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K-pop : comment le boys band sud-coréen BTS est devenu l'un des groupes les plus influents (et les plus rentables) au monde

France Télévisions
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Le groupe sud-coréen BTS chante son titre "Butter" lors des American Music Awards, à Los Angeles (Californie, Etats-Unis), le 21 novembre 2021. (KEVIN WINTER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)
Dix ans après leurs débuts, le sept Coréens sont devenus le symbole d'une K-pop désormais mondialisée. Récit d'une ascension fulgurante, à l'occasion de la sortie de leurs mémoires, dimanche.

Perdue dans une masse d'adolescents devant l'Accor Arena, Sylvie Octobre a préparé ses boules Quiès et prévu de consulter ses mails. Elle accompagne sa fille et une amie au concert parisien de BTS, en octobre 2018, mais ignore tout de ce groupe de K-pop, style musical venue de Corée du Sud qui séduit les jeunes générations. "BTS, pour moi, c'était un diplôme. Pourtant, dix minutes après le début du concert, j'étais debout en train de danser", assure la chercheuse au département des études de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture, coautrice avec Vincenzo Cicchelli du livre K-pop, soft power et culture globale (Puf, 2022).

Comme Sylvie Octobre, le public occidental a pu se montrer circonspect face à l'arrivée de ce boys band rassemblant sept jeunes Coréens : Jin, Suga, J-Hope, RM, Jimin, V et Jungkook. Dix ans après sa création, BTS s'est pourtant imposé comme l'un des groupes les plus populaires de la planète. Quelque 400 000 personnes ont célébré leur anniversaire à Séoul, mi-juin, rapporte Billboard. Pour l'occasion, le septuor a dévoilé un nouvel inédit : Take Two, ou "deuxième prise" en français. Un clin d'œil au deuxième chapitre de leur carrière, qui s'ouvre avec la sortie, dimanche 9 juillet, de mémoires racontant les coulisses de leur ascension, Beyond the Story : 10 ans de souvenirs de BTS (Seuil). 

Le "chapitre 1" de BTS a pourtant démarré modestement. Quand la maison de disques Big Hit Entertainment (désormais rebaptisée Hybe) lance les castings pour créer son groupe, en 2013, la K-pop inonde déjà les charts de Corée du Sud et d'une partie de l'Asie. Trois grandes majors se disputent le marché : SM, JYP et YG. "BTS naît dans une maison de disques qui est un nain dans le secteur", retrace Sylvie Octobre. La concurrence recrute de jeunes adolescents, et les entraîne des années avant de former des groupes. Big Hit mise sur des artistes plus âgés, nés entre 1992 et 1997, issus des classes moyennes ou populaires.

La "caisse de résonance" des aspirations des jeunes

Dans une industrie où les artistes doivent pouvoir s'exposer sur papier glacé, ou sur les murs des chambres de leurs fans, BTS s'assure de cultiver un style vestimentaire pointu. Pas question non plus d'alimenter les polémiques ou de s'attirer les critiques de la presse coréenne. Si ses membres suivent de nombreux codes de la K-pop (entraînement à la danse et au chant, chorégraphies millimétrées, cohabitation dans le même appartement pour renforcer la cohésion...), Big Hit cherche une autre formule pour le groupe, plus authentique.

"Ils sont les premiers à mettre en ligne des vidéos des coulisses de leur quotidien ou de leurs performances, et à communiquer directement avec leurs fans sur les réseaux sociaux, révèle Michelle Hyun Kim, journaliste et critique musicale américaine. Cela crée une connexion personnelle avec le public et un nouveau mode de marketing : désormais, cette forme de promotion est devenue la norme dans la K-pop."

Les sept Coréens peuvent aussi s'appuyer sur "un niveau de compétences supérieur" aux autres groupes, estime Sylvie Octobre. "J-Hope était dans une troupe de danse urbaine, RM et Suga écrivaient déjà des morceaux... BTS est arrivé avec sa propre identité musicale, inspirée du hip-hop des années 1990", détaille Michelle Huyn Kim. Quand les autres groupes de K-pop se contentent d'interpréter des titres créés pour eux par des compositeurs internationaux, BTS jouit d'une liberté inédite dans le processus créatif. Et cela se ressent dans les thèmes abordés : la pression sociale et scolaire, les difficultés économiques, les divergences avec les générations passées… 

"Ils tiennent un discours en phase avec les difficultés rencontrées par la jeunesse, ses peurs sur la contraction du marché du travail, l'environnement, l'avenir. Et ils l'incitent à reprendre espoir."

Sylvie Octobre, sociologue

à franceinfo

BTS prône ce message jusqu'à la tribune de l'ONU, où il est invité à deux reprises à s'exprimer sur le sujet de la jeunesse. "Je veux entendre vos voix et vos convictions, y déclare RM, le leader du groupe. Peu importe qui vous êtes, d'où vous venez, votre couleur de peau ou votre genre, exprimez-vous. Trouvez votre nom et trouvez votre voix en vous exprimant." Puis c'est à la Maison Blanche que Joe Biden les convie, en 2022, pour parler de la lutte contre le racisme anti-asiatique aux Etats-Unis. "Des membres, comme les rappeurs RM et Suga, ont confié ne pas forcément se sentir qualifiés pour être des ambassadeurs culturels. Mais ils prennent ce rôle très au sérieux", décrypte Michelle Huyn Kim. 

