Réouverture de Notre-Dame de Paris : le risque de pollution au plomb est-il complètement écarté ?

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le 15 avril 2019, la toiture et la flèche de Notre-Dame de Paris se sont embrasées, libérant des grandes quantités de poussières de plomb aux alentours de la cathédrale. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Alors que le président de la République visite vendredi la cathédrale où les titanesques travaux de reconstruction touchent à leur fin, franceinfo s'est intéressé à l'épineuse question de la pollution au plomb, passée et à venir, du monument.

Emmanuel Macron effectue une dernière visite du chantier de Notre-Dame, vendredi 29 novembre, à quelques jours de la réouverture officielle de la cathédrale entièrement restaurée. Il aura fallu cinq ans de travaux pour rendre à l'édifice sa splendeur, après l'incendie qui l'a ravagé le 15 avril 2019. Le feu, parti de la charpente, avait alors fait fondre la couverture et la flèche en plomb du monument. Des siècles d'histoire partis en fumée et "400 tonnes de plomb relâchées dans l'air", résume Benoît Martin, secrétaire général de la CGT Paris. 

Depuis l'incendie, le syndicaliste dénonce le manque de réaction des autorités pour protéger les employés du chantier et les riverains de la toxicité du plomb, dont l'ingestion ou l'inhalation peuvent provoquer le saturnisme. Les cas de contamination les plus graves s'accompagnent d'anémie, d'hypertension, de déficience rénale, ou encore – chez les femmes enceintes – d'une altération du développement fœtal, explique l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. Ce tableau clinique est d'autant plus inquiétant qu'il n'existe aucun seuil de non-toxicité. "Le plomb est toxique pour les enfants, les femmes enceintes et les adultes, même à de faibles concentrations", développe l'Inserm.

Aux côtés de l'association Henri Pézerat, qui défend les travailleurs contre les atteintes à la santé, et de deux familles de riverains, la CGT Paris a déposé plainte contre X avec constitution de partie civile pour "mise en danger de la vie d'autrui" en juin 2022. Plainte pour laquelle l'instruction est toujours en cours, fait savoir à franceinfo le parquet de Paris, contacté fin novembre.

De nouveaux prélèvements en cours

Une concentration exceptionnelle de ce métal lourd a été mesurée autour de l'édifice incendié quelques semaines après le sinistre. Depuis, l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France alimente une carte affichant les relevés de prélèvements hebdomadaires. On y apprend par exemple que la cathédrale a compté jusqu'à 611 450 microgrammes de poussières de plomb par mètre carré (µg/m²) entre avril et septembre 2019. A titre de comparaison, l'ARS estime qu'une action sanitaire est requise à partir de 5 000 µg/m². Après l'incendie, un nuage chargé de particules de plomb a aussi traversé le cœur de la capitale en direction de l'ouest. Ce panache toxique est arrivé jusque dans les Yvelines, selon une modélisation réalisée en 2019 par l'Ineris (Institut français de l'environnement industriel et des risques) (PDF).

Cinq ans après la publication de ces données alarmantes, les derniers prélèvements réalisés autour de la cathédrale qui sont disponibles, datant de juillet 2024, sont, à l'exception d'une valeur, sous les 5 000 µg/m². Différents nettoyages de poussière de plomb ont été entrepris ces dernières années dans le secteur, mais "il est certain qu'il continue d'y avoir une pollution tout autour", selon Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l'Inserm et présidente de l'association Henri Pézerat.

Questionnée par franceinfo sur ce point, la préfecture de police de Paris fait valoir que des campagnes de prélèvements complémentaires "sont en cours à l'extérieur et à l'intérieur de la cathédrale en vue de [l]a réouverture [de Notre-Dame]". Il s'agit "de prélèvements surfaciques réalisés avec des lingettes humidifiées", auxquels participe le laboratoire central de la préfecture de police. Les résultats seront mis en ligne sur le site de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France. L'ARS précise par ailleurs qu'elle recommandera la poursuite de la surveillance environnementale après la réouverture de Notre-Dame. "En effet, outre la nouvelle toiture et la flèche en plomb, des travaux sont à venir après le 8 décembre (...) Des futurs travaux des abords de Notre-Dame pourraient potentiellement remobiliser la pollution 'historique', c'est-à-dire la présence de poussières de plomb datant de l'incendie sous la résine mise en place sur le parvis en 2020", justifie-t-elle.

