Budget 2025 : les 60 milliards d'euros d'économies "vont réduire la croissance de moitié" , estime Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS

Les députés commencent lundi soir à examiner le projet de loi de finances pour 2025, dans lequel le gouvernement prévoit un effort de 60 milliards d'euros.
Article rédigé par franceinfo
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Le ministre de l'Économie, Antoine Armand, s'exprime devant l'assemlée nationale, le 21 octobre 2024 pendant un débat sur le projet de loi de finances pour 2025. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Les 60 milliards d'euros d'économies visés par le Budget 2025 du gouvernement "vont réduire la croissance de moitié", estime Anne-Laure Delatte, économiste et directrice de recherche au CNRS, lundi 21 octobre sur franceinfo. Lundi soir, l'Assemblée nationale examine en séance publique le volet "recettes" du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Le gouvernement de la droite et du centre, emmené par le Premier ministre Michel Barnier, veut toujours mettre en place un effort budgétaire de 60 milliards d'euros.

franceinfo : 60 milliards d'efforts d'économie, vous dites que ça aura un effet récessif, Anne-Laure Delatte. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?

Anne-Laure Delatte : Des prévisions ont été faites par l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, la semaine dernière, elles estiment que ça va réduire la croissance de moitié. Le mécanisme est tristement simple. Quand l'État réduit ses dépenses publiques, ça a un effet sur le revenu de l'ensemble des Français. Si on prend l'exemple de la réduction annoncée du remboursement des consultations médicales, soit vous avez une mutuelle et cette dernière vous rembourse la différence, et comme ça lui coûte à elle plus cher, les tarifs augmenteront l'année prochaine. Cette situation vaut pour 95% des Français. Soit vous faites partie des 5% de Français qui n'ont pas de mutuelle et le déremboursement vous affecte tout de suite.

Cela veut dire que le gouvernement aurait dû se concentrer sur les dépenses et ne pas augmenter les impôts ?

Au contraire, il y a plus de marge de manœuvre en recettes, donc en impôts, qu'en dépenses. Ça dépend de quels impôts on parle. Si on parle d'impôts sur des individus, des ménages qui ont une grosse épargne et qui, si vous augmentez leurs prélèvements, ne vont pas beaucoup bouger leurs consommations, alors ça n'aura pas un effet très important sur le PIB. Par exemple, si vous augmentez la TVA, évidemment, ça affecte tout le monde et ça affecte en plus les plus pauvres. Mais par contre, si vous augmentez la taxe sur les patrimoines, ça ne va pas empêcher les personnes avec de hauts patrimoines de continuer à consommer de façon importante. Ils ne vont pas faire des économies.

Et les taxes sur l'électricité par exemple, sachant que cette suppression de cette hausse des taxes sur l'électricité est demandée par le Rassemblement national ?

Si cette taxe affecte l'ensemble des ménages ou une grande partie des ménages français, effectivement, il y a un vrai impact économique et donc ça n'est pas souhaitable. Il faut aller chercher des recettes ou des coupes de dépenses là où ça fait le moins mal à l'économie, là où ça fait moins mal au circuit économique. Ce n'est pas du tout ce que j'observe pour l'instant dans les orientations budgétaires du gouvernement.

Que préconiseriez-vous ?

Aujourd'hui, j'observe un budget d'impréparation, c'est-à-dire qu'ils réduisent les dépenses et ils font beaucoup d'économies. Or, on a une crise écologique. On va avoir des événements extrêmes, des inondations ou des pandémies, de plus en plus importants. Et il va falloir être prêt, il faut préparer l'avenir. J'aurais recommandé d'augmenter les impôts là où on peut encore les augmenter, c'est-à-dire sur les plus hauts patrimoines et les multinationales qui échappent à l'impôt aujourd'hui parce qu'elles optimisent leurs impôts depuis des années. Avec ces impôts-là, avec ces nouvelles recettes, on en consacre 15 milliards d'euros à la réduction du déficit, et le reste, vous faites du budget de préparation.

En instaurant par exemple une taxe sur les superprofits comme celle initiée par la gauche, rejetée en commission des Finances ce week-end ? D'après le Nouveau Front populaire, elle aurait justement rapporté quelque 15 milliards d'euros.

Oui, ou un ISF (impôt de solidarité sur la fortune) réformé, un impôt sur les hauts patrimoines, ça peut rapporter jusqu'à 15 milliards d'euros. Un impôt sur les multinationales, ça peut rapporter aussi quelques milliards. Une réduction des exonérations de cotisations sociales, une réduction du crédit d'impôt recherche, vous pouvez mettre en place une taxe sur les transactions financières… En fait, il y a beaucoup de chantiers qui existent. Il n'y a pas un niveau absolument insupportable d'impôts en France et de prélèvements en France. La question est : que voulez-vous financer aujourd'hui ?

Cette taxe dont vous parlez, elle n'existe pas parce que le gouvernement a cherché à trouver un équilibre entre le "dogme macroniste" de la non-imposition et ce que voulait faire Michel Barnier ?

C'est sûr que depuis 2017, on était vraiment dans une politique de l'offre, avec une réduction des prélèvements obligatoires. Or, ça n'a pas fonctionné. Le dérapage budgétaire est lié à une baisse des prélèvements obligatoires. Il n'est pas du tout lié à un dérapage de la protection sociale ou des services publics en France. Ce n'est pas du tout ça notre problème budgétaire aujourd'hui. Notre problème budgétaire aujourd'hui est lié à une politique de l'offre qui n'a pas fonctionné et qui a été mise en place de façon assez appuyée depuis 2017, avec une réduction de l'impôt sur les sociétés, une réduction de l'impôt sur les hauts patrimoines, sur les plus hauts revenus… Il y a eu un certain nombre de réductions d'impôts qui n'ont pas eu l'effet attendu. Et on ne corrige pas ça. Le projet de loi de Finances (PLF) pour 2025 ne corrige absolument pas ceci.

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