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Raid sur le cours boursier de GameStop : des investisseurs amateurs racontent pourquoi ils se sont pris au jeu

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une armée de boursicoteurs a propulsé le cours de l'entreprise GameStop sur des montagnes russes, en janvier 2021. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Propulsé par une armée de boursicoteurs fédérés sur la plateforme Reddit, le cours de cette enseigne américaine de jeux vidéo à la santé fragile s'est envolé depuis le début de l'année.

Benthdik*, Nicolas* et Robin vibrent depuis deux semaines au gré des évolutions des cours de la bourse. Le regard de ces trois jeunes Français ne se porte pas sur le CAC40, mais sur le New York Stock Exchange (NYSE) et plus particulièrement sur l'action de GameStop, une chaîne américaine de magasins de jeux vidéo, pourtant durablement ébranlée par la pandémie de Covid-19 et l'essor de la dématérialisation des jeux en ligne.

Ils ont ainsi rejoint un mouvement initié par une armée de boursicoteurs, actifs notamment sur le sous-forum "WallStreetBets" du site communautaire Reddit. Tous se sont ligués contre les fonds spéculatifs qui parient sur l'effondrement d'entreprises chancelantes, comme GameStop, et se sont rués sur leurs actions, en espérant ainsi forcer ces fonds à en acheter à leur tour au prix fort pour limiter leurs pertes. Ce "raid" boursier a fait bondir de plus de 1 600% le cours de GameStop en janvier, poussant même l'autorité de régulation de la Bourse américaine à intervenir. Franceinfo a interrogé des Français qui se sont lancés dans cette aventure pour comprendre leurs motivations.

Benthdik, 23 ans, Brest : "si tout le monde fait sa part du boulot, ça peut marcher"

L'ambiance dans le salon de l'appartement que Benthdik occupe avec six autres colocataires a radicalement changé. Depuis le mardi 2 février, jour où cet étudiant en école d'ingénieur à Brest (Finistère) a investi dans GameStop, un écran affiche en permanence l'évolution de la valeur de l'action. Juste à côté se trouve un tableau divisé en deux colonnes : les gains théoriques lorsque le cours termine en hausse et les pertes potentielles quand la courbe chute. Mardi soir, dans l'euphorie, l'homme de 23 ans a même organisé une séance de cinéma entre colocataires. Le programme ? "Le Loup de Wall Street, on était à fond dedans !" sourit-il.

Benthdik le reconnaît volontiers : en matière d'investissements financiers, il est un quasi-novice. "J'ai eu la chance de faire une année de lycée près de New York, et je me souviens avoir reçu un cours qui nous initiait à la finance. Ça n'a pas du tout provoqué une vocation chez moi", explique cet étudiant ingénieur qui n'avait aucune intention de s'y intéresser à nouveau, jusqu'à ce début d'année.

Habitué du réseau social Reddit, il découvre, en janvier, de plus en plus de messages postés sur le sous-forum "WallStreetBets". Les membres de cette communauté consacrée à la bourse, qui se surnomment "attardés" avec autodérision (et un goût douteux) multiplient les publications pour promouvoir leur grand projet : racheter massivement les actions de GameStop et d'autres entreprises, comme la chaîne de cinéma AMC.

"Le discours général, c'était : 'si tout le monde fait sa part du boulot, ça peut marcher', avec des mèmes reprenant une réplique de La Planète des singes : 'Apes together strong' ('Singes ensemble forts'). Ça m'a fait marrer et j'ai décidé de me lancer", raconte l'étudiant. "Vraiment en retard" sur la tendance, de son propre aveu, Benthdik s'inscrit vendredi 29 janvier auprès d'un courtier qui lui permet d'investir aux Etats-Unis, et clique sur le bouton "acheter" mardi.

"J'ai mis 500 euros de ma poche et un pote m'a donné 150 euros pour investir avec moi. A l'ouverture du NYSE, le prix s'était déjà envolé, on a donc pu acheter cinq actions."

Benthdik

à franceinfo

Pour cet étudiant, qui gagne 1 500 euros par mois dans le cadre d'un apprentissage, ces 500 euros correspondent "à peu près à un mois d'économies". "C'est une somme, mais je suis prêt à la perdre. Pour ne pas être déçu, je me dis que c'est voué à l'échec, même si au fond, j'adorerais que le cours explose", sourit Benthdik. Il aura besoin d'espoir : jeudi, la valeur de ses actions a été divisée par deux.

