Reconstruction de la cathédrale de Nantes : "La destruction du grand orgue est une perte irréparable" estime Mathieu Lours
Deux jours après l'incendie dans la cathedrale Saint-Pierre-et-Saint Paul à Nantes, Mathieu Lours déplore la perte d'un patrimoine inestimable. Au sujet du grand orgue, "on ne pourra jamais retrouver ça" estime l'historien de l'art.
"La destruction du grand orgue est évidemment une perte irréparable", affirme lundi 20 juillet sur franceinfo Mathieu Lours, historien de l’art et de l’architecture, spécialisé dans l’architecture des cathédrales, auteur d’un "Dictionnaire des cathédrales" paru en 2018 (éd. Jean-Paul Gisserot), deux jours après l'incendie d'une partie de la cathédrale de Nantes samedi.
franceinfo : Avez-vous une vue plus nette sur les dégats ?
Mathieu Lours : Les dégâts portent essentiellement sur les éléments majeurs du mobilier : mobilier liturgique, avec les stalles, l'orgue de choeur et surtout le grand orgue. Du point de vue architectural, la tribune d'orgue, qui est une tribune en pierre, qui soutenait le grand orgue, a effectivement beaucoup souffert de l'incendie. Et puis il y a des surfaces murales noircies un peu partout dans la cathédrale, notamment autour des départs de feu.
Il y a donc des travaux de consolidation, de nettoyage... Il faut une prise en compte globale de tous ces éléments. La destruction du grand orgue est évidemment une perte irréparable : un buffet de 1621, un orgue de quatre claviers avec une vingtaine de jeux d'anche, très puissants qui imitent les cuivres, stratifié pendant des siècles. On ne pourra jamais retrouver ça. Pour le reste, on sait très bien restaurer une cathédrale qui a subi un incendie, on le sait depuis la Première guerre mondiale, et même avant. Ca pourra être refait sans de grosses difficultés techniques.
Le Premier ministre souhaite la reconstruction de la cathédrale le plus vite possible. A-t-on une idée du temps que ça va mettre, au vu des dégâts ?
Il va falloir procéder de manière rationnelle : il ne faut pas remonter le grand orgue tant qu'il risque d'y avoir des dégagements de poussière dans l'édifice, par exemple. Donc il faut commencer par assurer le clos et le couvert, en replaçant un vitrail, définitif ou provisoire, dans la grande baie. Ensuite, consolider la tribune, nettoyer l'intérieur de la cathédrale, et seulement à ce moment-là placer un orgue dans des conditions optimales, sans dégagement de poussière et sans qu'il soit la proie des éléments extérieurs.
Ça mettra des années, car il faut aussi que le projet de grand orgue soit raisonné, réfléchi.
Mathieu Loursà franceinfo
Il ne s'agit pas de construire n'importe quel orgue, mais un orgue de la cathédrale de Nantes, en continuité avec le précédent, et en réfléchissant bien à l'usage cultuel et culturel de cet instrument, qui sera forcément une création majeure du patrimoine organistique français du 21ème siècle.
L'association des amis du grand orgue de la cathédrale de Nantes souhaite repartir, non pas sur une reconstruction à l'identique, mais sur un projet similaire, qui se souvient de ce qu'a été l'orgue : qu'est-ce que cela signifie ?
C'est un projet qui va devoir associer la mémoire de l'orgue précédent, c'est-à-dire le fait d'avoir des timbres, des capacités sonores, techniques, en conformité avec ce qu'on avait, tout en faisant un orgue du 21ème siècle. En ne s'interdisant pas d'avoir un instrument qui présente des capacités peut-être en termes d'informatique. Les orgues aujourd'hui sont adaptées à l'informatisation, on avait l'exemple de Notre-Dame-de-Paris ou encore de la cathédrale de Montpellier. On a des instruments remarquables de ce point de vue : pourquoi pas à Nantes ?
Les estimations de coût pour la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris dépassent le milliard d'euros, est-on sur le même ordre d'idées ?
A mon avis, pas du tout, car on n'a pas une charpente à refaire, on n'a pas de voûtes à reprendre.
Les dégâts à Notre-Dame sont beaucoup plus importants qu'à Nantes, du point de vue de la structure de l'édifice.
Mathieu Loursà franceinfo
Paris, c'est une reconstruction globale de l'édifice, comparable à des faits de guerre. Même lors de l'incendie de Nantes en 1972, les voûtes n'avaient pas cédé comme à Paris, car il n'y avait pas de flèche à Nantes. Il n'y a pas eu une chute massive de poutres. Ce sont deux incendies très différents, et deux reconstructions très différentes, même si elles vont mettre en oeuvre les compétences des mêmes corps de métier, parfois.
Peut-on aujourd'hui éviter un nouvel incendie dans une cathédrale ?
Certaines cathédrales sont équipées de portes coupe-feu dans les charpentes, comme par exemple Strasbourg, toutes ou presque ont des systèmes de détection d'incendie quand les charpentes sont en bois, il y a des diagnostics qui sont faits depuis le drame de Notre-Dame. Mais le risque zéro n'existe pas, ça fait 1 700 ans qu'il y a des églises qui brûlent. Mais on peut mettre tout en oeuvre pour que ce genre de sinistres n'ait pas des conséquences dramatiques, pour qu'un départ de feu ne soit pas forcément une fatalité pour l'ensemble de l'édifice.
Ça peut être des systèmes de détection, qui aujourd'hui sont bien meilleurs que dans les années précédentes, ça peut être un travail sur la rationalisation des systèmes électriques. Tout ça n'empêchera pas des incendies volontaires de la part de vandales. Les DRAC font un travail assez incroyable de vérifications dans toutes les cathédrales ces derniers temps, il faut vraiment saluer l'action des services de l'Etat. On peut toujours dire qu'il faudrait plus d'argent, mais on ne peut pas dire non plus que nos cathédrales soient abandonnées. Il va falloir trouver un lieu, peut-être, où le gouvernement peut écouter les différents acteurs du patrimoine, notamment du patrimoine cultuel, pour voir comment assurer sa sécurité, sa pérennité.
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