Affaire Carlos Ghosn : le système carcéral japonais est "extrêmement brutal"
Au Japon, où est incarcéré le PDG de Renault, les conditions de détention sont très dures et valables pour tout le monde, explique l'un des correspondants de Radio France sur place.
Au Japon, "le système carcéral est extrêmement brutal, moralement cassant, vous n’êtes plus rien", explique vendredi 23 novembre sur franceinfo Yann Rousseau, journaliste aux Echos et correspondant pour Radio France, alors que Carlos Ghosn, le dirigeant de Nissan-Renault-Mitsubishi, est incarcéré dans le centre de détention de l'arrondissement de Katsushika à Tokyo, accusé de malversations. "Moralement, on vous brise", ajoute-t-il. Il est notamment interdit "de se lever dans la journée, sauf à deux moments où il y a 15 minutes d’exercices, de parler, de dormir sur le ventre". Ces conditions de détention sont valables pour tout le monde, du "petit délinquant qui a volé une bouteille de bière", au "drogué" ou au "tueur en série".
franceinfo : Que se passe-t-il pour Carlos Ghosn ?
Yann Rousseau : D’abord, il a été présenté au procureur et ensuite il a été emmené dans cette prison qui est juste au nord de Tokyo, dans le quartier de Kosuge, où il y a plusieurs sortes de détenus. Il y a la plupart des condamnés à mort parce qu’on n’est pas très loin de la Cour suprême. Il y a aussi les gens qui sont en attente de grands procès au tribunal de Tokyo, et les gardés à vue VIP. Donc quand il est arrivé, il a été soumis exactement au même régime que les autres. Vous avez plein de gardiens face à vous et qui vous posent plein de questions. Il vous demande si vous êtes homosexuel pour savoir où ils vont vous placer, si vous êtes inquiets de quelque chose, si vous avez des modifications de votre corps, et notamment de votre pénis, parce que c’est ce que font les Yakusas...
Le PDG de Nissan-Renault-Mitsubishi n'a donc pas de traitement de faveurs ?
Il y a deux étages VIP dans cette immense prison qui a plus de 1 000 cellules. Cela veut dire qu’ils sont seuls, dans des petites cellules de 6,5 mètres carrés. C’est trois tatamis, un bout de lino, une toilette, un lavabo. Il n’y a pas de fenêtre sur l’extérieur, il y a un peu de lumière, mais aucune vue sur l’extérieur. Et vous devez être assis en permanence derrière une toute petite table basse. Il est interdit de se lever dans la journée, sauf à deux moments où il y a 15 minutes d’exercices. C’est pour tout le monde pareil. Il est interdit de regarder par la grille pour voir le couloir des gardiens et les cellules qui sont en face, vous n’avez pas le droit de parler et vous êtes là-dedans, avec trois repas [par jour]. Tout le monde se lève à 7h et se couche à 21h. C’est obligatoire d’être allongé à partir de 21h, sur un futon, le visage découvert. On n’a pas le droit de dormir sur le ventre. Il y a quelques activités qui rythment votre journée. Le matin, vous pouvez aller sur le toit, dans une cellule minuscule mais à ciel ouvert et après, vous allez-vous doucher. En deux semaines, l’hiver, vous avez le droit à trois douches et l’été deux douches par semaine et ensuite, il va pouvoir aller aux interrogatoires et voir le peu de gens qu’il peut rencontrer.
Est-ce que Carlos Ghosn a vu ses proches ?
Dans le régime carcéral japonais, vous ne voyez pas vos proches, à part quelques exceptions ou d'une faveur du procureur. La plupart du temps, les gens qui n’avouent pas immédiatement ce qu’ils ont fait et, pour l’instant, ce qu’on comprend, c’est que Carlos Ghosn nie totalement ce qu'on lui reproche et à eux, on leur interdit tout contact avec les proches, avec la famille. Ils n'ont pas la possibilité d'écrire de lettre, de passer des coups de fil, de recevoir des visites. Donc il ne voit que son avocat et la protection consulaire, c’est-à-dire un diplomate français ou brésilien dans un petit parloir, une vitre au milieu et ils se parlent au travers de l’hygiaphone 15 minutes.
Quel est l'objectif des Japonais, obtenir des aveux ?
C’est imposé à tout le monde, que vous soyez le petit délinquant qui a volé une bouteille de bière, que vous soyez un drogué ou un tueur en série, ce sera exactement les mêmes conditions. Le système carcéral japonais est extrêmement brutal, moralement cassant. Vous n’êtes plus rien. On vous punit jusque dans votre chair. Il n’y a pas de mauvais traitement, c’est extrêmement propre, mais moralement, on vous brise. Il y a aussi la pression de ces longues gardes à vue, dans des conditions dures. Il y a un culte de l’aveu au Japon. Une fois que vous êtes mis en examen, vous êtes 90% sûrs d’être condamnés au Japon.
Est-ce que les conditions de détention de Carlos Ghosn font débat au Japon ?
On en parle assez peu au Japon. Mais, la punition n’est pas quelque chose qui choque. Pour eux, c’est normal qu’on souffre. La peine de mort, il n’y a aucun débat au Japon, donc ça va moins choquer que ça ne choquera l’opinion publique française.
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