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"Des pilotes s'endorment en vol" : des employés de Ryanair dénoncent leurs conditions de travail

La compagnie aérienne Ryanair a annulé 20 000 vols d'ici mars 2018, officiellement à cause d'un problème de gestion des plannings des pilotes. En interne, ces mêmes pilotes dénoncent un climat "très froid" et racontent une fuite des salariés vers les concurrents.

Article rédigé par Solenne Le Hen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Certains pilotes de la compagnie aérienne Ryanair dénoncent les conditions de travail de l'entreprise. (PAUL FAITH / AFP)

La compagnie aérienne irlandaise Ryanair avait fait grand bruit en annonçant, à la mi-septembre, l'annulation de 20 000 vols jusqu'en mars 2018. Ce volte-face de Ryanair a touché au total 700 000 clients mécontents. La compagnie a présenté ses excuses et a affirmé que ces annulations étaient dues à une mauvaise gestion des plannings de vacances des pilotes. Sur son site internet, elle assure qu'"en réduisant son programme de vols de manière planifiée et contrôlée, Ryanair éliminera tout risque d'annulation de vol supplémentaire".

Mais la communication bien huilée de la compagnie aérienne commence à montrer quelques failles. En effet, des voix s'élèvent en interne pour dénoncer une hémorragie de pilotes, qui serait à l'origine des dysfonctionnements. Des dizaines voire des centaines de pilotes seraient en train de quitter le navire depuis des mois. Ils dénoncent des conditions de travail trop difficiles et une pression constante de la hiérarchie. 

Une course contre la montre permanente

L'un de ces pilotes, Mickaël*, a quitté Ryanair récemment. Même démissionnaire, il a toujours peur des poursuites judiciaires que pourrait engager son ancienne entreprise. Après 10 ans au sein de la compagnie, il reste donc discret. Il dit devoir son salut à l'embellie constatée sur le marché de l'aviation depuis plusieurs mois. Toutes les compagnies embauchent à nouveau et font les yeux doux aux pilotes. "Il y a quelques années, les boulots étaient beaucoup moins évidents à trouver. Les gens disaient : 'Je n'ai pas le choix, il faut que je reste, il faut bien nourrir la famille'." Le rebond du marché est une vraie libération, selon lui.

Maintenant que le marché est ouvert pour les pilotes, les gens s'en vont. Ils se disent 'je prends la porte, je vais voir ailleurs, j'en ai ras le bol'.

Mickaël, ancien pilote de Ryanair

à franceinfo

L'une des principales causes du ras-le-bol des pilotes est la pression constante qu'ils disent subir. Leur quotidien est une course contre le temps, d'après Mickaël. Il cite l'exemple de la préparation d'un vol, prévue en 45 minutes chez Ryanair, contre 1h15 dans les autres compagnies. "Il faut rejoindre son collègue, imprimer tous les plans de vol, c'est quelque chose qui est fait en général dans les autres compagnies mais chez Ryanair il faut encore que vous trouviez l'imprimante qui fonctionne, avoir la bonne connexion internet, (...) les étudier, rencontrer votre équipage, faire un briefing, aller jusqu'à l'avion, préparer, embarquer et puis vous partez."

Le vol, seul moment de répit pour les pilotes

Conséquence de cette pression, des rotations toute la journée, des cadences soutenues, la fatigue s'accumule. "Les gens s'endorment même spontanément en vol", assure Mickaël, qui estime que cela peut arriver très fréquemment. "Vous êtes tellement fatigué que vous n'avez même pas le temps de dire à votre collègue 'je vais fermer les yeux 10 ou 15 minutes'. Cela vient d'un coup et vous tombez endormi." Un scénario qui pourrait toucher les deux pilotes en même temps, d'après lui. "C'est déjà arrivé, cela pourrait arriver et je pense que ça arrivera encore."

Sur ce point, Ryanair répond à franceinfo qu’"aucun pilote ne dort en vol ou n'est fatigué, car aucun pilote Ryanair n'a jamais eu besoin de rattraper du sommeil avec seulement 18 heures de vol par semaine suivies de quatre jours de congé (un double week-end) tous les cinq jours de travail."

