"Je voulais m’éloigner émotionnellement des Smiths" : le guitariste Johnny Marr revient sur son riche parcours avant Rock en Seine
Avant son concert à Rock en Seine vendredi 23 août, le guitariste virtuose est revenu sur ce qui l'a occupé depuis la séparation des Smiths, de Electronic à Modest Mouse en passant par la B.O. de "Inception". Son concert est en replay ci-dessous.
À 55 ans, Johnny Marr semble avoir tout vu (et tout joué). Entre 1982 et 1987, il a écrit l'intégralité de la musique des Smiths, on parle ici des quatre albums, de la vingtaine de singles et d'autant de faces B du légendaire groupe de Manchester. En moins de cinq ans, il s'est construit une image de compositeur accompli et de guitariste de génie, faisant, avec le riff introductif de This Charming Man et les accords de That Joke Isn't Funny Anymore, plus pour le rock qu'une majorité de musiciens sur toute une vie. Mais en 1987, le petit prodige quitte le groupe, lassé par les luttes intestines, le caractère difficile de son camarade Morrissey et un horizon musical qu'il estime bouché.
Trente ans plus tard, Johnny Marr continue de composer, de jouer, et s'est même mis à chanter. Avec son propre groupe et en son nom. En tournée de promotion de son troisième album, Call The Comet, il s'apprête à jouer à Rock en Seine vendredi soir juste avant The Cure, éternels concurrents des Smiths. Et ne vous attendez pas à ce qu'il ne joue que les tubes des Smiths : le bon Johnny a eu sa dose de collaborations fructueuses et de riffs déments depuis qu'il a claqué la porte de son premier groupe. Pour nous, il a accepté de revenir sur les nombreux projets qui ont occupé son temps depuis 1987.
Franceinfo Culture : vous avez quitté les Smiths en 1987, parce que vous trouviez votre horizon musical réduit. Que vouliez-vous faire à ce moment-là ?
Johnny Marr : Je n’en avais aucune idée. Je pensais même que j’allais finir par devoir retourner chez mes parents. Et puis mon téléphone s’est mis à sonner, et j’ai eu des nouvelles opportunités. En 1982 [avant de fonder The Smiths, ndlr], je devais rejoindre The The, parce que Matt Johnson était mon ami depuis que j’avais 17 ans. Donc quand j’ai quitté The Smiths, je me doutais que j’allais rejoindre The The, et j’en étais très content.
Vous avez enregistré deux albums avec The The, et avez tourné avec eux pendant six ans. Pourquoi ne pas avoir écrit de chansons pour le groupe ?
Mon rôle, c’était à 100% d’être guitariste. Mais si on écoute certaines chansons, comme Slow Emotion Replay sur l’album Dusk (1993), on se rend compte que j’ai joué un grand rôle dans l’écriture de la musique. Les crédits musicaux sont toute une affaire. Mais c’était le groupe de Matt, et il voulait en garder le contrôle. Ce qui m’allait très bien. Et puis au même moment, j’ai formé Electronic avec Bernard Sumner [le chanteur de New Order, groupe également originaire de Manchester, ndlr]. Et donc pendant six ans, j’étais dans deux groupes en même temps.
Pour Electronic, vous avez écrit une musique qui ne ressemblait pas à ce qu’on aurait pu attendre de vous. C’était délibéré de votre part d’explorer de nouveaux styles musicaux ?
Je n'avais que 24 ans quand j’ai quitté les Smiths. Et il y avait une révolution musicale à Manchester [le mouvement Madchester, influencé par la house, ndlr], qui était ma ville. Je ne voulais pas être mis de côté, et je me suis intéressé à la technologie. J'ai appris à utiliser un synthétiseur pour créer des albums modernes. Je voulais m’éloigner musicalement et émotionnellement des Smiths. Parce que la séparation avait été horrible. Je suis très fier de certaines chansons de l’époque. Aucun groupe ne sonne comme Get The Message par exemple. Je ne suis plus aussi fan du synthé aujourd'hui, mais j’étais jeune. Si je devais le refaire, je le referais.
