Benjamin Millepied nous ouvre les coulisses de son nouveau spectacle inspiré par sa passion pour le musicien Jeff Buckley

Avant l'arrivée sur scène de sa nouvelle création, un spectacle musical très cinématographique, le talentueux chorégraphe nous a ouvert les portes d'une répétition avec trois de ses danseurs. Il se confie sur ce métier qu'il adore.
Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Benjamin Millepied répète avec ses danseurs à La Seine musicale, en octobre 2024, pour la création du spectacle "Grace, Jeff Buckley Dances" (THOMAS BRÉMOND)

Deux ans après le succès de sa version inclusive de Roméo et Juliette, un an après la sortie de son premier long-métrage, Carmen, Benjamin Millepied, danseur et chorégraphe, revient avec un nouveau spectacle : Grace, Jeff Buckley Dances. Comme en 2022, il présentera sa dernière création à La Seine musicale, à Boulogne-Billancourt, du 5 au 10 novembre 2024.

Dix jours avant la première, il nous a donné rendez-vous dans un studio parisien, près des Grands boulevards où il répète son spectacle. Ses danseurs sont déjà en train de s'échauffer quand il arrive, main dans la main avec sa fille, vacances scolaires obligent. En jean baggy, t-shirt et baskets, le chorégraphe lance la séance. "On commence par le plus doux", annonce-t-il.

Les danseurs répètent la chorégraphie de Benjamin Millepied pour le spectacle "Grace, Jeff Buckley Dances", programmé à La Seine Musicale, en novembre 2024. (ANN RAY)

La guitare de Jeff Buckley, sa voix pure et claire, résonnent alors dans le studio : "If you knew how I miss you" [Si tu savais combien tu me manques en français]. Sur cette chanson qu'il adore, Benjamin Millepied a créé un pas de deux sensuel et émouvant. "Pour moi, explique-t-il, c'est une musique qui vole, qui ne touche presque pas terre. Elle a quelque chose de magique qui fait que la danse s'y prête de manière vraiment évidente."

Coline Omasson et David Freeland travaillent ce duo ensemble, dans le moindre détail, sous le regard attentif, mais toujours bienveillant, de leur chorégraphe. Pour ce nouveau spectacle, il a constitué un groupe de douze danseurs ayant chacun des qualités spécifiques pour incarner ce qu'il appelle "le monde de Buckley". "Il y a trois danseurs avec qui j'ai déjà travaillé. Pour les autres, raconte-t-il en riant, j'ai fait un casting sauvage en rencontrant des gens qu'on m'avait recommandés".

Plus de trois mois de répétitions

Benjamin Millepied, danseur principal du New York City Ballet dans les années 2000, connaît sa partition par cœur. Il l'a dans les jambes, passant constamment d'un rôle à l'autre, d'une langue à une autre. "C'est comme si tu chantais cette chanson pour elle", explique-t-il en anglais à David, l'homme de ce duo. Il prend ensuite sa partenaire Coline dans ses bras et lui dit, en français cette fois-ci, comment se positionner. Pour que ce soit plus clair, il danse à la place de la jeune femme dans les bras de David.

La création du spectacle a commencé en décembre 2023. Les danseurs ont ensuite répété en mars, puis tout le mois de mai et en octobre, soit trois mois et demi au total. Benjamin Millepied semble satisfait et presque ébloui par le résultat. Il murmure : "Qu'est-ce qu'ils sont bons ! Ça va être superbe !"

Deux danseurs répètent le nouveau spectacle de Benjamin Millepied, "Grace, Jeff Buckley Dances", programmé à La Seine musicale, en novembre 2024. (ANN RAY)

Pour chacune de ses créations, le chorégraphe écrit d'abord tout le spectacle. "Avec mon corps", précise-t-il. Ensuite, il prend régulièrement l'avis de ses danseurs sur tel ou tel geste. On devine qu'il cherche un compromis entre ce qu'il a vraiment en tête et ce qui est physiquement réalisable. "Ça te va ?", demande-t-il à Coline qui souffre du dos ce jour-là. "Je pense que c'est mieux que le truc d'origine qu'on n'a jamais vraiment pu faire. On essaie comme ça."

Il demande ensuite à ses danseurs de répéter l'ensemble du morceau comme s'ils étaient sur scène : "C'est hyper important. On donne une mémoire au corps pour qu'il apprenne à régler les problèmes au moment où ils arrivent". Benjamin Millepied avoue être souvent bluffé par ses propres interprètes. "Quand un danseur transcende la chorégraphie, quand il devient libre, quand il s'exprime pleinement, c'est toujours magnifique comme expérience en tant que chorégraphe. On veut ça en fait. On ne veut que ça. Être surpris."

