"Courriels oppressants", "propositions de rendez-vous" ou "micro-agressions" : le sexisme passe aussi par les mails professionnels, d'après une étude

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Près de la moitié des femmes interrogées par l'étude Flashs sur les mails professionnels dit avoir déjà reçu des contenus "inappropriés". (ANDRESR / GETTY IMAGES)
Près de la moitié des femmes interrogées pour une enquête disent avoir déjà reçu des mails au contenu inapproprié ou qui remettent en question, de façon plus ou moins subtile, leur légitimité.

"En raison de votre genre, avez-vous déjà perçu une remise en cause de vos compétences ?" Le sexisme est apparu pour la première fois dans le questionnaire de Flashs, organisme d'enquêtes et de statistiques, qui a publié jeudi 14 novembre une analyse des usages des mails professionnels auprès de 2 000 salariés et dirigeants, dont la moitié de femmes. Quelque 46% des femmes interrogées ont répondu oui, et encore davantage parmi les femmes dirigeantes. "On s'attendait à ces réponses-là, mais pas à ce que cela représente près d'une femme sur deux", commente Léa Paolacci, chargée d'études chez Flashs.

En les questionnant davantage, les femmes évoquent une autre forme de sexisme. Trois d'entre elles sur dix indiquent recevoir des mails "inappropriés". Pour celles âgées de 18 à 24 ans, la proportion grimpe à une sur deux (50%). Parmi les mails jugés inappropriés, 19% d'entre eux ont des contenus sexuellement explicites. Sinon, "il s'agit en majorité de demandes d'information personnelles ou intimes ou de propositions de rendez-vous en dehors du cadre du travail", détaille Léa Paolacci, pour qui ce sont autant de "micro-agressions".

Hypervisibilité des jeunes femmes

Jeanne, bientôt 30 ans, a connu une mauvaise expérience par mails lors d'un CDD d'été dans une entreprise parisienne. L'un de ses collègues, bien plus âgé qu'elle, a commencé à lui faire quelques blagues en face-à-face. Puis, elle a reçu "des mails oppressants" de la part de celui-ci. Il lui répondait systématiquement en privé quand elle envoyait un mail à plusieurs destinataires dont il faisait partie. Il envoyait aussi des messages sur WhatsApp et des SMS, auxquels Jeanne ne répondait pas non plus. À la fin de son contrat, il lui a dit qu'"elle allait lui manquer". Il a continué à lui écrire même quand son contrat s'est terminé et a fini par arrêter, pour le plus grand soulagement de Jeanne.

"Ce sont des cibles faciles."

Agathe Peigney, cofondatrice de Balance ton stage

à franceinfo

Ce chiffre d'une jeune femme sur deux ayant déjà reçu un mail inapproprié, comme Jeanne, "n'étonne pas" Agathe Peigney, cofondatrice de l'association Balance ton stage, créée pour dénoncer les situations de sexisme lors de stages en entreprise. "Le sexisme en entreprise touche plus particulièrement les jeunes femmes, souligne-t-elle, car elles sont souvent là pour une courte durée, ont un rapport hiérarchique et peuvent avoir peur de ne pas valider leur stage ou leur diplôme."

Cette hypervisibilité des jeunes femmes s'explique différemment pour Sabrina Tanquerel, professeure en gestion des ressources humaines à l'EM Normandie, qui travaille sur le sujet du sexisme au travail. "Les jeunes femmes sont beaucoup plus sensibilisées au sexisme en entreprise, notamment depuis le mouvement MeToo, avance-t-elle. Donc, elles sont davantage enclines à parler de ces sujets, à savoir les identifier et à les dénoncer."

Une forme de "sexisme bienveillant" ?

Les mails sont "un des véhicules du sexisme au travail", pour Agathe Peigney, de Balance ton stage. "Cela dénote une certaine facilité, car l'expéditeur est caché derrière ses mails et sa messagerie professionnels. Il y a un côté instantané qui rend floues les barrières entre la vie professionnelle et la vie privée", souligne-t-elle, en rappelant que "le sexisme commence dès les stéréotypes de genre". "Rien qu'avec le ton employé, on peut ressentir une forme de sexisme, détaille Agathe Peigney. Typiquement, envoyer un mail en commençant par 'Ma petite chérie', utiliser des petits noms, écrire 't'es la seule femme donc...', remettre en question la légitimité d'une femme..."

"Le sexisme est partout dans la société et évidemment au travail où il a des manifestations plurielles, à l'oral et à l'écrit, mais par aussi par des regards ou dans une ambiance."

Agathe Peigney, cofondatrice de Balance ton stage

à franceinfo

Parmi les centaines de témoignages reçus par Balance ton stage, depuis la création de l'association il y a quatre ans, "les mails n'ont été évoqués que deux ou trois fois, nuance Agathe Peigney. Mais ils peuvent être couplés avec d'autres choses : il y a aussi le post-it collé sur le bureau, ou des propositions via le numéro personnel d'aller prendre un verre, ou d'appeler en dehors des heures de travail."

L'échange de mails relève du "sexisme 'bienveillant'", estime pour sa part Sabrina Tanquerel, professeure en gestion des ressources humaines à l'EM Normandie. "Le sexisme dit bienveillant renvoie à toutes ces stratégies qu'on observe en entreprise sur la délégitimation des femmes, sur certaines compétences, parfois l'invisibilisation, que ce soit dans des domaines techniques occupés par des femmes, mais aussi dès qu'elles progressent dans la hiérarchie des organisations. Ces tactiques se manifestent d'un point de vue comportemental, mais aussi évidemment à l'écrit, dans des échanges informels entre collègues."

Dénoncer le plus tôt possible et "rappeler la loi"

Si les remarques sexistes envoyées par mail ou formulées à l'oral "sont en bas de la pyramide, elles peuvent être un terrain pour des agissements sexistes qui, s'ils se répètent, peuvent devenir du harcèlement", rappelle Agathe Peigney. Il est donc important de réagir en cas de réception d'un mail à caractère sexiste, car "banaliser 'les choses les moins graves' peut rendre possible des choses plus graves", alerte Agathe Peigney.

Elle liste les actions possibles : "Dans un premier temps, recadrer l'expéditeur par mail, avec les formes de politesse, pour signaler qu'on n’a pas envie d'aller sur ce terrain-là, revenir sur un terrain plus professionnel, ajouter des gens en copie, comme le manager (si lui-même n'est pas impliqué). Signaler les faits et savoir auprès de qui c'est possible : les collègues, le RH, le référent dans les grosses entreprises, mais aussi les associations, l'inspection du travail, le défenseur des droits"

Agathe Peigney conseille également de "rappeler la loi. La première remarque à caractère sexiste est considérée comme un agissement sexiste, ce qui est interdit dans le Code du travail. Les mails sont une preuve pour signaler les faits, il ne faut donc pas les supprimer." "En amont, poursuit-elle, il est important de sensibiliser au fait que ce n'est pas normal." C'est d'ailleurs ce qu'elle s'emploie à faire avec son association Balance ton stage.

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