"Squid Game" : entre culte de la compétitivité et culture du jeu vidéo, ce que la série raconte de la société coréenne
La série "Squid Game", qui rencontre un énorme succès sur la plateforme de streaming Netflix, a été créée par le réalisateur sud-coréen Hwang Dong-hyeok. Mais d'où la série tire-t-elle son imagination débordante et son côté "gore" ? Franceinfo a décrypté avec un professeur de cinéma de l'université de Séoul les influences de la série.
C'est une série au succès mondial qui s'appuie sur un scénario très simple, avec en toile de fond la société sud-coréenne : Squid Game met en scène un groupe de personnes, fortement endettées, voire fauchées, qui risquent leur vie dans un jeu de survie mystérieux avec comme récompense une somme de 45,6 milliards de wons (soit environ 33,8 millions d'euros).
Première série coréenne à cartonner sur Netflix, Squid Game a enregistré le meilleur démarrage de l'histoire sur la plateforme de streaming. Le , l'entreprise américaine a annoncé un total de 111 millions de visionnages en 27 jours, dépassant ainsi la série américaine La Chronique des Bridgerton et ses 82 millions de vues en un mois. Mélangeant des scènes très violentes avec un décor pop, la fiction a provoqué un vif débat sur la façon dont elle peut choquer le public adolescent.
Mais Squid Game est aussi un miroir de la société coréenne, dont elle s'inspire à de nombreux égards, à la fois sur le plan culturel et sociétal. Antoine Coppola, enseignant-chercheur spécialiste du cinéma coréen à l'université de Séoul, décrypte pour Franceinfo les ressorts coréens sur lesquels s'appuie la série.
D'où sont inspirés les jeux ultra-violents de la série ?
La scène d'introduction de Squid Game est une séquence en noir et blanc dans laquelle on voit un groupe d'enfants jouer au jeu du calamar, une sorte de version plus physique de la marelle. Une façon d'annoncer le fil rouge de la série : un groupe d'adultes qui jouent à des jeux enfantins avec au bout des enjeux beaucoup plus graves : la gloire ou la mort. "Les jeux que l'on voit dans la série sont finalement assez gadgets. Les enfants coréens n'y jouent plus depuis longtemps. Il y a par contre une influence très forte du jeu vidéo dans Squid Game. Le soir après les heures de bureau, les jeunes jouent dans de grandes salles avec des ordinateurs à des jeux vidéo très violents. C'est un défouloir dans une vie très stressée. Le design de la série et son métavers est aussi influencé par l'univers des jeux vidéo, avec des couleurs fluorescentes, des formes géométriques", confie Antoine Coppola, professeur de cinéma à l'université de Séoul.
"Squid Game" raconte-t-il les peurs de la société coréenne ?
Avant de rencontrer un immense succès avec son oeuvre, le réalisateur sud-coréen Hwang Dong-hyeok avait essuyé une série de refus de l'industrie du cinéma sud-coréenne pour produire son film. Paradoxe, c'est une plateforme internationale, Netflix, qui a finalement accepté de financer cette série pourtant très coréenne dans ces influences et qui présentait donc le risque de ne pas séduire un public occidental.
"Il y a aussi des figures qui parlent à l'audience internationale, comme celle de l'immigré pakistanais"
Antoine Coppolaprofesseur de cinéma à l'université de Séoul
"Au niveau de la mise en scène et des personnages, ce qui est frappant c'est que la série est très coréenne. Chaque personnage est un archétype d'un groupe social en Corée du Sud. Il y a le diplômé de grande école qui est très cruel, la jeune fille issue de l'immigration nord-coréenne... Mais il y a aussi des figures qui parlent à l'audience internationale, comme celle de l'immigré pakistanais. Il y a de plus en plus d'immigrés d'Asie du Sud en Corée et cela soulève de vraies questions sociétales. Le financement de la série par Netflix a permis de développer des aspects qu'on ne voit pas dans le cinéma coréen. Il y a une représentation d'un vieillard qui ne correspond pas du tout à la philosophie néo-confucianiste coréenne où les personnes âgées sont très respectées et protégées", juge Antoine Coppola.
Le réalisateur Hwang Dong-hyeok a répété plusieurs fois qu'il n'aurait pas pu réaliser Squid Game sous cette forme en Corée, à cause de l'autocensure des producteurs sur les représentations liées à la famille et aux personnes âgées.
L'argent est-il une obsession en Corée ?
Sur son canapé devant la série, qui ne s'est pas demandé ce qu'il ferait à la place des candidats au jeu mortel ? Prendre le risque de mourir pour gagner le jackpot ou se retirer du jeu en restant pauvre mais en vie ? "La Corée du Sud est une société nécro-capitaliste au tout semble lié à la possibilité de décrocher le gros lot. Il n'y a pas de moyen terme. Le gagnant est celui qui s'enrichit en marchant sur les autres. La série est très noire. Il y a en Corée ce que j'appelle la lentille K-Pop, qui est l'image aseptisée de la société coréenne. Là, c'est l'inverse. On est à l'opposé de Gangnam Style. Dans Squid Game, il est montré comment la société vit à crédit. Des millions de gens sont endettés, des personnes âgées arrivent à l'âge de la retraite sans pension".
"Squid Game" a t-il été influencé par "Parasite" ?
La série de Netflix s'impose comme le deuxième plus gros succès de l'histoire du cinéma coréen après Parasite, Palme d'or 2019 au festival de Cannes. Quelle influence cinématographique a eu le long-métrage sur la série ? "Il y a clairement une influence de Parasite, mais aussi d'un film comme Burning, sur Squid Game. Toutes ces fictions montrent l'écart qui grandit entre les riches et les pauvres en Corée du Sud. Je pense que Squid Game simplifie Parasite. Dans Parasite, des choses sont suggérées sur les hauts diplômés, la compétition, mais tout est plus extraverti dans Squid Game. Le réalisateur Hwang Dong-hyeok a d'ailleurs dit qu'il avait voulu représenter à sa manière les grandes manifestations de 2017 contre les inégalités qui ont débouché sur la chute du gouvernement sud-coréen", conclut Antoine Coppola.
"Squid Game" est diffusé sur la plateforme de streaming Netflix.
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