Nicolas, 35 ans, Marseille : "tant que je n'ai rien revendu, je n'ai rien gagné ni perdu"

Lui aussi a investi 500 euros dans des actions GameStop. Et lui aussi est "prêt à les perdre". "Même si ça me ferait chier, parce que je suis loin d'être milliardaire", s'esclaffe Nicolas, chercheur en sciences sociales de 35 ans. Ce Provençal, qui "n'aime pas la finance" et se décrit comme "critique envers les marchés, responsables de beaucoup de problèmes", a rejoint le mouvement, convaincu par "l'aspect 'Robin des bois' de l'affaire".

"'WallStreetBets' me fait marrer depuis plusieurs années : ses membres sont complètement fadas. Longtemps, ils ont formé une communauté assez restreinte et très axée sur les investissements les plus risqués : certains prennent par exemple un malin plaisir à afficher d'énormes pertes", raconte cet utilisateur averti de Reddit. Habitué à la dérision du groupe, Nicolas est intrigué au début du mois de janvier par plusieurs messages qui évoquent le sort de GameStop.

Le trentenaire se renseigne sur la situation de l'entreprise, particulièrement ciblée par des fonds spéculatifs qui misent sur sa prochaine faillite, ainsi que sur le short squeeze promis par certains membres de "WallStreetBets". Derrière ce jargon se cache une hausse subite d'un cours provoquée par la panique des investisseurs, forcés d'acquérir en masse des actions qu'ils s'attendaient à voir baisser pour éviter de perdre trop d'argent. Nicolas se dit alors que "les prédictions de 'WallStreetBets' tiennent la route".

"En achetant collectivement assez d'actions et en les gardant, on pouvait forcer les fonds spéculatifs à nous les racheter à un prix élevé."

Nicolas

à franceinfo

"Je suis entré en mode 'jeu' et j'ai acheté 500 euros d'actions GameStop le 25 janvier, lorsque le cours était à 82 dollars. Je me suis dit qu'au pire, l'action perdrait 50% de sa valeur, et qu'au mieux elle exploserait", raconte-t-il. Depuis son acquisition, Nicolas observe le prix de l'action GameStop jouer aux montagnes russes avec une philosophie mêlée de fatalisme : "Je me dis que tant que je n'ai rien revendu, je n'ai rien gagné ni perdu. Après, je sais bien qu'en bourse, ce sont rarement les petits porteurs qui gagnent à la fin…"

Robin, 22 ans, Paris : "c'est usant mentalement, mais il faut tenir le cap"

Etudiant en ingénierie aérospatiale à Paris, Robin préfère une approche froide, quasi-clinique, de la bourse. "J'ai découvert la finance il y a un peu plus d'un an, grâce à deux amis qui étudient l'économie et investissaient déjà", détaille ce jeune homme de 22 ans. Actuellement stagiaire en télétravail depuis Paris pour une start-up basée à Taïwan, il a profité de la pandémie de Covid-19 pour emmagasiner le plus de connaissances possibles sur ce milieu. "Pendant six mois, j'ai suivi l'actualité boursière et j'ai fait des investissements avec de l'argent fictif sur un réseau social spécialisé avant de me lancer", raconte l'étudiant, qui s'est récemment abonné au site internet de The Economist "pour le prix d'un abonnement mensuel à Netflix".

Précautionneux, il s'est d'abord tourné vers des "valeurs de bon père de famille", puis sur des entreprises "asiatiques qui produisent des semi-conducteurs", un domaine qu'il connaît bien grâce à ses études. Lecteur attentif et amusé de "WallStreetBets", Robin a vu dans la fronde lancée par les internautes contre les fonds spéculatifs l'occasion de s'initier à des mises plus risquées.

Signe de sa prudence, il n'a d'ailleurs pas placé ses économies chez GameStop, dont le cours était déjà monté trop haut pour lui, mais dans la chaîne de cinéma AMC, également ciblée comme entreprise à sauver des griffes des spéculateurs par les membres de "WallStreetBets". Par rapport à ses placements habituels, "le gain d'adrénaline est assez impressionnant", s'amuse Robin. "C'est un peu usant mentalement, mais il faut tenir le cap : on se dit qu'il faut attendre, ne pas céder à la panique."

Confiant dans sa stratégie et rassuré par son portefeuille d'actions diversifié, l'étudiant a misé, fin janvier, 120 euros dans les actions AMC. Il en a depuis vendu, puis racheté, en fonction de l'évolution des cours. Au moment de répondre à franceinfo, ses actions valaient 200 euros. Quel que soit leur destin, Robin estime que son investissement aura été rentable, au moins d'un point de vue intellectuel : "Certains membres de 'WallStreetBets' sont encore choqués par la crise financière de 2008 et sont dans une forme de vendetta contre les fonds spéculatifs. Moi, je ne mène aucune croisade, je paie pour apprendre des choses d'un marché qui est en constante évolution."

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé

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