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Grand entretien Le collectif (La)Horde présente son nouveau spectacle "Age Of Content" : "On ne peut pas assurer que la danse sauvera le monde, mais on y croit !"

Trois ans après le triomphe de leur précédent spectacle "Room With A View" avec le musicien Rone, les chorégraphes de (La)Horde reviennent avec "Age Of Content", une exploration de la place du corps dans les différentes réalités à l'ère du tout numérique. Rencontre éclairante avec un trio soudé, audacieux et touche-à-tout.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Un tableau du spectacle "Age Of Content" de (La)Horde avec le Ballet national de Marseille (2023). (GAELLE GASTIER-PERRET)

(La)Horde : derrière ce nom qui claque se cache un trio d’artistes en passe de devenir incontournable. Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel sont (La)Horde, un collectif pluridisciplinaire à la tête du Ballet national de Marseille depuis 2019. La danse, imprégnée chez eux d’enjeux socio-politiques et de quête identitaire, est au cœur de leur travail audacieux qui touche aussi au cinéma, à la musique et à la mode.

De Spike Jonze à Madonna : on se les arrache

Ils réalisent des courts-métrages (notamment Ghosts, sur un scénario de Spike Jonze), des vidéos clips (Room With A View pour Rone), des chorégraphies pour des pop stars (le clip Unholy de Sam Smith et Kim Petras) et pour la mode (campagne Burberry sur l’air de Singin’ In The Rain). Tout le monde se les arrache actuellement : Madonna en personne les a sollicités pour sa prochaine tournée, le Celebration Tour qui débute mi-octobre, et le réalisateur Gilles Lellouche a également fait appel à leur talent pour chorégraphier certaines scènes de son prochain long-métrage.

Inspirés par tous les styles de danses, qu’ils aiment décloisonner, ainsi que par des chorégraphes comme Pina Bausch et Lucinda Childs, les créateurs de (La)Horde bousculent les codes et créent des spectacles hybrides et foisonnants qui questionnent la société, son présent et son futur, faisant souffler un vent nouveau sur la danse contemporaine.

En 2020, leur spectacle Room With A View monté avec le musicien électronique Rone, un manifeste puissant et visionnaire autour de la notion d’effondrement écologique et de révolte de la jeunesse, qui annonçait quasiment la pandémie, a eu un succès retentissant (ils le présentent d’ailleurs à New York ce mois-ci à guichets fermés). Ils reviennent avec Age Of Content (L’Age du contenu), qui explore cette fois la place du corps dans les mondes virtuels à l’âge du tout numérique. Un spectacle qu’ils présentent avec le Ballet national de Marseille au théâtre du Châtelet du 5 au 8 octobre avant de partir en tournée en France et à l’étranger.

Durant notre rencontre au théâtre du Châtelet fin septembre, Marine, Jonathan et Arthur n'ont pas compté leur temps, cherchant à éclairer leur travail du mieux possible. Ils étaient trois mais ils s’expriment ici et comme toujours d’une seule voix. Propos recueillis.

"Age Of Content" emprunte à la cascade de cinéma, aux jeux vidéo et à la comédie musicale.

(La)Horde : "Avec Age Of Content, un projet qui nous habite depuis très longtemps, nous avons voulu explorer nos rapports aux nouveaux outils de représentation, aux réseaux sociaux, aux jeux vidéo, au multivers, et comment le corps réagit aux va-et-vient entre le monde digital et le monde dit réel. On a voulu questionner le contenu et le contenant de manière collective. Avec les nouvelles formes que sont les avatars, que représente le corps ? Alors que les avatars des jeux vidéo sont censés faire croire à une humanité, nous avons fait récréer à nos danseurs la virtualité de l’avatar.

Dans le premier tableau d’Age Of Content, il y a une énorme bagarre d’égos dont la matière chorégraphique principale est la cascade de cinéma et les techniques d’arts martiaux. Pour cela, on a travaillé avec des professionnels qui ont entraîné les danseurs du Ballet national de Marseille. Parallèlement, on s’est rendu compte que les comédies musicales ont souvent été porteuses de progression sociale en abordant des thèmes graves, encore tabous. On pense notamment à West Side Story, qui parlait de l’amour entre des communautés différentes, impossible à représenter à l’écran à cette époque. Les références à la comédie musicale se lisent très clairement dans le dernier tableau.

Et puis, on s’est intéressé aux danses sur TikTok, pratiquées essentiellement par de très jeunes adultes, car ces danses racontent énormément de choses. Pendant le Covid, des jeunes privés de rencontres sociales nous disaient que n’ayant plus sujet de conversation, ils échangeaient des chorégraphies pour garder une connexion et se réappropriaient ainsi leur corps dans un contexte de confinement. Mais on sait aussi que cet outil est géré par des algorithmes assez autoritaires, et que se posent pour nos danseurs professionnels des questions sur le devenir de leur métier. Il était donc, pour nous, essentiel de réfléchir à cette forme, à cette esthétique, et de la décortiquer tous ensemble au plateau."