En 2001, vous avez intégré le supergroupe 7 Worlds Collide, fondé par Neil Finn. Était-ce encore un moyen de vous diversifier ?
J’ai rejoint 7 Worlds Collide parce que j’étais séduit par la façon dont Neil Finn abordait la musique. Pour une série de concerts en Nouvelle-Zélande, il a invité Eddie Vedder de Pearl Jam, Ed O’Brien de Radiohead, Wendy Melvoin de Wendy and Lisa, et d’autres grands musiciens. J’ai écrit une chanson avec Jeff Tweedy, et je l’ai jouée avec Ed O’Brien. C’était vraiment un truc de musiciens. J’adorais l’ambiance créative et altruiste. C’est l’ambiance qui faisait tout.
C’est la recherche d’une ambiance similaire qui vous a fait joindre Modest Mouse et The Cribs ?
Oui et non. Au début des années 2000, je m’étais lassé de la scène musicale britannique, et j’en avais marre de vivre en Angleterre. Et j’adorais la musique de Sonic Youth ou Elliott Smith. Le leader de Modest Mouse, Isaak Broke, m’a appelé pour savoir si je pouvais les aider à écrire leur nouvel album. J’aimais leur musique mais je ne savais pas comment ils l’écrivaient, ce qui était intéressant pour moi. Donc je suis allé à Portland dans l’Oregon pour travailler avec eux. Au bout d’une semaine, j’étais tombé amoureux de leur musique et de la ville. Donc j’ai fini l’album avec eux. À la fin des enregistrements, je me sentais comme un membre à part entière.
Quand on enchaîne les projets plus ou moins courts, comment faire pour ne pas se sentir comme une pièce rapportée ?
Quand j’avais 14-15 ans, des groupes de Manchester me demandaient de venir jouer avec eux parce que j’avais une réputation de bon guitariste. Je me cachais sans le sou dans un train, avec ma guitare et mon ampli, et j’allais jouer avec des inconnus. C’est ce que j’ai fait avec Modest Mouse. J’ai traversé 5.000 kilomètres pour jouer avec des inconnus, juste pour voir si ça ferait de moi un musicien plus intéressant. Je ne fais que suivre la musique, depuis toujours. Mon premier groupe est devenu très célèbre, mais je fonctionne encore comme en 1980. Je détestais les tournées avec les Smiths, mais j’ai adoré tourner pendant quatre ans avec Modest Mouse. C’est peut-être la meilleure période de ma vie.
Et pourtant, vous avez quitté Modest Mouse en 2009 pour intégrer The Cribs.
Je me suis rendu compte que le Royaume-Uni me manquait. Et il y avait des nouveautés intéressantes : Franz Ferdinand et The Cribs. Modest Mouse souhaitaient faire une pause, mais je n'avais pas l'intention de perdre deux ans de travail. Et The Cribs voulaient qu’on fasse un EP de quatre chansons, donc je les ai rejoints en studio. On a écrit deux chansons le premier jour, deux le deuxième jour, deux le troisième… Je savais que l’alchimie était bonne, et eux le savaient aussi. Donc on s’est dit : "Et si on continuait ?" C’était une décision spontanée. Et puis finalement, eux aussi ont voulu faire une pause d’un an. J’avais écrit des chansons de mon côté, et je n’avais pas envie d’intégrer un nouveau groupe. Donc je me suis lancé en solo en 2011.
Mais vous aviez déjà eu une expérience de frontman en 2000, quand vous avez formé Johnny Marr and the Healers. Qu’est-ce que ça fait d’avoir son nom sur le devant de la pochette de l’album pour la première fois ?
Les gens pensaient que je serais stressé à l’idée d’être le chanteur du groupe. Mais ça ne m’a pas posé de problème, sinon je ne l’aurais pas fait. Sans The Healers, je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui. Ils m’ont appris à être leader d’un groupe. Avec les Healers, je sentais qu’il fallait que j’écrive et chante une musique qui représente les trois membres du groupe et leurs goûts. Ce qui diluait la musique que je voulais faire. Aujourd’hui, je chante et j’écris pour moi, et c’est ce que veut mon groupe. Je suis plus égoïste et ma musique en est meilleure. Et ça dure depuis huit ans et trois albums.
