25 ans de l'accord de paix en Irlande du Nord : "Rien ne dit que ce texte ne peut pas être amélioré", estime un député nord-irlandais
L’Irlande du Nord est officiellement en paix depuis 25 ans. Le 10 avril 1998 était signé l’accord du "vendredi saint" qui marquait l’arrêt des affrontements entre catholiques nationalistes et protestants unionistes. Si les armes se sont tues, le contexte politique reste compliqué. Le pays, membre du Royaume-Uni, n’a plus de gouvernement depuis plus d’un an maintenant. La faute au principal parti unioniste, le DUP (Democratic Union Party), qui refuse de participer à la formation de ce gouvernement.
Arrivé en deuxième position aux législatives de mai dernier, remportées pour la première fois par le Sinn Fein, le mouvement nationaliste, le DUP ne veut pas jouer le jeu démocratique. Or, selon la constitution nord-irlandaise, une coalition au pouvoir est nécessaire pour éviter qu’une communauté ne domine l’autre. Cette règle a été héritée de l’accord du vendredi saint. À cause de cette crise politique, Nick Mathison est un député empêché de siéger à Stormont, l’assemblée nord-irlandaise. Il fait partie des 17 élus du parti Alliance qui a enregistré un score historique, devant la troisième force politique du pays. Alliance se caractérise par le fait de ne se définir ni comme unioniste, ni comme nationaliste.
franceinfo : C’est le 25e anniversaire de l’accord du vendredi saint qui a mis fin aux "troubles" en Irlande du Nord. En quoi ce texte signé le 10 Avril 1998 est-il encore primordial aujourd’hui ?
Nick Mathison : Il est extrêmement important pour nous de le commémorer. Quoi que nous disions à propos des difficultés de notre politique, nous ne devons jamais oublier d'où nous venons. Ces troubles ont détruit la vie de milliers de gens et certains vivent encore aujourd'hui avec les séquelles physiques et émotionnelles de ce conflit. Nous ne devons jamais oublier. L'accord du vendredi saint, malgré toutes ses imperfections et ses compromis, a apporté la paix. Il est crucial de le célébrer. Mais ce texte n'est pas gravé dans le marbre. Il s'agissait d'un document élaboré par des dirigeants politiques imparfaits qui faisaient de leur mieux dans le contexte dans lequel ils se trouvaient. Rien ne dit qu'il ne peut pas être amélioré afin de garantir cette stabilité. Mais il reste le modèle à suivre pour parvenir à un règlement politique ici en Irlande du Nord et nous restons attachés à cet objectif.
Cet anniversaire intervient en pleine crise politique en Irlande du Nord. Il n’y a plus de gouvernement depuis plus d’un an et l’Assemblée est empêchée de siéger. Depuis que vous avez été élu, vous n’avez jamais pu exercer pleinement votre rôle de député. Cette situation menace-t-elle la stabilité du pays ?
Je suis extrêmement frustré. C'était une sensation étrange d'avoir été élu en mai dernier parce que je pense que nous savions tous qu'il était très possible que le DUP, le plus grand parti unioniste d'Irlande du Nord, empêche la formation d’un gouvernement. C'était donc doux-amer. Nous savions qu’il y aurait une période de suspension, mais pour être honnête, je ne pensais pas que ce serait aussi long. Les problèmes et les défis liés à notre politique publique en Irlande du Nord sont si nombreux que j'ai eu l'impression de faire preuve de négligence et d'irresponsabilité. Mais c'est ce que le DUP a choisi de faire. Quels que soient leurs arguments, il y a des conséquences réelles à cette absence de décideurs politiques en place. Je ne connais aucune autre démocratie en Europe qui l'accepterait. Je pense que les gens seraient dans la rue pour protester, comme dans la plupart des autres pays européens, si leurs dirigeants refusaient de légiférer et de prendre des décisions. C'est tellement frustrant. Pour ce qui est des solutions, à court terme, j'espère sincèrement, que le DUP va revenir. Mais je ne sais pas quand. Notre histoire est très complexe. Elle impose un partage du pouvoir pour aider les communautés à gouverner ensemble.
Mais nous devons réformer notre système de gouvernement. Il est intolérable que, dans une démocratie d'Europe occidentale, un parti qui a le droit de siéger à la table du gouvernement puisse faire échouer l'ensemble du projet. Si vous êtes éligible au poste de Premier ministre ou de vice-Premier ministre et que vous refusez d’y aller, tout le gouvernement s'effondre. Il ne peut pas se former. Nous allons donc de crise en crise. Lorsque nous en sortons, nous sommes toujours engagés dans une course contre la montre. Notre mandat est plus court. Nous avons peu de temps pour faire adopter la législation et les ministères ne peuvent pas prendre de décisions stratégiques parce qu'ils ont peut-être perdu deux ans de ce mandat. Nous aimerions que le système soit réformé et nous continuerons à faire campagne à chaque élection pour le modifier : un parti choisit de ne pas entrer au gouvernement ? Très bien ! Nous sommes dans une démocratie et cela s’appelle un parti d’opposition. Le parti qui arrive juste après doit être autorisé à prendre place à la table des négociations et à former un gouvernement. Cela fait au moins dix ans que notre système fonctionne mal, réformons-le.
