire, qui a requis l'anonymat, évoque auprès de l'AFP la difficulté de la prise de parole. "On veut travailler. C'est extrêmement courageux de la part de Chloé Briot mais j'ai aussi peur pour elle car c'est un peu suicidaire".

Elle raconte avoir été, à 15 ans, harcelée sexuellement par un professeur de chant. "Quand j'en ai parlé à une professeure, elle m'a dit : c'est le métier qui rentre". Et "à 19 ans, il y avait un chef d'orchestre qui à chaque fois qu'il me croisait me collait au mur pour m'embrasser".

Elle souligne que la plupart de ses partenaires masculins se comportent avec le plus grand respect sur scène, "surtout dans la nouvelle génération". Mais elle pointe "une zone grise" en début de carrière. "C'est extrêmement ambiguë car la jeune chanteuse que j'étais était flattée qu'on s'intéresse à elle".

"Un chef qui vous dit : Tu chantes bien, tu es jolie, j'ai des entrées dans ce festival, il suffit juste d'être gentil avec moi. Il y a les messages qu'on reçoit en soirée. On ne veut pas prendre le risque de repousser une personne influente", ajoute-t-elle.

"Quand l'artiste est agressé et qu'il doit jouer, il doit assurer. On n'arrête pas une répétition avec 80 personnes aussi facilement", dit Chloé Bégou, metteure en scène et responsable au sein de l'association HF qui milite pour l'égalité hommes-femmes.

Les établissements assurent faire de la prévention

Les maisons d'opéra où se sont produits les faits présumés disent vouloir redoubler d'efforts en termes de prévention.

"Nous avons sensibilisé et formé nos équipes depuis deux ans", affirme à l'AFP Olivier Mantei, directeur de l'Opéra-Comique. "Mais il faut le faire savoir à tous les artistes pour qu'au moment d'une production, il n'y ait pas de débordements et qu'aucun risque ne pèse sur la parole d'une victime".

Sitôt informé, il a écarté la personne mise en cause des reprises de L'Inondation en 2023 et maintenu Chloé Briot. "Je ne peux pas me substituer à la justice mais on doit être réactif et protéger les chanteurs", déclare-t-il.

Interrogé par l'AFP, le directeur de l'Opéra de Rennes Matthieu Rietzler a salué "le courage" de Chloé Briot, "tout en respectant la présomption d'innocence de l'artiste mis en cause". "Son témoignage nous oblige à questionner nos protocoles et à regarder comment à l'échelle de toute la profession nous pouvons les améliorer", a-t-il dit, plaidant pour une "tolérance zéro".

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