Vous avez exploré une grande variété de styles au cours de votre carrière. Et avec vos albums solo, vous êtes revenu à de la musique proche de vos débuts, avec la guitare au centre de la musique. Pourquoi ?
Parce que j’honore la guitare, et je veux réussir à rendre la guitare efficace dans chaque genre de rock. Parfois j’ai réussi, parfois j’ai raté. C’est ce qui m’a motivé à faire de la pop. En 1991, j’ai même fait de la guitare sur de la dance music avec un groupe appelé Banderas. La dernière fois que j’ai voulu faire quelque chose de différent, c’était probablement sur la musique d’Inception de Christopher Nolan. Avant, les réalisateurs ne voulaient pas de guitare sur leur bande originale parce que ça faisait très années 80, comme Top Gun, avec une guitare mielleuse. Et après avoir fait Inception avec Hans Zimmer, toutes les BO de films ont commencé à avoir des guitares. Et elles sonnaient comme moi ! À la télé, quand un skieur descend une montagne ou qu’un joueur de foot marque un but héroïque, ils mettent une musique à la Inception. Je laisse à Hans le crédit de m’avoir invité. Ce n’était pas mon idée, mais c’est mon son. Quand je compose pour mon groupe, j’utilise parfois un synthétiseur, mais je fais l’inverse d’Electronic. Je me demande toujours : "Comment est-ce que je remplace ça par une guitare ?"
Quand vous vous êtes lancé en solo il y a huit ans, en aviez-vous assez que certains journalistes vous qualifient d’accompagnateur plutôt que de vrai leader de groupe ?
Oui, ça me lassait, je vais être honnête. Et pas parce que c’est une insulte, mais juste parce que c’est faux. Quand les journalistes disent que je traîne, que je suis un simple compagnon de voyage… Si vous interrogez tous les membres de tous les groupes avec lesquels j’ai joué, ils vous diront que je suis le premier à arriver le matin et le dernier à partir le soir, et que je fatigue tout le monde. Quand je rejoins un groupe, je m’investis complètement. Je loupe les anniversaires de mes enfants et de ma femme. Je fais passer le groupe avant tout.
Quel sera le son de votre prochain album solo ?
Je crois que Call the Comet m’a pris par surprise. Je n’avais aucun plan précis, et l’album a pris vie avec mes émotions. Certaines chansons sont émotionnelles, dans la musique et les paroles. Les gens ont aimé parce que je parle de moi, ce qui m’a surpris. Quand j’ai créé mon groupe, je pensais jouer des chansons à la Brian Eno. Mais je vais peut-être écrire un album sur moi, si j’en ai la capacité d’écriture. Côté guitare, le fait de jouer beaucoup de gros concerts comme Rock en Seine me fait réfléchir sur ce qui marche sur une grande scène devant un large public. Et je n’ai jamais fait d’album en réfléchissant de cette manière. Donc je pourrais m’y essayer. Sans que ça ressemble à du Muse.
Vous avez joué de façon ponctuelle avec de grands noms, comme Oasis, les Pet Shop Boys, les Talking Heads ou encore Pearl Jam, mais simplement en tant qu’invité. Qu’est-ce que ça fait d’être demandé par autant de groupes très respectés ?
Je suppose que j’aime ça, et je respecte tous ces musiciens. Il n’y a qu’un seul musicien qui fait ça : Nile Rodgers, qui a été une de mes plus grandes influences quand j’étais adolescent. Et pas seulement sa façon de jouer de la guitare, mais aussi sa manière d’être. Il pouvait se permettre de jouer avec Diana Ross, David Bowie et Duran Duran. Je n’ai pas essayé de le copier, mais je m’identifiais à lui. Dans les années 50, il y avait un guitariste appelé Duane Eddy, et il avait sorti un album qui s’appelait Have ‘Twangy’ Guitar Will Travel (en français, "Qui a une guitare clinquante voyagera"). Et je me disais : "Putain, ça, ça me va."
Regardez le concert de Johnny Marr du vendredi 23 août 2019 sur la Scène des 4 Vents (disponible jusqu'au 20 février 2020)
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