JoeyStarr raconte son enfance cabossée à l’ombre d’un père impitoyable dans "Le Petit Didier"
A 53 ans, le rappeur et acteur JoeyStarr livre son récit le plus intime avec "Le Petit Didier", plongée à bord de sa psyché enfantine, dans un huis-clos irrespirable en compagnie d'un père décrit en monstre d'égoïsme et de froideur.
Quelle mouche a piqué JoeyStarr ? On l'a vu le 11 octobre déclamer des textes poétiques à La Seine Musicale en compagnie du pianiste Sofiane Pamart. Au même moment, il sort à 53 ans son livre le plus intime, Le Petit Didier, dans lequel il partage ses souvenirs d'une enfance difficile à l'ombre d'un père irascible et sans coeur. Le Jaguarr voudrait changer son image de dur à cuire infréquentable qu'il ne s'y prendrait pas autrement.
Il s'agit tout de même de son troisième livre de souvenirs, après Mauvaise Réputation (2007) et Le Monde de demain (2017), sans compter l'autobiographie à deux voix avec son partenaire Kool Shen, Suprême NTM, parue en 2019.
Un enfant sage comme une image
Alors d'où vient ce désir de se livrer une nouvelle fois ? C'est son éditrice qui en a eu l'idée. Elle est remontée loin et a dû toucher une corde sensible en lui tendant la photo qui orne le bandeau du Petit Didier. Il y apparaît tout minot, à l'école maternelle, serrant un ours en peluche dans les bras. Adorable, calme, boutonné jusqu'en haut de son col de chemise (de pyjama ?), le regard doux et innocent, mais reconnaissable entre mille. La photo d'un enfant sage et terriblement vulnérable. A l'opposé du personnage de JoeyStarr qui perce ainsi sa carapace et met à nu sa fragilité.
Mon père, ce monstre d'indifférence
Dans cet ouvrage qui se dévore en moins de 90 minutes, Didier Morville dévoile tout un pan de son intimité et creuse une béance originelle, qui a sans doute fabriqué une bonne partie de son identité. Celle du couple maudit et dysfonctionnel qu'il forme avec son père Jean Morville, un Martiniquais violent, "hautain et grande gueule", incapable d'amour envers son fils, qu'il a pourtant voulu pour lui seul et radicalement coupé de sa mère à l'âge de 4 ans en lui faisant croire qu'elle était morte.
Dehors, Jean Morville est le DJ flamboyant de toutes les fêtes antillaises. Dedans, c'est un taiseux autoritaire qui ne permet pas à son gamin d'exister. Chez lui, Didier a l'impression de déranger. Il ne faut toucher à rien, pas même à la télé dont le paternel garde les clés. Il doit obéir et "ne pas moufter". Monstre d'égoïsme et d'indifférence, son père peut passer plusieurs jours sans lui adresser la parole. S'il ne le regarde pas, il le surveille en permanence. Son fils doit toujours être à portée de vue. Quand le maniaque Jean Morville rentre, la maison doit être impeccable. Il fait son inspection "un peu comme à l'armée". Et, bien sûr, il "ne tolère aucun travers". A 19 heures, il faut être à la maison pour dîner. "Si tu n'es pas là, tu ne manges pas."
Un ennui abyssal sauvé par la vie de la cité Salvador Allende
Après s'être préparé longuement pour sortir, son père claque régulièrement la porte sans un mot. Tout petit, Didier se retrouve donc très souvent seul, livré à lui-même entre quatre murs. Il souffre d'un ennui abyssal qui le ronge. "Je m'ennuie tellement que je me demande si je ne suis pas en train de dormir. (…) Je ferais n'importe quoi pour que ça cesse. Je ferais n'importe quoi pour ne plus m'ennuyer", écrit-il.
Jusqu'à ce qu'ils déménagent dans un deux-pièces de la cité Salvador Allende alors en construction à Saint-Denis. "Dans le HLM, il y a plus de couleurs (…) plus d'action. Dans le HLM c'est bien plus vivant (…) tu vois plus de gens, tu existes. La cité, c'est un nouveau monde." C'est aussi l'occasion d'élargir l'horizon du récit, de sortir de ce huis-clos pesant, et de voir combien, à hauteur d'enfant et du point de vue de Didier Morville, cette cité difficile apparaissait lumineuse et exaltante, à ses débuts dans les années 70.
Les maths à coups de ceinturon
Mais Didier n'est pas au bout de ses peines. A l'école, il se sent "décalé" et essuie les moqueries : il n'a pas le bon look, arbore un haut de pyjama en guise de blouse d'écolier et n'a jamais les fournitures requises. "Du coup, je me suis surtout lié et allié avec les cancres. (…) Ne pas avoir les codes crée mécaniquement une sorte de solidarité. (…) On doit faire clan. Le club des gamins jamais comme il faut."
Forcément, il se prend des roustes. L'orgueilleux Jean Morville ne supporte pas que son fils soit mauvais en maths et lui fait entrer dans le crâne les tables de multiplication à coups de ceinturon. Il ira jusqu'à convoquer un prêtre-croquemitaine pour une inquiétante cérémonie vaudou afin d'améliorer ses résultats scolaires. En vain, évidemment.
Longtemps, le futur JoeyStarr accepta son sort sans broncher
Pourtant, Didier Morville est de son propre aveu "un enfant sage". Il ne fait pas de bruit, pas de vagues. On s'étonne qu'il ne se révolte jamais contre ce tyran domestique. "Je n'affronte pas mon père, je ne le ferai jamais. A aucun moment je ne me dresse contre lui", avoue JoeyStarr. Il se contente de lui mentir, de faire "l'anguille". "Jamais je n'ai eu envie de lui sauter à la gorge directement", écrit-il. "Déjà parce que quelque chose en moi m'en empêche. Ensuite parce que j'aime ce type, je n'ai que lui."
Le récit s'arrête lorsque son père s'en débarrasse abruptement en l'envoyant en pension. Jamais, dans cette plongée sensible et bien écrite à bord de sa psyché enfantine, dont on se doute qu'elle a été mise en forme par un tiers, il n'est question de rap, de graff ou de danse. Didier est alors au seuil de sa rencontre avec le hip-hop et de sa mutation en JoeyStarr. "J'ai l'impression d'avoir un soleil dans le ventre, mais il ne peut sortir. J'ai un besoin puissant d'exister, mais bridé", résume-t-il vers la fin du récit. On connaît la suite…
Le Petit Didier de JoeyStarr (Robert Laffont, 185 pages, 17,90 €)
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