"Mon Avignon à moi" : le comédien et metteur en scène Charles Berling foulait les planches du Off il y a déjà quarante ans
Charles Berling connaît Avignon comme sa poche. Parce qu'il est originaire de Toulon, non loin de là, mais aussi parce qu'il a participé pour la première fois au festival en 1982. Il revient cette année présenter une nouvelle pièce qu'il a mis en scène : "Fragments". Pour l'artiste, le festival d'Avignon est un lieu de "bouillonnement", de fusion où se retrouvent les "amoureux de l'art". Rencontre.
Il est 12h20 lorsque les spectateurs quittent la salle sombre du théâtre Présence Pasteur, cueillis par un soleil brûlant. Ils sont allés voir le nouveau spectacle de Charles Berling, Fragments et ont le sourire aux lèvres. Le metteur en scène a lui aussi assisté à sa pièce et se fraye un chemin dans la foule pour nous rejoindre. Il est paisible, un peu fatigué, mais toujours aussi heureux de revenir à Avignon.
Franceinfo : quel est votre premier souvenir au Festival d’Avignon ?
Charles Berling : mon premier souvenir était au gymnase de Champfleury en 1982. J’avais rejoint la troupe des Mirabelles dans un spectacle qui s’appelait Passage Hagard. La création a été l’un des plus grandes bides de ma vie ! J’en garde, malgré tout, un bon souvenir parce que la troupe était géniale. Mais le spectacle n’était pas prêt du tout. Les Mirabelles étaient un groupe d’hommes qui avaient amené le travestissement dans le théâtre contemporain. Ils étaient très populaires et donc extrêmement attendus à Avignon. Pour la première, la salle était blindée et ce fut un échec complet. Après on s’est rattrapé parce qu’on a beaucoup travaillé.
L’année suivante j’ai joué à la Cour d’honneur du Palais des Papes avec Jean-Pierre Vincent dans Dernières nouvelles de la peste. On avait eu des retours intéressants puisque certaines personnes avaient détesté, d’autres avaient adoré. J’aime beaucoup ce rapport non consensuel au théâtre.
Qu’est-ce qui vous plaît tant au Festival d’Avignon ?
J’ai vécu beaucoup de festivals, dans le In comme dans le Off et j’ai toujours passé de bons moments. À Avignon, on est dans une sorte de bouillonnement. Ce qui crée parfois des réactions surdimensionnées. Le festival engendre une émulation collective que je trouve intéressante. Il y a des interactions internationales et on y retrouve tous les styles de théâtres. En plus, la ville d’Avignon est déjà en surchauffe climatiquement donc ça n’arrange pas les choses…
En tant qu’artiste, c’est aussi formidable. Pouvoir présenter un spectacle pendant un mois devant des professionnels et un public, c’est quand même unique au monde ! Alors c’est vrai que parfois on peut être lassé de son côté un peu foire. Mais je m’en moque, personnellement, ce qui m’intéresse, c’est le moment du théâtre lui-même.
Cette année, j’ai mis en scène Fragments, écrit et interprété par Bérengère Warluzel. On a fait le pari de prendre des textes d’Hannah Arendt, qui ne sont pas toujours faciles à comprendre, et de les faire résonner sur des thématiques actuelles. Depuis quelques jours, je vois des gens venir voir la pièce et en ressortir émus. Avignon a cette qualité-là : c’est le rendez-vous des amoureux du théâtre, de l’art et de la culture en général.
Vous avez joué aussi bien dans le In que dans le Off. Pour vous y-a-t-il une grande différence entre les deux ?
Il y a principalement une différence de visibilité je pense. Mon histoire à Avignon a commencé dans le Off avec les Mirabelles, l’année suivante j’étais dans le In à la Cour d’honneur… Pendant toute ma carrière je suis passé de l’un à l’autre. Le Off s’est construit par rapport au In comme une contestation au départ. Maintenant il est assimilé, il donne de l’énergie et du mouvement au festival. Il y a de grands artistes dans le In comme dans le Off. Et on a vu des choses exécrables dans l'un comme dans l'autre, donc ce n’est pas nécessairement un critère de qualité.
Trouvez-vous justement qu’au fil des années, le festival d’Avignon ait gardé le même esprit, celui initié par Jean Vilar lors de sa création ?
Le festival a évolué, bien sûr. Il suit le mouvement général des institutions culturelles d’un pays, d’un monde de plus en plus consumériste. Comme le dit Hannah Arendt : la société du loisir mange, avale, digère et se sert impunément de l’art, jusqu’à le détruire. C’est notamment pour cette raison-là que les textes d’Arendt me touchent aussi. On a la chance en France de pouvoir être artiste et rester complètement libre sans avoir à faire du commerce. À Avignon, on est tenté de s’associer au mouvement général du consumérisme mais l’idée même du théâtre est le contraire. Le théâtre est l’antithèse du smartphone. Le théâtre reste une expérience humaine partagée, physique, contradictoire et diverse. Il faut se battre pour que cette diversité continue d’exister.
C'est justement l'idée que vous développez dans votre nouvelle pièce…
Tout à fait ! La culture n’est pas un produit de consommation comme un autre. C’est un bien commun, un bien public. Vous savez, je ne me suis jamais considéré comme un intellectuel mais au contraire comme un être seulement banal. J’étais très mauvais à l’école par exemple ! Mais quand j’ai lu pour la première fois Hannah Arendt qui dit "tout le monde peut penser comme moi", j’ai été profondément touché. Je voulais partager cette sensation avec le public dans ma nouvelle pièce. Le défi était de réussir à mettre en scène la pensée. Avec Samuel Beckett, j’ai compris que le langage s’entend et que la pensée se voit. Il faut voir quand une actrice ou un acteur pensent. Avec cette pièce, je veux inciter les spectateurs à penser par eux-mêmes et à ne plus se laisser manipuler par des connards.
Avec votre programme chargé, pouvez-vous tout de même savourer le festival d’Avignon en tant que spectateur ?
Je n’ai pas pu être là pour l’ouverture du festival In et Off parce qu'il y avait une Première au théâtre Châteauvallon-Liberté, que je dirige. Je terminais aussi une série pour la télévision et je pars dans quelques jours pour un film à Nice. Mais j’ai quand même pu aller voir quelques pièces. J’en avais besoin, l’art me permet de penser ma vie. Hier soir j’ai pu voir La Cerisaie avec ma copine Isabelle Huppert. J’étais content de pouvoir aller dans la Cour d’honneur, il faisait beau et c’est une très belle pièce. Je vais aussi aller voir Fraternité de Caroline Nguyen aujourd’hui. Je ne veux pas aller à trop de spectacles non plus et faire de la surconsommation. Mais je suis tellement ravi de pouvoir enfin être aussi et retourner voir du théâtre.
"Fragments" de Charles Berling, avec Bérengère Warluzel.
Présence Paster, 13 rue du Pont Trouca, Avignon.
Du 7 au 28 juillet 2021
Réservation : 04 98 00 56 76
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