"Wall of Eyes" de The Smile : le groupe échappé de la cuisse de Radiohead s’épanouit avec grâce sur son second album
On est désolés pour les fans hardcore de Radiohead mais The Smile, constitué des deux piliers du groupe d’Oxford Thom Yorke et Jonny Greenwood, alliés au batteur Tom Skinner de la formation de jazz avant-garde Sons of Kemet, ressemble de moins en moins à une parenthèse. Né durant le confinement, parce que Thom et Jonny souhaitaient terminer quelques chansons ensemble, The Smile qui sort vendredi 26 janvier son second album Wall of Eyes, s'apparente de plus en plus à un projet au long cours, dans lequel les deux complices peuvent expérimenter et s’épanouir en toute liberté, débarrassés des encombrantes attentes autour de Radiohead. D’ailleurs, si Radiohead devait revenir, le groupe s’en trouverait forcément transformé, imprégné et régénéré par cette échappée belle.
Au second round, le trio semble avoir trouvé une forme d’apaisement. Wall of Eyes est moins plombé, moins désespéré que le précédent, A Light For Attracting Attention, et que le dernier album de Radiohead, A Moon Shaped Pool, qui remonte à 2016. Rassurez-vous, on est loin de l’euphorie : l’ombre et la mélancolie planent toujours sur les compositions de Wall of Eyes, et nombre de micro-séquences sont hantées. Mais les chansons paraissent cette fois chercher davantage à atteindre la lumière qu'à fouiller les abîmes douloureux.
Doit-on cette inflexion au producteur Sam Petts-Davies, également aux manettes des consoles de mixage ? Il se trouve que pour la première fois depuis bien longtemps, Thom Yorke et Jonny Greenwood se sont passé cette fois de leur fidèle ami et producteur Nigel Godrich pour ces huit titres enregistrés à Oxford et aux studios Abbey Road de Londres. Sur cet album particulièrement mélodieux, le London Contemporary Orchestra réalise à nouveau les merveilleuses parties de cordes. De son côté, le batteur Tom Skinner affirme son style atypique et mobile, jamais démonstratif, sa discrétion n’empêchant pas de réaliser combien son jeu est déterminant dans le succès de cette alchimie.
Fourmillant de détails sous une simplicité apparente
Guitariste et multi-instrumentiste devenu ces dernières années un compositeur de musiques de films très prisé, Jonny Greenwood cultive toujours les dissonances, les embardées et les sorties de route volontaires. La complexité demeure, mais cela n’a jamais paru aussi naturel, organique, sans effort, malgré la densité inouïe de détails et de surprises que renferme chaque titre, comme sur le morceau d'ouverture (ci-dessous), une néo-bossa nova au motif simplissime derrière laquelle moult sonorités déglinguées et menaçantes grouillent au second plan. Surtout, l’inventivité et l’imagination sont de chaque instant, de sorte qu’il est tout simplement impossible de s’ennuyer en dépit de chansons qui font toutes plus de cinq minutes.
Comme on avait pu le constater sur scène lors de la tournée de The Smile en 2022, Thom Yorke n’est plus seulement cet écorché vif, ce chanteur à la voix fragile et plaintive dans les aigus. Sans rien perdre de sa vulnérabilité, il élargit ses possibilités, tente des choses et varie les styles. Il descend dans les graves sur I Quit et sur Bending Hectic, un des sommets de l’album – un titre majestueux démarré comme une ballade ample, qui se termine en puissant feu d’artifice post-punk –, et use sur Read The Room d’un étonnant phrasé à la Perry Farrell (Jane's Addiction, Porno for Pyros). Friend of a Friend est un autre bijou en deux parties dont la progression et les accords au piano cherchent cette fois clairement du côté des Beatles, et notamment de A Day in the Life.
Concernant les textes, excepté Bending Hectic qui évoque un accident de voiture dans les virages périlleux de la montagne italienne, on se perd toujours en conjectures sur ce que Thom Yorke a voulu exprimer. La critique de l’inaction des ultra-riches perçue sur Wall of Eyes semble imprégner une bonne partie des métaphores du disque. Aucune certitude pour autant. Thom Yorke expliquait lui-même en 2019 dans le New York Times : "Généralement, je jette le texte quand je comprends ce qu’il veut dire – c’est trop plat. Les paroles devraient être une série d’ouvertures de fenêtres plutôt que de fermetures, ce qui est incroyablement dur à faire." D’une formation à l’autre, voilà bien quelque chose qui ne change pas. Fans de Radiohead, cessez donc de mouronner. Et souriez.
The Smile donnera dès le 7 mars à Dublin le coup d’envoi d’une tournée européenne d’une quarantaine de dates qui passera par Bruxelles le 15 mars et ne fera pour l’instant qu’une unique halte en France, le dimanche 25 août à Rock en Seine (Paris). Le producteur de techno James Holden assurera la première partie de toute la tournée.
L'album "Wall of Eyes" de The Smile (XL Recordings) est sorti vendredi 26 janvier 2024
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