Le Ballet national de Marseille dans "Age Of Content" du trio de chorégraphes (La)Horde. (BLANDINE SOULAGE)

Comprendre et décrypter le monde à travers les corps

"Notre médium, c’est le corps qui s’exprime autrement que par la parole. Après, ça peut prendre différentes formes. À travers la danse mais aussi à travers des films, des installations ou des performances, on essaye comme tous les artistes avant nous de comprendre le monde contemporain, de le décrypter, de le questionner et de discerner l’impact que les représentations vont avoir sur les choix de société.

Notre regard peut être critique mais nous ne sommes jamais binaires, pour ou contre quelque chose, nous essayons toujours de comprendre les phénomènes et surtout de comprendre comment ils sont reçus par nos corps.

(La)Horde

à Franceinfo Culture

Avec Age Of Content, on essaye notamment de voir comment le corps s’oublie ou se dénature par sa représentation et sa surreprésentation. S’agit-il d’une évolution positive ou négative ? Nous ne sommes pas juges. Notre approche n’est jamais de délivrer des réponses dans nos spectacles mais plutôt de poser des questions et de laisser le spectateur trouver ses propres réponses."

Deux portés dans le spectacle "Age Of Content" de (La)Horde avec le Ballet national de Marseille (2023). (BLANDINE SOULAGE)

Une vision élargie de la danse, très politique

"Nous défendons une vision très éclectique de la danse. Pour nous, il n’y a pas la danse classique, la danse moderne, la danse urbaine et les danses virales sur TikTok. Il faut se défaire de ces hiérarchies. De notre point de vue, à partir du moment où le corps est mis en scène, raconte une histoire, c’est de la danse. Elle est à une multitude d’endroits : dans des fêtes d'anniversaire, dans des clubs, sur les réseaux sociaux, dans des salles de spectacle. Alors qu’on vit une époque de repli sur soi, on est persuadés que le corps est un vecteur de rencontre, un vecteur d’affirmation et une espèce de valeur refuge, c’est pourquoi la danse est en plein essor.

Être politique est inhérent au fait d’être artiste. Nous nous sommes déjà octroyés ce privilège de donner notre regard sur le monde et donc, tout ce qu’on fait est politique. On croit au pouvoir de la danse. Nos corps sont des interfaces sensibles avec le monde, et la danse, quand elle intervient en tant que médium, vient redonner au corps des valeurs autres que des valeurs utilitaires. Dans le monde majoritairement capitaliste actuel, rendre au corps sa liberté de mouvement pour ne pas créer quelque chose d'utile au départ est éminemment politique pour nous. On vient aussi des cultures queer, des cultures club, des cultures techno, où l'émancipation du corps compte beaucoup."

A travers la danse, sans mots, sans discours, on peut affirmer qui on est, d'où on vient, et exprimer des revendications. C'est un langage d’une puissance énorme. Alors, on ne peut pas assurer que la danse sauvera le monde, mais on y croit ! 

(La)Horde

à Franceinfo Culture

(La)Horde, un collectif à géométrie variable

"Le collectif (La)Horde, c’est trois artistes, c’est nous trois. Mais en fonction des projets, nous sommes force d’invitation : nous pouvons être trois, cinquante ou deux cents. Nous travaillons sur plein de projets différents : on fait des films, des documentaires, des installations performatives, des pièces en plateau et on dirige le Ballet national de Marseille.

Quand on a créé (La)Horde il y a dix ans, c'était pour créer quelque chose qui soit plus grand que la réunion de nos trois personnes. On a donc décidé d'un nom à géométrie variable parce que la horde donne un sentiment de groupe et de mouvement. Mais ce noyau dur s’est construit de façon organique. Nous nous sommes rencontrés à Paris, dans les milieux clubbing et queer, où on pouvait être qui on voulait, et on réfléchissait déjà sur la non binarité et les corps pluriels.

Au départ, on se rendait service les uns les autres sur nos projets respectifs. Au bout d’un certain temps, on s'est aperçus que notre collaboration était si fluide qu’il était difficile de savoir qui avait fait quoi : on s’est retrouvés devant un problème de signature. On se disait : est-ce qu'on va signer tous les trois à tous les postes ou est-ce qu'on crée autre chose ? C'est là qu'on a décidé de créer ce collectif."

La force du trio, libérateur d'égos

"La création du collectif, cette maison plus grande que nous, nous a libérés des rapports d'egos et a encore fluidifié la conversation, parce que c'est une invitation permanente au dialogue et au débat entre nous trois. On se répartit vraiment les tâches, et on s'est auto-formés les uns les autres en se transmettant nos compétences. De plus, lorsqu'on va voir une exposition, un film, un concert ou une pièce chorégraphique intéressante, on dit aux autres d'aller voir, pour se créer une mémoire collective, qui nous permet d’avoir le même langage.

