Alpha Wann, technicien 5 étoiles du rap français à l'assaut de Rock en Seine
Une sacrée réputation auprès des connaisseurs précède ce rappeur parmi les meilleurs du moment. Il reste pourtant peu médiatisé et injustement méconnu. Sa radicalité et son exigence n'y sont pas pour rien. A découvrir à Rock en Seine.
Considéré par beaucoup comme le meilleur rappeur de sa génération, surnommé “le mathématicien du rap”, Alpha Wann, 30 ans, est la preuve vivante que notre époque n’a rien à envier à celle de MC Solaar ou d’Oxmo Puccino. Enfant de la banlieue parisienne sud, parfait représentant de la génération MTV, il cofonde en 2008 avec Nekfeu, Darryl Zeuja, Fonky Flav' et Sneazzy le groupe 1995.
Ensemble, ils redonneront un coup de frais à la scène rap de l’époque et rejoindront le collectif parisien L’Entourage. Le flow rapide, incisif et technique d’Alpha Wann se révèle tout particulièrement avec Rap Contenders, la ligue de battle rap a cappella française.
Une main lave l’autre
Lunettes rondes de premier de la classe vissées sur le nez, “freestyler” de génie, à l’aise sur scène comme en studio, celui que l’on surnomme Alph Lauren se veut aussi businessman. Indépendant, il fonde dès 2013 son label Don Dada avec le producteur Hologram Lo, qu’il prolonge ensuite dans le prêt-à-porter. Profitant de son indépendance rendue possible par son succès au côté de 1995 et l’Entourage, il produit trois EP, Alph Lauren 1, 2 et 3. Il s’y révèle en tant que rappeur solo, expérimente, gagne en maturité et se distingue de ses habituels compagnons.
Fin 2019, il sort son premier album solo, Une main lave l’autre (UMLA), tout de suite très bien accueilli par la critique. Aboutissement de deux ans et demi de travail, il répond pleinement aux attentes de son public, avec des punchlines efficaces et une bonne dose d’introspection poétique. Alpha Wann y pousse à fond son attachement à la technique, avec des morceaux très travaillés sur le plan des rimes, du rythme et des sonorités. Si vous voulez un album à chanter sous la douche, passez votre chemin. Cynique et parfois blasé, Alpha Wann livre sa vision du monde, en témoigne la meilleure punchline de l’album dans l’excellent Le Piège, qui inaugure l’album : “Dis à la France que tout se paye, ce pays est en stagnation / Ici, c'est racisme et vente d'armes, des clodos à chaque station / Tu l'appelles Mère Patrie, j'l'appelle Dame Nation”. Admirez le rythme.
Un rappeur à part
Alpha Wann détonne dans le monde du rap francophone actuel. Discret, peu enclin à l’exercice de la promotion, le rappeur de 30 ans ne se confie que très peu au micro des journalistes. Il faut dire que, à l’instar de certains de ses contemporains comme le duo PNL, Alpha cultive une image d’artiste indépendant, insoumis à la loi des charts et immunisé aux affres du succès. Une main lave l’autre (UMLA) a sans doute fait les frais de cette timidité médiatique.
Pépite de poésie et d’habileté, sublimé par les instrumentaux signés de producteurs de renom comme Hologram Lo', Seezy ou VM The Don, cet opus qui avait tout pour plaire n’a pas rencontré un franc succès et s’est contenté de scores moyens dans les charts. Petite comparaison hasardeuse : les morceaux de UMLA n’ont que très rarement dépassé le million de vue sur YouTube, alors que Koba LaD, pratiquement inconnu il y a de ça un an, caracole autour des 10 millions de vues sur la plupart de ses morceaux. La faute à une mauvaise promotion, ou tout simplement la conséquence de la nature même du public assez restreint d’Alph Lauren, public exigeant et attaché à un rap pur, “décontaminé” de tout élément pop ?
Le pari de la technique
Le pari d’Alpha Wann d'évoluer à contre-courant de ce qui marche le plus actuellement a sans doute joué contre lui. Son album ne contient aucun refrain chanté, exercice pourtant obligatoire pour imposer un tube sur l’actuelle scène rap, en témoigne les succès de PNL, Koba LaD ou Nekfeu. Alpha, et c’est tout à son honneur, est un rappeur pur et dur. Le chant, et surtout l’auto-tune qui le banalise dans le rap aujourd’hui, ce n’est pas pour lui, qui préfère reposer sur ses talents de rappeur et son flow rapide et percutant. En outre, la rareté des clips pour accompagner ses morceaux dès la sortie de l’album a sans doute freiné sa diffusion. Erreur ou choix artistique ? Alpha Wann l’affirme : il veut que ses morceaux soient appréciés à l’oreille et pas à la qualité des clips.
Tout aussi dommage, le retrait d’un couplet de Nekfeu du morceau Langage crypté. Or, c'est bien connu, rien de tel qu’une collaboration avec le rappeur niçois pour propulser les ventes d'un album. En témoignent les succès de Jazzy Bazz (Éternité), Deen Burbigo (Tu rêves) et la plupart des anciens de l’Entourage et 1995 dont les featurings avec Nekfeu ont fait un carton. Mais comme dit Alpha Wann au début de Starsky & Hutch, le deuxième morceau de l’album, “J'ai passé trop de temps à travailler un style incroyable pour le partager avec n'importe qui comme ça, j'sais pas quoi, featuring, les collaborations mes c***lles”. Ça a le mérite d'être clair, et on peut craindre qu’avec sa volonté tenace de rester à part, Alpha Wann ne résiste pas au renouveau profond que vit le rap français actuel.
Il est temps de découvrir Alpha Wann : après son excellent set à Marsatac en juin, il sera sur la scène principale de Rock en Seine samedi 24 août, avant de s'attaquer à l’Olympia le 5 décembre prochain. Et bien que Une main lave l'autre ne l’ait pas propulsé au sommet, cet album lui a permis de confirmer son statut de maître technique du rap. Les fans devront s’en contenter jusqu’en 2021, année prévue de son prochain album.
Alpha Wann est en concert samedi 24 août sur la scène principale de Rock en Seine
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.