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Déportation des homosexuels : "Christian Vanneste joue avec les mots et la vérité"

Mickaël Bertrand, historien, réfute les propos du député UMP du Nord, qui qualifie de "légende" la déportation des homosexuels en France entre 1939 et 1945.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le député UMP Christian Vanneste lors d'une convention UMP sur l'immigration, le 7 juillet 2011 à Paris. (NATHAN LAINE / IP3 / MAXPPP)

Christian Vanneste a-t-il dérapé une fois de trop ? Le député UMP du Nord se retrouve une nouvelle fois au cœur d'une polémiqueDans une vidéo diffusée sur internet le 10 février, ce membre de la Droite populaire estime qu'il n'y a "pas eu de déportation homosexuelle en France" pendant la seconde guerre mondiale et que "c'est une fameuse légende"Après la diffusion de ces propos, le secrétaire général du parti, Jean-François Copé, a annoncé mercredi 15 février qu'un candidat investi par le parti majoritaire se présenterait contre le député du Nord aux prochaines législatives. Une procédure d'exclusion de l'UMP a aussi été lancée.

Qu'a dit précisément Christian Vanneste ? "Il y a aussi des légendes qui sont répandues. Par exemple il y a la fameuse légende de la déportation des homosexuels. Il faut être très clair là aussi." Il ajoute : "En Allemagne, il y a eu la répression des homosexuels et la déportation qui a conduit à à peu près 30 000 déportés. Et il n'y en a pas eu ailleurs. Et notamment en dehors des trois départements annexés, il n'y a pas eu de déportation des homosexuels en France."

Une provocation, mais aussi une contre-vérité historique "qui fait mal", explique à FTVi l'historien Mickaël Bertrand, qui a dirigé un ouvrage collectif sur la question, La déportation pour motif d'homosexualité en France (éditions Mémoire active). Selon l'historien, 62 Français ont été déportés pour homosexualité, dont 22 arrêtés en Alsace-Moselle, 32 au sein du Reich (hors Alsace et Moselle), un dans un lieu indéterminé et sept en zone occupée.

Christian Vanneste réfute la déportation des homosexuels, hormis en Allemagne. Sur quoi fonde-t-il ses affirmations ?

Mickaël Bertrand : M. Vanneste agit comme il le fait toujours, en jouant avec les mots et en jouant avec la vérité, comme il l'entend. Pour Christian Vanneste, la déportation pour motif d'homosexualité serait une légende sous prétexte que des homosexuels français n'auraient été déportés que dans les territoires annexés, à savoir l'Alsace et la Moselle. Il a partiellement raison au sens où on a un phénomène de déportation massive uniquement en Allemagne, et par conséquent dans les territoires annexés. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de déportation pour motif d'homosexualité en France. Certes, elle n'a pas été systématique, elle n'a pas été aussi organisée, hiérarchisée qu'en Allemagne, mais il y a bien eu des homosexuels déportés à partir de la France. 

Dans votre ouvrage consacré à la question, vous estimez que 62 homosexuels français ont été déportés pendant la guerre. Comment êtes-vous parvenu à ce chiffre ?

Ce chiffre témoigne de toute l'ambiguïté que nous pouvons trouver autour des recherches. Souvent, dans le sens commun, on réduit la déportation à quelqu'un qui se fait arrêter et qu'on envoie ensuite dans un camp de concentration. Il y a une simplification que l'on a faite pendant trop longtemps : à savoir qu'une personne se faisait déporter pour un seul motif. En fait, il y a des dizaines de motifs qui peuvent conduire à une déportation. On peut être juif et communiste, communiste et homosexuel, résistant et homosexuel... Plein de petites choses ont fait grossir les dossiers des nazis et ont abouti à la déportation. 

Dans nos recherches, nous sommes revenus sur les cas de ces déportés à partir des territoires annexés. Et justement, on a montré que les nazis ont visiblement très rarement déporté les homosexuels depuis les territoires annexés. La plupart du temps, ils étaient renvoyés dans la France libre. Ensuite, nous nous sommes intéressés à ceux qui se trouvaient dans la France libre. On s'est donc aperçu qu'il existait des déportés pour motif d'homosexualité dans cette zone. Mais ils l'étaient pour des motifs à chaque fois particuliers : pédophilie, prostitution, relations avec des officiers nazis dans le cadre de leur mission en France. Et ensuite, on a tous ces Français qui ont été envoyés en Allemagne dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) ou bien qui y sont partis volontairement pour travailler, et qui là-bas ont tissé des relations homosexuelles et ont donc été arrêtés pour cette raison en Allemagne. Enfin, on a certains cas qui ne sont pas clairs, sur lesquels on doute. 

Pourquoi parle-t-on si peu de la déportation des homosexuels ?

On a connu une situation de blocage à partir de 1945 qui avait plusieurs motifs. Les personnes n'avaient pas nécessairement envie de parler, comme tous les déportés. De plus, l'homosexualité n'a pas été acceptée après la seconde guerre mondiale : des lois ont restreint la liberté des homosexuels jusqu'en 1981. La parole a donc eu du mal à se libérer. Le sujet a aussi été éclipsé parce qu'il est difficile de faire des recherches universitaires sur ce sujet, de faire une carrière dans la recherche avec ce sujet d'étude en histoire... Mais depuis quelques années, avec l'association d'universitaires, de journalistes, des associations LGBT qui ont encouragé ces recherches, on avance. Dans certaines villes, il y a encore des cérémonies de commémoration de la déportation où la présence des homosexuels n'est pas acceptée. Mais ça avance, tout doucement. 

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