(La)Horde nous a aussi donné le courage de parler de sujets complexes. A trois, on ose plus. La raison pour laquelle on est si politiques, c’est parce qu'on s'est affranchis d'une peur personnelle. On voit bien quand on collabore avec des pop stars qui défendent une vision du genre, les vagues de haine qu’ils et elles se prennent. Dans le même cas, nous, c'est (La)Horde qui prend, ce n’est pas nous personnellement, l'entité nous sert de bouclier émotionnel."

C’est une certitude : on a été beaucoup plus loin à trois que si nous avions été tout seuls. Les peines, on les divise par trois, mais les joies, on les multiplie par trois.

(La)Horde

à Franceinfo Culture

Un tableau du spectacle "Age Of Content" de (La)Horde avec le Ballet national de Marseille (2023). (FABIAN HAMMERL)

La diversité du Ballet national de Marseille fait sa richesse

"À notre arrivée à la tête du Ballet national de Marseille en 2019, il ne restait que huit permanents dans la compagnie. Nous avons réalisé les recrutements de huit autres danseurs avec le projet Room With A View en tête. Depuis, il y a eu du mouvement et de nouveaux arrivants pour Age Of Content mais le Ballet compte toujours 16 danseuses et danseurs de 16 nationalités différentes.

On veille à ce que notre groupe reste pluriel, diversifié ; on évite donc de recruter des personnes qui ont exactement la même pratique, les mêmes formations ou les mêmes manières de danser. On construit la compagnie de manière organique : on ne sait pas exactement ce qu'on cherche mais on suit notre désir de travailler avec les personnes. La compétence, les aptitudes physiques, sont déjà acquises au moment des entretiens. Ce qu’on cherche alors à savoir, c’est ce qui les anime, quelles valeurs ils portent, ce qu'ils ont envie de défendre à travers leur art et si la rencontre se fait artistiquement avec les autres et avec nous.

Nous sommes heureux à Marseille. C’est une ville ouverte, qui bouge beaucoup et que l’on trouve très inspirante. Mais les danseuses et les danseurs du Ballet national de Marseille sont notre principale source d’inspiration. On les appelle "les penseurs du corps". Avoir des danseurs qui viennent du monde entier, c’est une force et une richesse. Parce que quand on travaille des thématiques comme la sexualité ou la violence, ce n'est pas du tout le même rapport au corps et à cette thématique selon qu’ils ou elles viennent du Japon, d’Australie ou de France."

Madonna

"Quand on a vu Madonna nous suivre sur Instagram, on a été surpris. On a d’abord vérifié qu’il s’agissait d’un vrai compte. Madonna gèrant son compte Insta paraissait totalement improbable. En fait, elle ne le gère pas seule mais elle le contrôle, ce qui montre qu’elle est humaine. D’une manière générale, nous cherchons la rencontre et là, c’est Madonna qui propose de collaborer, on s’est dit wow ! Avec Prince et Michael Jackson, elle a révolutionné ce que pouvait être un concert et un vidéoclip en faisant dialoguer différents arts, dont la danse. Elle nous a contactés pour mettre en scène et re-chorégraphier tous ses grands hits pour la prochaine tournée qui marquera ses 40 ans de carrière. C’est un spectacle extrêmement intime, dans lequel elle se raconte, une célébration autour des moments qui ont marqué sa vie. On a donc fait de nouvelles propositions chorégraphiques pour Ray Of Light, Like A… Oups ! On ne peut rien dire. On a signé tellement de clauses de confidentialité qu’un mot de plus pourrait nous mener direct en prison…"

(La)Horde et le Ballet national de Marseille présentent "Age Of Content" au théâtre du Châtelet à Paris, du 5 au 8 octobre 2023.

Ils seront ensuite :
17 novembre 2023 : Espace des Arts - scène nationale Chalon-sur-Saône
21 novembre 2023 : Opéra de Dijon
18-20 janvier 2024 : MAC - scène nationale de Créteil 
27-28 janvier 2024 : Palais des Beaux-Arts, Charleroi Danse (Belgique)
9-11 mars 2024 : Teatros del Canal, Madrid (Espagne)
2-3 avril 2024 : Les Quinconces - scène nationale, Le Mans
11 avril 2024 : Equinoxe - scène nationale, Châteauroux
2-4 mai 2024 : Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
17 mai 2024 : Maison de la culture - scène nationale d’Amiens
23-24 mai 2024 : La Comédie - scène nationale de Clermont-Ferrand
14-15 juin 2024 : Teatro Rivoli, Porto (Portugal)

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