Le plus difficile à supporter pour Mickaël au sein de Ryanair, c'était les remontrances continuelles de ses supérieurs. "Si vous êtes en retard d'une ou deux minutes le matin, il faut justifier ça." Cette pression sur les salariés et leur comportement induit de fortes tensions au sein des équipes. "C'est tout le temps la chasse ! (...) Tout le monde va essayer de tirer sur l'autre. L'ambiance est... merveilleuse." Seul moment de calme pour les pilotes : le vol. "Chez Ryanair, la pression s'arrête quand vous fermez la porte du cockpit et que vous démarrez les moteurs. À ce moment-là, il n'y a plus personne pour vous dire 'fais ça', votre téléphone est coupé et vous êtes tranquille."

Vendeuse dans un avion plus qu'hôtesse de l'air

La pression de Ryanair sur ses salariés est telle que Mickaël s'est un jour vu reprocher de voler... trop vite. Il voulait rattraper le retard pris par le vol au décollage. Grand mal lui a pris : "Si on peut économiser beaucoup de carburant en volant moins vite, cela devient très intéressant donc c'est ce qu'ils cherchent. Si vous volez plus vite, vous coûtez potentiellement plus cher." Il dénonce une politique de rationalisation des coûts à l'extrême : "On parle peut-être de 50 ou 100 euros sur un vol mais multiplié par leurs 2 000 vols par jour, ils vont chercher le moindre centime."

La priorité de la compagnie aérienne ne serait donc pas de proposer le meilleur service au client, en réduisant au maximum le retard d'un vol ? "Le client n'est pas du tout au centre du business Ryanair", confirme Mickaël en souriant. "Le centre du business Ryanair, c'est l'argent qui rentre chez Ryanair." Même leçon pour Isabelle*, ancienne hôtesse de l'air de Ryanair. Elle a surtout eu l'impression d'être vendeuse dans un avion :

Dès qu'on mettait un pied dans l'avion, il fallait continuellement faire des annonces. Pour vendre les plateaux repas, les parfums, les cartes à gratter... et si on avait le temps il fallait tout recommencer, faire un deuxième service.

Isabelle, ex-hôtesse de l'air chez Ryanair

à franceinfo

À l'époque, elle avait 22 ans et c'était son premier emploi, sous contrat irlandais. Les pressions pour les ventes en cours de vol se traduisaient par un affichage très sévère. "À la fin de chaque semaine, on avait un classement qui était affiché dans la salle de repos, du meilleur vendeur au moins bon vendeur", se souvient celle qui a désormais quitté la compagnie aérienne. "J'ai eu une collègue qui a été licenciée parce que ses ventes n'étaient pas bonnes." Elle décrit un climat de management tendu, "très froid, très directif". Les réprimandes, elle les a également connues : "On vous faisait passer pour un incompétent."

Toujours pas de syndicat chez Ryanair

Parfois, les pressions se traduisaient directement par des convocations pour des entretiens disciplinaires en Irlande ou des sanctions pour des broutilles. Si Mickaël et Isabelle en parlent aujourd'hui, chez Ryanair l'omerta reste de rigueur. Il n'y a toujours pas de syndicat : "Les quelques personnes qui se sont attaquées à les égratigner ont tous terminé en procès. Arriver à museler 12, 13 ou 14 000 personnes, il faut être fort ! Il faut que le système soit bien au point", assure Mickaël.

Si Ryanair, que franceinfo a contactée, juge que "ces allégations et rumeurs sont fausses", le PDG du groupe est pour autant conscient de l'incendie. Il a promis aux pilotes des hausses de salaire et un meilleur environnement de travail. L'urgence est de retenir ses pilotes et de les empêcher de s'envoler vers d'autres cieux.  

*Les prénoms ont été modifiés.

Des pilotes de Ryanair dénoncent leurs conditions de travail - Reportage Solenne Le Henn

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