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Doux : les aviculteurs ont peur d'être plumés

Le dépôt de bilan du volailler a crée la panique dans la filière. Les syndicats craignent des retombées sur les 8000 personnes liées à la production de volaille. Reportage chez des éleveurs bretons.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pierre-Yves Lozahic, éleveur au Merzec (Côtes-d'Armor) pour Doux, reçoit des poussins, mercredi 6 juin 2012.  (CAMILLE CALDINI / FTVI)

"Doux doit continuer", martèle André Quénet, président de la section avicole de la FRSEA de Bretagne. Mardi 5 juin au soir, il a réuni quelque 170 éleveurs à Loudéac (Côtes-d'Armor). Une réunion de crise, fermée à la presse, destinée à rassurer et à convaincre les agriculteurs. Mais les cris d'indignation résonnent jusqu'à l'extérieur de la salle des fêtes où ils se sont massés. Charles Doux leur a promis de "maintenir le navire à flots". Mais après l'annonce du dépôt de bilan du volailler, vendredi dernier, la panique s'est emparée de la filière avicole française. 

La plupart des éleveurs présents mardi travaillent encore presque normalement, pour ne "pas rompre la chaîne". Comme Pierre-Yves Lozahic, 47 ans. Mercredi 6 juin, à 9h45, cet éleveur de poulets installé au Merzer, près de Guingamp, reçoit 14000 poussins d'un jour. "Ils sont préparés à l'éclosion dans un couvoir Doux depuis 21 jours, il faut bien les accueillir, on n'arrête pas la production de volailles comme celle des boulons", lance ce responsable FDSEA des Côtes-d'Armor, en vidant, dans son poulailler, des caisses pleines de minuscules volatiles piailleurs. Avec lui, la femme en combinaison de protection bleue qui lui a livré les poussins, et un apprenti. Il n'a pas les moyen d'embaucher un salarié.

"Une année ou tout roule, ça n'existe pas"

La survie de l'exploitation Lozahic dépend du groupe Doux. Au Merzer, un village dont l'unique café est à vendre, il possède 1700 m2 de poulailler, qui fournissent la moitié de ses revenus. Jusqu'à 800 euros, dans les bons mois. Heureusement, son épouse est institutrice. De ses quatre enfants, trois filles et un garçon, aucun ne semble parti pour prendre le relais. "Ce serait un coup dur, ça voudrait dire que je n'ai pas su transmettre ma passion", confie-t-il, dans le préfabriqué qui lui sert de bureau. En même temps, il est conscient que sa situation ne les fait pas rêver. "Une année où tout roule, ça n'existe pas chez nous", ajoute l'Armoricain en souriant.

Il fait partie des 300 éleveurs bretons sous contrat avec le volailler. Doux lui fournit environ 47 000 poussins par lot et leur alimentation, puis récupère les poulets arrivés à maturation, 35 jours plus tard. Pierre-Yves Lozahic a à sa charge les bâtiments et leur entretien, le chauffage à 32°C, l'eau et les soins. Il élève des volailles depuis vingt ans, dont quatre pour Doux, et ne compte pas s'arrêter là, malgré les dettes qui commencent à s'accumuler.

Doux doit 15 000 euros à Pierre-Yves Lozahic pour un lot parti le 30 mai vers l'abattoir de Châteaulin (Finistère), juste avant le dépôt de bilan. D'autres éleveurs, qui préfèrent garder l'anonymat, attendent 30 000, parfois jusqu'à 50 000 euros, malgré leurs réclamations répétées auprès de la comptabilité du groupe. Ils pourraient ne pas en voir un centime. Seules les prochaines livraisons seront payées comptant par l'administrateur judiciaire, a averti la présidence de la région Bretagne mardi. La nouvelle est bien accueillie. "Et après ?", s'interroge un agriculteur, pessimiste.

"L'automobile, la sidérurgie, et nous ?"

Les syndicats d'agriculteurs espèrent à présent du gouvernement une enveloppe de 8 millions d'euros, selon Pierre-Yves Lozahic, pour remettre les comptes à zéro. "L'Etat a bien aidé l'industrie automobile et la sidérurgie, pourquoi pas nous ?", s'interroge l'éleveur. Il craint les contreparties que pourrait exiger le gouvernement, sous forme de nouvelles normes sur le bien-être des animaux, par exemple. Ce serait trop. "On impose déjà des normes strictes et coûteuses aux producteurs français, alors que la viande vendue en grandes surfaces vient de l'étranger et n'y répond pas", détaille le responsable syndical.

Face à Charles Doux, avec qui ils n'ont que de très rares contacts, les éleveurs, peu syndiqués, se trouvent sans voix. Les fédérations leur ont conseillé de se constituer en association afin de mieux peser dans les discussions. Ils espèrent ainsi créer un mouvement solidaire, dans une filière où "chacun travaille pour soi", déplore Pierre-Yves Lozahic. A la sortie de la réunion de mardi, tard dans la soirée, haussements d'épaules et regards baissés révèlent l'impuissance des agriculteurs. La colère qui grondait dans la salle s'est muée en dépit mêlé d'épuisement.

"30 000 euros de découvert chaque année"

A voix basse, ils sont nombreux à dire qu'ils envisagent de quitter Doux. Ils ne s'en vantent pas, les phrases sont hésitantes, ils surveillent que personne ne les écoute. C'est le scénario que redoutent les responsables syndicaux. "Si 10 ou 20% des éleveurs abandonnent, la filière meurt", prévient Pierre Yves Lozahic. Fournisseurs d'aliment, transporteurs, gaziers seraient aussi touchés. Mais une jeune agricultrice, installée depuis trois ans, confie atteindre "30 000 euros de découvert chaque année".

Comme d'autres, cette éleveuse de poules pondeuses, qui fournit les œufs aux éleveurs, envisage de cesser de travailler pour Doux, qui représente un bon tiers de ses revenus. Mais pour quelle alternative ? Quitter Doux, c'est "délaisser le marché de l'export", explique Didier Lucas, de la FDSEA des Côtes-d'Armor, au quotidien Ouest France. Si ces éleveurs se tournent vers la production de volailles labellisées, "le marché sera engorgé et il y aura de la casse", prévient-il. Quant à la concurrence, "elle ne peut pas absorber toute la production bretonne", selon les responsables syndicaux. Doux a six mois pour redresser la barre. Pendant ce temps, les éleveurs tentent de garder la tête hors de l'eau.

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