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La polémique Montebourg-Dailymotion en cinq actes

Le ministre du Redressement productif aurait fait capoter l'entrée de Yahoo! au capital de la plateforme de vidéos, "en relation avec Pierre Moscovici" selon lui. Mais ce dernier dément.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, le 7 mars 2013 à Paris.  (BERTRAND GUAY / AFP)

"Dailymotion est une filiale d'Orange et non de l'Etat. C'est le groupe, sa direction et son conseil d'administration qui gèrent ce dossier." La pique de Stéphane Richard, le patron de France Télécom, relayée par Les Echos jeudi 2 mai, est directement adressée à Arnaud Montebourg. Mercredi, le Wall Street Journal indiquait que Yahoo! avait renoncé à reprendre le site de vidéos Dailymotion, devant l'opposition du ministre du Redressement productif à voir ce joyau de la high-tech française passer entre des mains étrangères. Francetv info revient sur une polémique en cinq actes, qui atteint désormais le ministre de l'Economie.

Acte 1 : des discussions entre Dailymotion et Yahoo!

En janvier 2011, France Télécom-Orange rachète 49% du capital de Dailymotion, pour un montant de 66 millions d'euros. Un an plus tard, l'opérateur fait l'acquisition des 51% qui lui manquaient pour détenir l'intégralité du site de partage de vidéos, petit concurrent du géant américain YouTube et exemple de réussite parmi les start-up françaises. L'accord valorise alors la société à hauteur de 120 millions d'euros.

C'est là que la firme américaine Yahoo! entre en jeu, redynamisée par l'arrivée de Marissa Mayer, nouvelle directrice générale chargée de redresser le groupe internet, en déclin.

La firme américaine fait part de son souhait de racheter à France Télécom 75% du capital de sa filiale Dailymotion, avec une option pour monter à 100%. "Yahoo! avait un grand intérêt pour ce partenariat et tout cela nous paraissait plutôt pas mal à la fois pour nous et pour le pays", selon le PDG de France Télécom, Stéphane Richard, interrogé le 2 mai. 

Acte 2 : Montebourg intervient pour maintenir le site dans le giron français

Pour l'Etat, qui détient encore 27% du capital de France Télécom, pas question de céder plus de 50% de Dailymotion. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, monte au créneau : "Je ne vais pas vous laisser vendre l'une des meilleures start-up de France !", se serait emporté le ministre au cours de la rencontre entre la direction de Yahoo! et celle de France Télécom. 

"Je ne sais pas ce que vous faites", aurait poursuivi le ministre à l'attention du président de France Télécom, raconte le Wall Street Journal (en anglais), mardi 30 avril. Mais pour ce dernier, l'intervention du ministre a mis fin aux intentions de Yahoo!, poussant Arnaud Montebourg à se justifier : "Le ministère du Redressement productif (reste) attaché à créer les conditions optimales du développement international de Dailymotion."

Pour le quotidien économique américain, l'intervention de l'Etat dans ce dossier pourrait porter préjudice à la réputation de la France. "La déliquescence des pourparlers pour vendre Dailymotion risque d'endommager l'image de la France auprès des investisseurs étrangers à une période où la France dépend d'eux pour sa croissance", estime le WSJ. Pour nombre d'analystes, Dailymotion doit être adossé à un partenaire en mesure de lui ouvrir le vital marché américain. D'après le cabinet comScore, 2,5 milliards de vidéos sont visionnées par mois sur la plateforme française.

Acte 3 : le patron de France Télécom tacle le ministre 

Interrogé sur la pertinence de l'intervention d'Arnaud Montebourg, Stéphane Richard se montre très critique : "J'avais pourtant refusé que Yahoo! dispose d'une option pour acheter la totalité du capital de Dailymotion, et nous étions sur le point de trouver un arrangement", regrette le patron. "Ce n'est pas à la demande de l'Etat" que son groupe a investi, début 2011, dans Dailymotion, qui "s'est révélé une bonne affaire, dont la valeur a doublé ou triplé", assure-t-il, amer. 

Il explique aussi préférer que l'Etat, qui propose de mobiliser des financements publics en vue du développement de Dailymotion, renonce à cette démarche. "Nous ne cherchons pas des partenaires financiers ! Notre priorité est de trouver un allié qui assure le développement de Dailymotion hors d'Europe", souligne-t-il. "Nous avons envisagé plus de 60 partenaires potentiels en France et à l'étranger avant de nous focaliser sur Yahoo!. Maintenant, nous allons reprendre nos recherches."

Acte 4 : Montebourg met en doute la santé de Yahoo!

Interrogé jeudi à la sortie du Conseil des ministres, Arnaud Montebourg a de nouveau justifié son intervention : "Nous ne pensons pas que ce soit une bonne opération d'abandonner Dailymotion entre les mains d'une société, Yahoo!, dont la santé est parfois vacillante et qui, de surcroît, risque de dévorer, faire disparaître Dailymotion."

Le ministre du Redressement productif a assuré avoir décidé de s'opposer au rachat de Dailymotion par Yahoo! "en relation avec Pierre Moscovici", son collègue de l'Economie et des Finances. "Le gouvernement fait son travail", a conclu le ministre.

Rachat de Dailymotion : "décision prise en relation avec Moscovici" selon Montebourg (France 2)

La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a, quant à elle, assuré que la position d'Arnaud Montebourg était celle de tout le gouvernement. Selon elle, il était "souhaitable de défendre comme il l'a fait un partenariat équilibré, à 50-50" avec le géant américain de l'internet, quitte à faire échouer le projet de rapprochement. 

Acte 5 : Moscovici dément son implication

Impliqué quelques heures plus tôt par son collègue à Bercy, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a démenti. Une habitude, si l'on en croit les nombreux couacs survenus entre les deux ministres. "Ce n'est pas un dossier dans lequel j'ai été particulièrement impliqué, a ainsi fait savoir le ministre de l'Economie. Je n'ai pas eu tous les éléments en ma possession." 

A la question de savoir s'il avait été informé par Arnaud Montebourg, il a répondu : "Nous avons eu une conversation à ce sujet mais qui est restée extrêmement générale. Il n'y a pas eu de réunion, de décision conjointe sur ce dossier."

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