"Suprêmes", un biopic fiévreux sur les débuts de NTM et la naissance du hip-hop en France
Dans ce film nerveux et électrisant qui sort le 24 novembre, la réalisatrice Audrey Estrougo raconte l'éclosion du hip-hop français à travers les premiers pas du groupe Suprême NTM. Elle révèle au passage deux jeunes acteurs dont on ne pourra plus se passer.
"On venait pour tout brûler, pas pour faire de l’entre-deux. (…) Si on faisait du rap, il fallait qu’on soit dans le top ten", se souvient JoeyStarr dans son autobiographie Mauvaise réputation, parue en en 2006. Ce livre, la réalisatrice Audrey Estrougo l’a lu. Il a convaincu à raison cette cinéaste élevée au rap et âgée de 38 ans qu’elle pouvait faire d’une pierre deux coups : raconter la naissance de la culture hip-hop en France en retraçant les débuts de l’aventure du Suprême.
Son long-métrage, en salles ce mercredi 24 novembre, se concentre donc sur une période assez courte qui va de la fin des années 80 jusqu’au premier Zénith de Suprême NTM en janvier 1992, sept mois après la sortie de leur premier album Authentik.
Kool Shen et JoeyStarr ont veillé au grain
Bruno Lopes et Didier Morville, deux personnalités opposées et complémentaires venues de Saint-Denis (93), qui, sous les surnoms Kool Shen et JoeyStarr, ont écrit une des plus belles épopées du rap français, ont non seulement donné leur feu vert au film mais lui ont également fourni tout du long leurs précieux conseils. Un sacré plus pour l’authenticité du long-métrage qui nous replonge dans le climat particulier d’une époque où le rap naissant se faisait naturellement l'écho du malaise de la jeunesse des quartiers populaires.
C’est dans la pénombre d’un tunnel de métro où une équipe de graffeurs massacre les wagons à coups de bombes de peinture que s’ouvre Suprêmes. Caméra nerveuse à l’épaule, gros plans : une entrée en matière très bien rendue, au plus près des corps, entre urgence, euphorie et menace. Ce prélude annonce un film fébrile, souvent en mouvement, où le spectateur est régulièrement placé en immersion, au cœur du vortex, en particulier lors des concerts et chahuts en tout genre.
Les deux comédiens ont dû apprendre à rapper
L’occasion de revivre un peu de cette fièvre et de goûter (ou re-goûter) à la furia irrésistible des concerts de NTM. A cet égard, il faut saluer non seulement la direction d’acteurs (y compris des seconds rôles) mais aussi la performance des deux espoirs du cinéma français choisis pour incarner nos terreurs du micro : Théo Christine (JoeyStarr), 25 ans, repéré dans Garçon chiffon (2020) et la série SKAM de France.tv, et Sandor Funtek (Kool Shen), 31 ans, remarqué dans K contraires (2020).
Tous deux se sont vu imposer un entraînement intensif d’un an pour apprendre à rapper et à danser. Car ils ne font pas semblant et rappent vraiment dans les nombreuses séquences musicales du biopic "librement inspiré des débuts de NTM" (une précision qui permettra de désamorcer les éventuels procès en exactitude, les oublis et certains détails et raccourcis différant de la réalité pour les besoins du scénario).
L'histoire des débuts du hip-hop derrière celle du duo NTM
Le long-métrage pose dès le début ce que deviendra le fonctionnement du duo NTM : un rigoureux exigeant qui trime sur ses rimes et un talent explosif charismatique qui se contente souvent d’improviser en terminant les textes de son comparse. "Si je ne monte pas sur scène avec toi, tu es invisible", assène JoeyStarr à Kool Shen lors d’une de leurs engueulades. "Je ne sais pas comment tu vas briller si je ne suis pas là", lui répond Kool Shen du tac au tac.
Montré comme le boulet inflammable et incontrôlable qu’il n’a jamais nié être, Joey Starr est également décrit comme un gamin rejeté par son père animé d’une soif de reconnaissance impossible à combler.
Derrière la petite histoire émerge aussi la grande histoire. La grande c'est celle du mouvement hip-hop et de ses premiers idéaux : "C’est pas un marché le hip hop, c’est une philosophie", explique Kool Shen à un cadre de maisons de disques qui voudrait leur adjoindre un parolier. La philosophie rap c'est aussi une fidélité à sa bande d'origine, une famille avec laquelle il faut partager le succès et dont on doit souvent se délester à regrets en route vers le firmament.
Le film montre également les difficultés que le hip-hop a dû affronter pour s’imposer dans le circuit musical face au rock et la variété alors tout puissants, l’ostracisme dont il a fait l’objet, son côté provocateur étant souvent sanctionné par des annulations de concerts (quand ce n’étaient pas des bastons dans les MJC de banlieue).
Sandor Funtek bluffant de finesse en Kool Shen
Si Théo Christine honore le personnage qu’il incarne, un rôle empoisonné tant il est ardu d’interpréter le charisme pur, et si le film s’attarde un peu trop sur les soucis personnels de JoeyStarr, c’est pourtant de Sandor Funtek dont on se souviendra le plus durablement. Sa performance dans la peau de Kool Shen est remarquable de justesse et d’épaisseur humaine. Intense et pourtant tout en retenue, il rend justice au plus discret et exigeant Bruno Lopes, trop souvent éclipsé par son comparse. Au final, c’est de lui dont on tombe amoureux. De la graine de star, entre Reda Khateb et Tahar Rahim.
Ponctué d’une poignée d’images d’archives (Mitterrand, Malik Oussekine, révolte de Vaulx-en-Velin) qui viennent utilement rappeler le contexte socio-politique sans alourdir le récit, bourré d'humour potache à base de chambrage et électrisé par une excellente B.O. signée Cut Killer qui ne comporte pas que du NTM, ce film réjouissant pourra ravir aussi bien ceux qui ont assisté à cette page essentielle du hip-hop que ceux qui n’y étaient pas.
La fiche
Genre : biopic
Réalisatrice : Audrey Estrougo
Acteurs : Théo Christine, Sandor Funtek, Félix Lefebvre, César Chouraqui
Pays : France
Durée : 1h52
Sortie : 24 novembre 2021
Distributeur : Sony Pictures
Synopsis : 1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !
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