: Reportage À Montfort-L'Amaury, visite de la maison de Maurice Ravel enrichie de nouveaux objets racontant le compositeur
On entendrait encore la mélodie du Boléro valser de pièce en pièce. On verrait presque encore le compositeur animer son piano Erard ou servir des boissons à ses convives ravéliens. On sentirait presque encore la fumée de ses Gauloises Caporal imprégnée dans les rideaux, qui une fois ouverts délivrent une vue imprenable sur la forêt de Rambouillet.
Situé non loin de la tour Anne-de-Bretagne, point culminant du village féodal de Montfort-L'Amaury (Yvelines), le "Belvédère" a été acheté par le compositeur Maurice Ravel en 1921. Cette maison, dont la vue donne sur l'impressionnante église Saint-Pierre, "reflète l'intimité du compositeur", souligne Anne Million-Fontaine, attachée de conservation du Musée Maurice Ravel. Pour cause, la quasi-totalité des objets et meubles ont appartenu au compositeur, qui s'est plu à agencer et décorer chaque pièce de la bâtisse.
Le "malicieux"
Le mois de novembre a été historique pour la maison : le Belvédère a reçu une donation de l'association les Amis de Maurice Ravel. Depuis, les objets ont déjà trouvé leur place. Dans la cuisine exiguë, carrelée du sol au plafond, plusieurs cadres ont été fièrement placés. L'œil du visiteur est aussitôt attiré par un nouvel arrivant, la gravure Wall Street, réalisée par le moderniste américain Arnold Rönnebeck. Représentant des gratte-ciel new-yorkais, elle est marquée d'une dédicace au compositeur : "À Maurice Ravel, Avec les sentiments de profonde gratitude pour des conversations sur l'art inoubliables. Denver, Colorado, le 20 février 1928."
Dans la pièce adjacente, un exemplaire du buste de Maurice Ravel s'est invité dans les vitrines. Confectionné en grès par le décorateur français Léon Leyritz, le buste "cubiste" a été offert au compositeur en 1928. À ses côtés, une reproduction de la main de Marguerite Long, célèbre pianiste, amie du compositeur, a été offerte au Belvédère par sa famille. Ces récentes acquisitions ont été disposées au beau milieu d'une vingtaine de jeux et petits objets adorés de l'artiste. "Maurice Ravel était un personnage malicieux. Il aimait jouer et résoudre des problèmes", note Anne Million-Fontaine. En témoigne "La question du divorce", casse-tête consistant à tirer une tige emprisonnée par des ailettes en métal. Des jeux que l'on retrouve cachés dans des boîtes à travers les pièces de la maison, dont des automates. "Ici, tout bouge. Tout est en mouvement et fait du son."
Ravel, "le roi des cocktails"
"Ce goût pour la construction et la réflexion, Maurice Ravel le tiendrait de son père Joseph, ingénieur de profession", précise l'attachée de conservation du musée. Et ces compétences, il les a directement mises au profit du Belvédère. Le compositeur a dessiné le cosy de la maison d'où l'on aperçoit les toits du village en pierre, mais aussi la jolie alcôve du salon gris à rayures noires. Derrière l'une de ses vitrines, Maurice Ravel a imaginé une "pièce secrète" afin d'empiler un tas de bibelots, des nombreuses partitions et "des lettres non ouvertes par le compositeur".
Ces pièces étroites et "intimistes", disposées en enfilade, ont reçu autrefois les amis du compositeur. La célèbre Colette, la pianiste Hélène Jourdan-Morhange, l'académicien Jacques de Lacretelle, le compositeur Jacques-Alphonse De Zeegant... La majorité de ses proches ont été rencontrés dans les salons parisiens de "Winnie", princesse de Polignac, à qui Maurice Ravel a dédié sa célèbre Pavane pour une infante défunte (1899). "En venant à Montfort-L'Amaury, Maurice Ravel cherchait à quitter la vie parisienne pour plus de tranquillité. Pour autant, il continuait à recevoir des convives qui le surnommaient volontiers le roi des cocktails", précise Anne Million-Fontaine, le sourire aux lèvres.
"L'étrange Belvédère", berceau du "Boléro"
À Montfort-L'Amaury, "les habitants disaient de lui qu'il était toujours habillé en tenue du dimanche. C'était un homme très élégant. Un dandy", explique Christiane Metreau, première adjointe à la mairie de la commune. C'est dans cette apparence soignée et dans ce "cocon moderne", disposant entre autres d'un téléphone mural, d'une glacière et d'un chauffage en fonte, que Maurice Ravel a composé toutes ses œuvres post 1921. La fantaisie lyrique L'Enfant et les Sortilèges (1925), les trois mélodies Chansons madécasses (1926), le Concerto pour la main gauche (1932)... Sans oublier le fameux Boléro (1928).
Maurice Ravel compose ces œuvres depuis la salle de musique ou le balcon du Belvédère, face à son potager aujourd'hui disparu. "Il travaillait beaucoup la nuit puisqu'il n'arrivait pas à dormir", précise Anne Million-Fontaine. Elle imagine ces insomnies et angoisses vécues dans la "chambre jaune et humide" du Belvédère, une conséquence directe de la Première Guerre mondiale. En 1916, Maurice Ravel est parti à Verdun avec le corps ambulancier, rappelle la Philharmonie de Paris. De cela est née la suite pour piano Le Tombeau de Couperin (1917), réalisée en hommage à ses camarades disparus au front.
Étant un "homme modeste", Maurice Ravel refusera la légion d'honneur qui lui a été décernée en 1920. À partir de cette date, le compositeur commence à montrer des signes d'une maladie cérébrale incurable qui s'accentueront au fil du temps. En 1933, son état présente des troubles de l’écriture, du langage mais aussi de la motricité qui le conduiront à la mort le 28 décembre 1937. "Je n’ai pas eu le chagrin de voir Ravel diminuer. À Monfort-l’Amaury, sa solitude et son étrange Belvédère le préservaient d’une publique déchéance", racontera Colette après la disparition de son ami.
Entre hommage et tournage
Aujourd'hui, Maurice Ravel est le compositeur français le plus écouté à l'international. Si bien que le Boléro serait joué toutes les six minutes dans le monde. "Nos visiteurs viennent de tous les pays. Toutefois, on remarque que la moitié des étrangers viennent d'Asie, un continent très apprécié par Maurice Ravel qui s'en inspira pour créer son jardin", explique Anne Million-Fontaine. L'attachée de conservation se souvient d'ailleurs d'une scène marquante : "Un jour, une Japonaise est spécialement venue en France pour visiter le Belvédère en tenue de cérémonie. Ce voyage était pour elle un hommage à son mari décédé au Japon en écoutant le Boléro de Maurice Ravel."
La vie et l'œuvre du compositeur sont plus que jamais convoitées à quelques mois des 150 ans de sa naissance. La réalisatrice Anne Fontaine a tourné dans cette demeure le biopic musical Boléro, dont la sortie est annoncée pour le 6 mars. Il mettra en scène les acteurs Raphaël Personnaz, Doria Tillier et Jeanne Balibar. À l'automne prochain débutera par ailleurs une grande exposition consacrée au compositeur à la Philharmonie de Paris. Elle aussi nommée Boléro, elle sera enrichie par des prêts d'objets en provenance de Montfort-L'Amaury. D'ici là, le Belvédère continue de scruter les ventes aux enchères : "Il n'y a rien à jeter dans l'œuvre de Maurice Ravel."
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