V, Jungkook, Jimin, RM, Jin, J-Hope et Suga lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 31 mai 2022. (SHUTTERSTOCK / SIPA)

Cette volonté transparaît dans le nom même du groupe. BTS est "l'acronyme de Bangtan Sonyeondan, que l'on peut traduire par 'protéger les jeunes des préjugés sociaux et de l'oppression'", précise Hee-Kuyng Lee, sociologue et créatrice de la maison d'édition Sociopoétik, spécialisée dans les arts populaires en Corée du Sud. Ces paroles touchent une jeune génération en quête de repères. Les sept Coréens, "comparés par le magazine Times aux Beatles", savent être la "caisse de résonance" des aspirations de la jeunesse, constate Vincenzo Cicchelli, enseignant-chercheur en sociologie à l'université Paris-Cité. "Mais il y a aussi un talent qui reste inexplicable", juge l'expert. 

"Un précurseur pour l'industrie de la K-pop"

Ce talent s'exporte bien au-delà des espérances de Big Hit et de BTS. Selon le New Yorker, le groupe compte désormais des fans (une communauté surnommée "Army", majoritairement jeune et féminine) dans une centaine de pays. "Dès le départ, Big Hit a pour objectif d'étendre le succès de BTS à l'étranger : la Corée du Sud ne représente qu'une infime partie du public, et donc des revenus, potentiels", avance Michelle Hyun Kim. La pandémie de Covid-19 leur donne une nouvelle ampleur. "Ce sont les premiers à faire une chanson pour remonter le moral des jeunes", avec un clip "mettant en scène des lieux de vie (restaurant, chambre, disquaire…) au moment où tout le monde est confiné chez soi", rappelle Sylvie Octobre. Dynamite est aussi l'une des trois seules chansons du groupe entièrement en anglais.

Si sa discographie est essentiellement en coréen, BTS est "l'un des premiers groupes de K-pop à avoir manié l'anglais sans difficulté" lors d'interviews, poursuit Sylvie Octobre. Dès 2018, il assure la tournée des plus célèbres talk-shows américains et britanniques, avec son leader RM comme porte-parole. "BTS est l'un des groupes les plus populaires en Corée, mais aussi celui dont le succès est le plus symbolique, car il a ouvert toutes les portes à l'international. A l'échelle mondiale, c'est un précurseur pour l'industrie de la K-pop", se réjouit une responsable du Centre culturel coréen, branche de l'ambassade de Corée du Sud à Paris.

Le groupe est le premier à prendre la tête des classements du prestigieux magazine spécialisé Billboard, avec une chanson en coréen. Il bat des records de vues sur YouTube avec Butter et Permission to Dance, remplit des stades lors de ses tournées dans le monde, et réunit 50 millions de spectateurs lors de la retransmission de son concert pour la candidature de la ville de Busan à l'exposition universelle de 2030. BTS est aussi invité à se produire sur la scène des Grammy Awards, où le groupe est nommé à cinq reprises. Et son dernier album, Proof, est le deuxième le plus vendu dans le monde en 2022. Cette anthologie de 48 titres ne compte pourtant que cinq inédits, note Forbes.

Bref, BTS est devenu "mainstream", et la K-pop avec lui, analyse Michelle Hyun Kim. Les retombées ne bénéficient pas qu'à leur maison de disques. Selon une étude de l'Institut de recherche Hyundai citée par Fortune, le groupe a attiré "un touriste sur treize ayant visité la Corée du Sud en 2017". Et il rapporte environ 5 milliards de dollars (4,59 milliards d'euros) à l'économie coréenne chaque année, appuie la radio américaine NPR.

Le service militaire, une "pause" qui favorise la concurrence

Leur influente Army n'y est pas pour rien. "Lorsque le chanteur Jungkook consomme une marque de boisson ou de nouilles pendant un de ses lives vidéos, le produit est aussitôt en rupture de stock", relève une responsable du Centre culturel coréen. Cette capacité à faire vendre permet aux membres de BTS de décrocher de juteux contrats publicitaires, notamment avec le géant de l'électronique Samsung ou les maisons de luxe Dior et Louis Vuitton.

Mais le succès du groupe n'est pas seulement commercial. C'est "la victoire d'une alternative à la pop américaine et occidentale", salue Vincenzo Cicchelli. "Ils ont créé un précédent culturel", qui leur confère désormais un rôle plus politique, abonde Michelle Hyun Kim. Cet élan risque-t-il un jour de s'essouffler ? Certains s'interrogent, alors que les membres ont annoncé mettre en pause leurs activités de groupe pour réaliser leur service militaire, obligatoire pour les hommes en Corée du Sud.

Le public regarde le feu d'artifice en clôture des célébrations pour les dix ans du groupe BTS, le 17 juin 2023, à Séoul (Corée du Sud). (ANTHONY WALLACE / AFP)

L'enjeu est de ne pas être oublié d'ici à leur retour, prévu fin 2025. "Mais la concurrence est rude, et d'autres groupes émergent", pointe Vincenzo Cicchelli. "Il est difficile de retrouver la même popularité" après une telle coupure, confirme Michelle Hyun Kim.

Big Hit a anticipé ce hiatus. Les départs des sept artistes se font en décalé, pour éviter un trop grand vide, et chacun mène une carrière solo durant cette période. Quatre d'entre eux ont déjà sorti un album et leur dernier single en groupe, Take Two, est en tête des charts, souligne Forbes. "L'Army est une fan base très soudée, qui se tient prête à remplir les stades à leur retour, assure Michelle Huyn Kim. BTS a déjà dépassé de nombreuses attentes, et autant de stéréotypes. On verra s'ils y parviennent encore une fois."

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