Pouvez-vous définir ce qu'est votre parti, Alliance ?
Il a été créé en 1970 et, depuis ce jour, nous sommes un parti intercommunautaire. Nous ne nous sommes identifiés ni aux unionistes, ni aux nationalistes. Nous voulons représenter tout le monde, quelle que soit votre position sur ces questions communautaires. La plupart de nos membres ne s'identifient à aucune de ces catégories et rejettent cette forme binaire de politique. Nous occupons donc une place tout à fait particulière dans la politique nord-irlandaise. Nous aimons dire que nous sommes un parti libéral centriste.
Vous êtes devenu le troisième mouvement du pays. Comment expliquez-vous votre succès aux dernières élections générales ?
Nous voyions venir ce succès, ce n’est pas complètement une surprise. Nous l'avons constaté pour la première fois en 2019 lors d’élections locales, nous avons gagné un nombre vraiment important de sièges. Même chose lors des dernières élections européennes avant le Brexit. Nous avions pour la première fois un membre du Parlement européen élu issu d’Alliance, ce qui aurait été impensable dix ans plus tôt. La croissance a donc été constante et s'est vraiment concrétisée en mai 2022 avec les élections législatives. Pour moi, il y a deux raisons principales à ce succès. Premièrement, le public est frustré par l'instabilité de notre gouvernement en raison de la structure de notre système politique. Je pense donc qu'Alliance a reçu des votes en raison de cette frustration. Mais le plus significatif, c’est que toutes les données indiquent que l’on ne se définit plus forcément comme protestant ou catholique. Il existe un glissement vers la laïcité en Irlande du Nord et donc une tendance à s'éloigner de la division binaire. En 2019, de nombreux analystes politiques disaient que nous étions un vote de protestation, que tout était dû à la frustration suscitée par le gouvernement. Mais nous avons dépassé cela. Nous sommes réellement témoins d'un changement démographique assez significatif en Irlande du Nord.
Quand vous faites campagne ou quand vous vous adressez aux électeurs, vous ne parlez jamais de rejoindre la République d’Irlande ou de l’appartenance au Royaume-Uni ?
Il est impossible de faire campagne en Irlande du Nord sans être interrogé sur ces sujets (sourire). Les électeurs nous questionnent toujours et notre message est simple : parlons plutôt de la manière de faire fonctionner l'Irlande du Nord. C'est vraiment notre mantra. Si demain, nous faisions partie d'une Irlande unie, nous devrions encore vivre ensemble dans l'espace qui s'appelle actuellement Irlande du Nord. Peu importe le cadre finalement, nous devons partager l'espace et trouver un moyen de faire face à notre passé, faire de l'Irlande du Nord un lieu de vie ouvert et progressiste, où il fait bon vivre, éduquer nos enfants et attirer des investissements. Tout ce qu’une démocratie libérale normale et ouverte recherche. Pour nous, la question de la frontière n'est donc pas un élément-clé de notre message politique.
Le message de votre parti est d’autant plus audible depuis l’accord du vendredi saint. Les affrontements ont cessé. Vous pouvez donc parler coût de la vie, dépenses du quotidien, santé, énergie…
Absolument. Si nous nous concentrons sur la question nationaliste, unioniste ou si nous nous concentrons sur l'héritage du passé, nous sommes dans une forme de politique assez paresseuse et nous ne proposons pas un programme cohérent et ambitieux à nos électeurs. Élaborer une politique peut devenir optionnel pour certains partis d'Irlande du Nord. Ils savent que s'ils attachent le bon drapeau à leurs tracts et à leurs affiches, ils peuvent accéder à une réserve importante de voix sans chercher plus loin. Lorsque nous faisons campagne, les gens nous demandent de plus en plus ce que nous allons faire pour la santé, l’éducation, nos routes et nos infrastructures qui sont en ruine… Comment allons-nous atteindre nos objectifs en matière de changement climatique ? Comment gérons-nous les salaires du secteur public ? Je préfère de loin discuter de ces questions plutôt que de me demander où situer une ligne sur la carte. D’ailleurs, l'accord du vendredi saint entérine le fait que l'Assemblée d'Irlande du Nord n'a pas le pouvoir d'intervenir sur les histoires de frontière et d’appartenance. C'est une question qui relève des gouvernements britannique et irlandais. Occupons-nous plutôt du quotidien et faisons marcher ce pays.
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