Surpris, Benjamin l'est toujours avec la blonde Eva Galmel qui prend le relais dans le studio, baskets aux pieds, pour un solo détonnant, ultra rock, qu'elle maîtrise déjà à la perfection. Elle a une grâce naturelle, une énergie folle et un charisme évident.

Benjamin Millepied n'a qu'un détail à relever : elle ne se sert pas assez de ses mains à son goût. "Tu as tendance à les fermer, lui dit-il. J'ai envie qu'elles soient plus expressives. C'est une extension de ton corps hyper importante." Il lui suggère un dernier changement pour la scène : "Je me suis dit qu'au début du morceau, ce serait chouette que tu aies quelque chose à enlever, peut-être un manteau. À dix jours de la première, le chorégraphe règle les derniers détails et semble confiant. "On a tellement fait du bon travail cette semaine", souffle-t-il.

"J'ai conscience de ma chance"

Benjamin Millepied dit avoir aujourd'hui "une cinquantaine de ballets" à son actif. Quand on lui demande si ce travail lui plaît toujours autant, il répond oui sans hésiter. "C'est franchement du kif parce qu'on va vers un projet, qu'on est passionné par la musique. Je suis déjà sur un autre projet, dans un an, dont je ne peux pas parler, mais je suis déjà en train de l'écouter, d'avoir envie."

A-t-il encore des périodes de doute ? "Les moments un peu plus difficiles sont minimes parce que ça fait très longtemps que je fais ce métier", ajoute-t-il. "Je n'ai pas les souffrances que je pouvais avoir plus tôt dans ma carrière parce que certaines choses étaient plus difficiles à gérer. Maintenant, je suis un peu plus mûr, j'ai plus d'expérience, donc c'est vraiment du plaisir. Ce matin, en venant à vélo ici, je me disais : je suis en train de traverser Paris, un jour de soleil (…) c'est magique. Paris est une ville magique. Et puis je vais faire ce que j'aime. C'est un métier qui est extraordinaire. J'ai conscience de ma chance chaque jour."

Pendant une pause, il nous confie aussi sa passion ancienne pour Jeff Buckley, ce musicien surdoué qui, deux ans seulement après la sortie de Grace, son unique album studio, s'est noyé accidentellement dans un affluent du Mississipi après le passage d'un bateau à aubes. C'était en 1997, il n'avait que 30 ans.

"Je ne fais pas du tout de commentaire sur sa vie, explique Benjamin Millepied. Je présente son œuvre et ses mots. Par la danse. Dans une espèce de chemin qui connecte son émotion, qui il était et sa musique". Il renchérit : "C'est fort d'entendre ses mots et après ses chansons (...) Il avait une magie, une espèce de charisme fascinant, même pour les gens de son entourage."

"Hallelujah", une version devenue culte

Le chorégraphe nous révèle que le spectacle sera structuré par les chansons de Jeff Buckley – et pas uniquement celles de l'album Grace avec l'appui des lumières et des vidéos. Les danseurs ne quitteront pas la scène pour être filmés en coulisses comme c'était le cas dans son Roméo et Juliette. Il parle d'"un spectacle presque expérimental par sa forme". L'une des chansons cultes de Jeff Buckley, sa reprise d'Hallelujah de Leonard Cohen, est un Everest qui lui a donné du fil à retordre.

"Elle clôture la première partie, raconte-t-il. Je m'y suis repris à deux fois. Je l'ai chorégraphiée d'une certaine manière qui, en fait, n'allait pas du tout et ensuite, c'est marrant, mais j'ai compris." Le temps de trouver "la bonne dose de construction tout en laissant la musique parler d'elle-même". Il estime que la chorégraphie doit embellir la chanson mais "sans en faire trop". "J'arrive à un moment de ma carrière où je pourrais faire des choses plus complexes, mais la complexité est liée à une forme de savoir-faire très simple". Benjamin Millepied sait qu'il n'y a rien de plus compliqué que de faire simple.

"Grace, Jeff Buckley Dances", à La Seine Musicale, sur l'Ile Seguin, à Boulogne-Billancourt, du 5 au 10 novembre 2024 à 20H30. Le spectacle sera repris aux Nuits de Fourvière, à Lyon, les 17 et 18 juin 2025.

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