Télévision : quel avenir pour C8 et NRJ12, après la décision de l'Arcom de leur retirer leur fréquence ?

Article rédigé par Mathilde Bouquerel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le 24 juillet 2024, l'Arcom a décidé de ne pas réattribuer la fréquence de la TNT aux chaînes C8 et NRJ12 (photo d'illustration). (SERGE TENANI / HANS LUCAS)
Pour la première fois depuis que la régulation de l'audiovisuel existe en France, deux chaînes ont perdu leur fréquence accordée par le gendarme de la radio, la télévision et le numérique. Mais l'histoire de C8 et NRJ12 ne va pas forcément s'arrêter là.

C'est un véritable coup de tonnerre dans l'audiovisuel français. L'Arcom, l'autorité de régulation des médias radio, télévision et numérique, a décidé de retirer leur fréquence à deux chaînes de la TNT : NRJ12 et C8. En ne renouvelant pas la fréquence accordée à la chaîne de divertissement du milliardaire Vincent Bolloré, l'Arcom sanctionne notamment les nombreux dérapages de l'animateur Cyril Hanouna dans l'émission "Touche pas à mon poste". Des provocations qui ont valu à la chaîne près de 7,6 millions d'euros d'amende, un record, partagée avec une autre chaîne du groupe Bolloré, CNews. Privées de leur fréquence sur la TNT, quel peut être désormais l'avenir de NRJ12 et C8 ?

Les groupes NRJ et Bolloré peuvent, légalement, choisir de continuer à diffuser NRJ12 et C8 sur Internet ou via les box et télévisions connectées. C'est d'ailleurs de cette manière que la chaîne d'information classée à gauche Le MédiaTV, qui n'a pas obtenu de fréquence sur la TNT pour 2025, est diffusée. Mais, selon la professeure d'économie à Sciences Po Paris et spécialiste de l'économie des médias Julia Cagé, "ce sont deux chaînes qui perdent actuellement énormément d'argent, même en étant sur la TNT, donc elles en perdraient encore plus, en termes de recettes publicitaires notamment, si elles en sortaient."

La possibilité de continuer à émettre sur Internet ou via les box

La TNT est en effet le seul mode de réception de la télévision pour près de 20% des foyers français. Ne pas avoir de fréquence reviendrait donc à "une perte d'audience énorme, plus de la moitié des téléspectacteurs en moins." Pour Julia Cagé, "les marques vont peut-être continuer à exister mais ce n'est pas sûr, ce sera un choix des éditeurs." Et si NRJ et Bolloré décident effectivement de basculer leurs chaînes sur Internet et les box, "sachant qu'elles n'auront ni la même audience ni les mêmes recettes publicitaires, il est évident qu'il n'y aura pas non plus le même contenu", analyse l'économiste.

Quel avenir dans ce cas pour l'émission de C8, "Touche pas à mon poste" et son présentateur Cyril Hanouna ? François Jost, professeur de Sciences de l'information et de la communication à la Sorbonne Nouvelle, verrait mal l'animateur star passer sur une webtélé ou une chaîne diffusée via les box Internet. "Ce serait vécu comme une dégradation, comme un policier qui commet une faute et qui est rétrogradé à la circulation", estime-t-il.

La possibilité de programmer Cyril Hanouna sur une autre chaîne du groupe Bolloré

C'est pourquoi de nombreux observateurs évoquent une autre hypothèse : Vincent Bolloré pourrait décider de programmer l'animateur sur l'une des chaînes du groupe, qui comprend aussi CNews, CStar et Canal+. "Je pense qu'il va y avoir une reconstruction de C8 à l'intérieur du groupe, analyse François Jost. Voir disparaître le programme phare de la chaîne serait terrible pour Bolloré, donc j'ai tendance à penser qu'ils trouveront par exemple sur CNews une place pour un talk-show animé par Cyril Hanouna."

Cela exposerait bien sûr la chaîne à être, elle aussi, sanctionnée en cas de dérapage. Mais CNews a déjà été régulièrement rappelée à l'ordre par l'Arcom, avec un total de 380 000 euros d'amendes et neuf interventions en trois ans pour des manquements à l'honnêteté et la rigueur. Pour autant, la ligne éditoriale de la chaîne n'a pas été infléchie pour autant. "Je pense qu'il y a beaucoup de cynisme du côté de Vincent Bolloré, affirme François Jost. À mon avis, il est tout à fait capable de trouver des justifications à la présence d'un animateur comme Cyril Hanouna sur une chaîne censée être d'information. Personnellement je m'attends à tout."

Une possible "fin de l'impunité" pour les autres chaînes 

Pour autant, la décision de l'Arcom concernant NRJ12 et C8 marque bien une rupture dans l'histoire de l'audiovisuel français. C'est en effet la première fois qu'une instance de régulation décide de ne pas réattribuer sa fréquence à une chaîne de télévision. "C'est le début de la fin de l'impunité, estime Julia Cagé. Jusque là, on avait l'impression, contrairement à ce qui était prévu, que les fréquences étaient attribuées pour toujours."

"Là, l'Arcom dit : 'Non, si vous ne respectez pas un certain cahier des charges, s'il y a trop de sanctions ou que vous n'avez pas un modèle économique pérenne, vous pouvez perdre votre fréquence.'"

Julia Cagé, professeur d'économie à Sciences Po Paris

franceinfo

De son côté, François Jost regrette pourtant la clémence de l'autorité de régulation face à CNews. L'Arcom la qualifie en effet de chaîne d'information, et non d'opinion, ce qui lui donne donc accès à une fréquence de la TNT. "Pourtant, CNews continue à programmer des plateaux composés uniquement de personnalités de droite et d'extrême-droite, alors même que cela a été dénoncé par de nombreux chercheurs, déplore le sociologue. En réalité, CNews est bien une chaîne d'opinion qui confond le fait et le commentaire et ne respecte pas le pluralisme des courants de pensée. Cela a été démontré par de nombreuses études." 

Pour François Jost, la main de l'Arcom a tremblé par crainte de provoquer des débordements dans le pays. "Dans les années 1980, le CSA avait suspendu pendant quelques heures la radio NRJ, raconte-t-il. Près de 200 000 jeunes sont alors descendus dans la rue pour protester. Dans un pays où l'extrême-droite représente globalement 40% des votes, je pense que l'Arcom a eu peur d'une contestation de ce genre-là, avec des téléspectateurs qui manifestent très durement." Le gendarme de l'audiovisuel a, en revanche, promis des négociations avec les chaînes à la rentrée sur le cahier des charges qu'elles doivent respecter pour conserver leur fréquence, et de nouvelles exigences en termes de pluralisme. 

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