Taxation des superprofits : les oppositions jugent "insuffisants" les amendements du gouvernement au projet de loi de finances
Le gouvernement a déposé en dernière minute deux textes qui prévoient de taxer les superprofits des multinationales de l'énergie. Les oppositions veulent aller plus loin.
L'idée d'une taxation des superprofits refait surface. La proposition, d'abord portée par les députés de la Nupes et du RN, prend à présent la forme de deux amendements au projet de loi de finances 2023, débattu depuis lundi 10 octobre à l'Assemblée nationale. Les deux textes déposés par le gouvernement d'Elisabeth Borne visent à transcrire en France l'accord européen sur la mise à contribution des énergéticiens.
Dans le détail, le premier amendement plafonne les revenus de production des producteurs d'électricité, suivant la décision des Etats membres de l'UE qui ont estimé que ces entreprises profitaient à plein pot de l'inflation. Le second prévoit la création d'"une contribution temporaire de solidarité" des entreprises du pétrole, du charbon, du raffinage et du gaz. Cette contribution, dont le taux est fixé à 33%, toucherait les entreprises dont le résultat imposable dépasserait de 20% la moyenne des quatre dernières années. "Ce sont les rentes auxquelles nous voulons nous attaquer", explique sur franceinfo le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
"Je ne veux pas qu'il y ait des énergéticiens, qu'ils s'appellent EDF, Total ou Engie, qui puissent profiter de la situation."
Bruno Le Maire, ministre de l'Economiesur franceinfo
Le premier amendement "représente 26 milliards d'euros", soit "plus de la moitié de notre bouclier [tarifaire], c'est considérable", assure Bruno Le Maire. En revanche, la contribution temporaire de solidarité devrait permettre des gains beaucoup plus modestes, de l'ordre de "200 millions d'euros", toujours selon le locataire de Bercy.
"C'est mieux que rien"
Dans l'opposition, les réactions sont mitigées. Les Républicains vont soutenir les amendements du gouvernement, tout en proposant d'étendre la taxation aux entreprises du transport maritime. "On rejoint la position du gouvernement de ne pas prendre des dispositions qui pénaliseraient nos entreprises par rapport à nos voisins européens", a expliqué lors d'un point presse Olivier Marleix, président du groupe LR.
"C'est toujours mieux que rien, c'est une étape, mais ça ne suffit pas", réagit de son côté le député RN Jean-Philippe Tanguy. "On le votera à défaut d'avoir mieux. Mais à force de pression, notamment de l'opinion publique, le gouvernement se rend compte qu'il y a des situations anormales. Mais bon, ça va rapporter 200 millions d'euros, c'est une opération cosmétique."
"La réalité, c'est que le gouvernement ne veut pas taxer le CAC 40."
Jean-Philippe Tanguy, député RNà franceinfo
Le RN propose pour sa part de taxer les multinationales qui réalisent plus 100 millions d'euros de chiffres d'affaires en France et qui ont enregistré 20% de bénéfices en plus par rapport à 2019.
Un amendement "beaucoup trop limitant"
La gauche se montre également dubitative sur les concessions du gouvernement. "Tout le monde sait très bien que cet amendement-là, il est beaucoup trop limitant, car il ne concerne pas l'ensemble des secteurs dans lesquels il y a eu des profits exceptionnels", confie à franceinfo le député LFI Manuel Bompard. "C'est une bonne chose que Bruno Le Maire change d'avis, mais je considère que c'est largement insuffisant. On a proposé d'autres amendements pour une véritable taxation des superprofits."
Les députés LFI se félicitent malgré tout de voir le sujet émerger dans le débat après l'avoir porté pendant des mois. "Le gouvernement voit bien que la question des superprofits choque les Français, poursuit l'insoumis Antoine Léaument. Mais nous avions proposé de taxer l'ensemble des superprofits, il n'y a pas que les énergéticiens. Le gouvernement est en train de faire un petit bouclier autour de ces entreprises-là pour protéger toutes les autres."
"Récupérer cette manne financière exceptionnelle"
Avec ces amendements, le gouvernement réagit à une double pression venue de l'Europe et de l'opinion publique, selon plusieurs parlementaires. "Le gouvernement commence à pétocher sérieusement. Les raffineries sont bloquées, les dépôts pétroliers sont bloqués…" constate Antoine Léaument. "On peut imaginer que le gouvernement fait ça en réaction à ce qu'il se passe dans le pays : mouvements de grève, blocages, appel à manifester dimanche... Ce sont des signaux dont il faut tenir compte, surtout avec une opposition qui compte taper fort sur ces sujets", admet un parlementaire de la majorité.
Les parlementaires de la majorité ne voient pas d'un mauvais œil le retour du débat sur les superprofits. "C'est un sujet qui préoccupe la majorité depuis longtemps, et qui n'est pas propre à la Nupes, assure le député LREM Thomas Rudigoz. Il est normal que les grandes multinationales fassent aussi des efforts et il y avait aussi une attente dans la majorité par rapport à ce qu'il se passe dans d'autres pays européens."
"Plus que dire taxer pour taxer, nous voulons récupérer cette manne financière exceptionnelle", explique pour sa part la députée LREM Prisca Thevenot. Mais elle réfute l'idée d'une victoire idéologique de la gauche. "Si vous reprenez bien leur déclaration, ils veulent taxer pour taxer tout le monde. Mais pour faire quoi ?" Les oppositions tenteront d'apporter une réponse à cette question lors de l'examen des amendements déposés sur le projet de budget.
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