Une reconstruction à l'identique qui interroge

Des études sont également en cours pour tenter d'évaluer précisément l'impact de ce feu sur l'environnement et la santé des Franciliens. Le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) est parvenu à identifier l'empreinte de l'incendie de Notre-Dame dans les signatures des différentes sources de plomb de la capitale, mais les scientifiques ne sont pas encore en mesure "de la distinguer dans des échantillons prélevés", explique la directrice de recherche Sophie Ayrault. "Le temps de la science est un temps très long", temporise l'experte face à la soif de réponses des acteurs associatifs. 

Notre-Dame n'a pas pour autant dit adieu à l'utilisation du plomb. Les architectes chargés de la restauration de la cathédrale ont opté pour une reconstruction à l'identique, jusque dans le choix des matériaux. Une décision validée à l'unanimité par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture le 9 juillet 2020, mais dénoncée avec véhémence par Mathé Toullier, présidente de l'Association des familles victimes du saturnisme : "Il s'agit avant tout d'une solution de facilité. L'ambition pour la reconstruction n'aurait pas dû être de faire le plus vite possible, mais de faire le mieux possible, avec d'autres matériaux." 

Une position partagée par les différents acteurs associatifs réunis dans le collectif "Plomb Notre-Dame". "A la pollution liée à l'incendie s'ajoute maintenant celle du relargage des poussières de plomb issues de la nouvelle toiture et de la flèche", peut-on lire dans leur communiqué de presse datant de mi-avril. Marie-Christine Gromaire, directrice de recherche au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (Leesu), a conduit, avec l'Ecole nationale des ponts et chaussées (ENPC), une étude inédite entre l'autonome 2021 et juin 2023 pour quantifier le plomb qui passe dans les eaux de pluie tombées sur les toits en plomb de Notre-Dame. "On a pu évaluer qu'en un an, la toiture émettrait près de 10 kilos de plomb", chiffre la chercheuse. Le tout par un simple phénomène de ruissellement. "Cela correspond à une émission ponctuelle de plomb localement très importante et qui risquerait de s'accumuler dans les égouts, dans les sédiments", poursuit Marie-Christine Gromaire. En cas de forte pluie, le plomb terminerait alors dans la Seine, participant à la dégradation de la qualité de l'eau du fleuve. "Si l'on compare ce chiffre [de 10 kilos] avec tous les flux de plomb émis par l'agglomération parisienne sur une année, cela reste assez peu", nuance tout de même la directrice de recherche.

Une nécessaire dépollution des eaux de ruissellement

La problématique du ruissellement plombé a été identifiée par les autorités. La nouvelle couverture en plomb du toit a été conditionnée par le préfet de région à la réalisation "d'un dispositif de recueil des eaux de ruissellement sur la toiture en plomb et, d'autre part, d'un dispositif de filtrage et de purification de ces eaux", détaille le ministère de la Culture. Questionné sur l'avancement de ce projet de dépollution des eaux de ruissellement à quelques jours de la réouverture de l'édifice, l'établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame n'a pas donné suite à nos sollicitations. L'ARS Ile-de-France confirme pour sa part qu'un "dispositif de recueil et de traitement des eaux de ruissellement de la toiture en plomb sera mis en œuvre par l'établissement public", et précise être chargée du suivi de sa mise en œuvre.

"Il y a deux façons de répandre le plomb d'une toiture plombée : soit avec le lessivage par les pluies, soit par l'incendie."

Sophie Ayrault, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement du CEA

à franceinfo

En restaurant à l'identique, avec les mêmes matériaux inflammables, un monument aux dimensions hors norme, les bâtisseurs risquent également la réitération du scénario catastrophe du 15 avril 2019. Pour éviter tout nouveau départ de feu, d'importantes mesures de sécurité anti-incendie ont été prises. Un mécanisme de brumisation a été installé le long de la charpente, un nouveau système de détection du départ de feu a été mis en place et la structure des combles a été renforcée, énumèrent les responsables du chantier auprès de France 3 Ile-de-France. De l'avis des différents acteurs scientifiques et associatifs contactés par franceinfo, l'incendie de 2019 aura au moins permis d'alerter le monde de la construction et du patrimoine sur les enjeux de la pollution au plomb pour tenter d'éviter une nouvelle catastrophe.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.