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Lana Del Rey fait la danse des sept voiles sur son nouvel album, "Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd"

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La chanteuse et autrice américaine Lana Del Rey. (NEIL KRUG)
Sur son neuvième album, la chanteuse américaine Lana Del Rey pousse plus avant le dévoilement de son intimité, en particulier concernant sa famille, tout en préservant une fois encore jalousement ses secrets.

Lana Del Rey est une pop star pas comme les autres. Elle n’est pas de celles dont on guette les prochains hits, mais de celles, rares aujourd’hui dans une industrie du single-roi bien calibré, dont on attend les albums. Parce qu’en reine du songwriting, elle nous emmène chaque fois en balade dans les méandres de ses souvenirs, de ses tourments et de sa psyché déglinguée – offrant au passage quelques éléments du puzzle de l’Amérique d’aujourd’hui.

Dévoilements intimes


Avec Lana Del Rey, il faut, on l’a appris au fil du temps depuis ses débuts fulgurants en 2011 avec Video Games, se laisser avant tout embarquer, envoûter. Mais il faut aussi, au fil des histoires sentimentales impudiques et touchantes qui font le sel de ses chansons, éviter de surinterpréter les indices personnels, souvent douloureux, qu’elle sème comme de petits cailloux, ne pas chercher à tout prix à démêler le vrai du faux pour ne pas lui dénier le droit au fantasme et à la fiction.

Or cet exercice de distanciation s’avère particulièrement difficile pour l’auditeur sur son neuvième album. La chanteuse se livre en effet plus que jamais, dévoilant une grande part de son intimité sur Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd. Ses paroles se font plus précises, moins allusives, en particulier en ce qui concerne sa famille et son entourage, au cœur de cet album : elle nomme les personnes, s’adresse à elles directement et donne régulièrement à l’auditeur l’impression de tourner les pages d’un journal intime.

La famille et ses chers disparus, thème majeur du disque

Dès le titre d’ouverture, The Grants, qui se réfère à son véritable nom de famille, elle promet d’emmener avec elle "le dernier sourire" de sa grand-mère et "le premier-né" de sa sœur Caroline. Elle revient sur la mort de sa grand-mère récemment disparue sur Kintsugi , et évoque celle de son grand-père sur Grandfather Please Stand on the Shoulder of my Father, à qui elle demande de lui envoyer un signe de l'au-delà, sous la forme de trois papillons blancs. Dans cette même chanson, Lana Del Rey rappelle avec amertume les rumeurs dénonçant une chanteuse entièrement fabriquée qui ont accompagné les premiers temps de son avènement il y a douze ans.


Pour clouer le bec de ses détracteurs et montrer la substance de son vécu douloureux, il faut se pencher sur le très révélateur Fingertips . Dans cette chanson particulièrement riche et poignante, elle interroge son père, sa sœur et son frère ( serez-vous là avec moi ?), avant de réclamer un mausolée à Rhode Island où elle reposerait avec son père, ses grands-parents et son oncle Dave " qui s’est pendu" à l’âge de 61 ans, à l’été 2016. Un deuil visiblement mal éteint : lorsqu’elle a appris la nouvelle, Lana Del Rey était en tournée en Europe et devait jouer "devant le prince de Monaco deux heures plus tard", chante-t-elle, et ne s’est accordée "que deux minutes pour pleurer", "assise dans la douche". Dans cette même chanson, la plus explicite de l’album, elle s’interroge également sur la maternité : "Aurais-je un enfant ?", "Saurais-je m’en occuper ?", avant, plus loin, d’évoquer l’attitude mal digérée de sa propre mère, avec laquelle elle est en délicatesse depuis longtemps.

Au-delà de la famille, il est aussi question de l’entourage. Ainsi, Margaret a été écrite pour l’actrice Margaret Qualley, la fiancée de son producteur et collaborateur Jack Antonoff (qui chante ici sous pseudo Bleachers), dans le but d’être éventuellement jouée à leur futur mariage. Car s’il y est souvent question de ses chers disparus, mais aussi des tourments sentimentaux auxquels elle nous a habitués, cet album est globalement apaisé - il y a une lumière au bout de ce tunnel. Lana Del Rey y promène sa mélancolie et ses interrogations métaphysiques avec délicatesse, comme animée d’une nouvelle philosophie de la vie – "Don’t give up, cause you never know what the new day might bring" ("n’abandonne pas, parce que on ne sait jamais ce que la nouvelle journée pourrait apporter"), chante-t-elle sur Margaret.

Une audace musicale mesurée


Musicalement, cet album fait preuve d’une certaine audace, mais moins que ne le laissait augurer le magistral second single A&W sorti à la mi-février pour la Saint-Valentin. Divisée en deux parties, avec un début folk évoluant de façon inattendue vers un rythme trap et un phrasé presque rap, cette ballade provocante dans laquelle elle assume sa sexualité d'amoureuse sans illusion – "It’s not about havin’ someone to love me anymore / This is the experience of an american whore" - , est une chanson déjà inscrite au sommet de sa discographie.

L’album, qui mélange orchestrations majestueuses et dépouillement (adorable simplicité au piano de Paris Texas ou Candy Necklace ), incursions gospel, folk et pop, recèle d’autres petites surprises expérimentales, en particulier vers la fin de l’album, avec un couplet de la rappeuse canadienne Tommy Genesis ( Peppers ), et une nouvelle version de Venice Bitch en clôture ( Taco Truck x VB). Sans compter les prouesses vocales joueuses dont elle nous gratifie tout du long.

Ce disque n'a qu'un défaut : il est long -16 morceaux et plus de 77 minutes -, trop long pour espérer égaler le sans faute Norman Fucking Rockwell (2019). Pourtant, on serait bien en peine, on l’avoue, de déterminer ce qu’on en aurait ôté de superflu, excepté le sermon sur la fidélité de 4 minutes du pasteur controversé Judah Smith. Elle qui chante comme elle respire - "La musique est comme un petit oiseau qui se trouve toujours sur mon épaule", dit-elle - n’a pas su choisir. On referme en tout cas ce journal intime en admirant l’exercice de mise à nu de Lana Del Rey, une danse des sept voiles plus qu'un strip-tease intégral, qui parvient une fois encore à préserver les mystères de la vraie Elizabeth Woolridge Grant.

"Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd" (Universal) est sorti vendredi 24 mars 2023

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