Faut-il faire le deuil de sa retraite ? Un économiste démonte cette idée répandue
Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, explique à franceinfo pourquoi, à ses yeux, le système universel à points offrira davantage de garanties pour l'avenir des retraites que le système actuel.
Un bal des réformes quelque peu anxiogène. Depuis un quart de siècle, il ne se passe plus de mandat présidentiel sans changement de règle du jeu sur les retraites. Emmanuel Macron s'est engagé à un bouleversement complet, avec la fusion des 42 régimes existant en un seul système universel à points. A charge pour le Premier ministre Edouard Philippe de mener à bien ce projet complexe.
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De quoi inquiéter les salariés qui seront confrontés, à partir de 2025, à cette nouvelle donne. Les Français doivent-ils faire une croix sur une retraite satisfaisante ? Pourront-ils compter à l'avenir sur une pension leur permettant de vivre convenablement ? Franceinfo a interrogé l'économiste Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques et chercheur associé à PSE-Ecole d'économie de Paris, dont les réflexions ont en partie inspiré la réforme en cours.
Franceinfo : On va passer d'un système basé sur les 25 meilleures années, pour les salariés du privé, à un système qui prend en compte l'ensemble de la carrière. C'est plutôt pénalisant, non ?
Antoine Bozio : Le système à points réduit les inégalités de pension et il va profiter à 50% des plus bas salaires. Il favorise aussi les personnes qui ont eu des carrières avec des trous, ou des carrières moins dynamiques que les personnes avec des carrières complètes et croissantes à la fin.
Avec le nouveau système à points qui doit être mis en œuvre à partir de 2025, faut-il faire le deuil de sa retraite ?
Cette question est plus que provocatrice, elle est totalement à côté de la plaque ! On dépense 14 points de PIB pour les retraites. C'est le plus gros poste de dépense publique en France, et il nous permet de financer une retraite qui est de plus en plus longue, de génération en génération. Car la durée de vie continue à s'allonger. Et la durée de vie en retraite continue également à s'allonger, même dans les scénarios d'augmentation de l'âge de départ [avec la hausse de la durée de cotisation].
Du coup, dire qu'il n'y a plus de retraites alors qu'on va continuer, après la réforme, de dépenser un montant de l'ordre de 14 points de PIB, c'est foncièrement problématique. Pourquoi ? Parce que c'est partagé par un certain nombre de nos concitoyens. Ils se disent : "On fait des réformes, on continue d'en faire, mais moi quand j'arriverai à l'âge de la retraite, il n'y aura plus d'argent, c'est un coffre qu'on a vidé."
On a la retraite la plus favorable de tous les pays du monde et la perception c'est : 'On n'aura rien'.
Antoine Bozioà franceinfo
Pourquoi cette idée qui est selon vous inexacte s'est-elle installée ?
Les réformes Balladur et les suivantes changeaient les paramètres [allongement de la durée de cotisation, report de l'âge légal de retraite...] pour essayer d'adapter le système à l'évolution sous-jacente que représentent l'augmentation de l'espérance de vie et la hausse du temps passé en retraite.
Or le problème des réformes paramétriques, c'est qu'elles font des modifications à répétition laissant croire à l'opinion que le problème ne sera jamais résolu. C'est pourquoi il faut changer de système. Il suffit de dire que les cotisations vous donnent un droit à la retraite qui dépend de l'espérance de vie de l'ensemble de la population.
Mais le taux de remplacement n'est-il pas destiné à baisser ?
Aujourd'hui, les taux de remplacement [pourcentage du dernier revenu d'activité que conserve un salarié lorsqu'il prend sa retraite] n'ont pas baissé. Mais le Conseil d'orientation des retraites a fait des projections prévoyant, dans le système actuel, des baisses assez substantielles du taux de remplacement à partir de 2035-2040.
Depuis les réformes Balladur et Fillon, les droits à la retraite sont en effet revalorisés par l'inflation, et non par la croissance des salaires.
Antoine Bozioà franceinfo
Depuis les réformes Balladur et Fillon, les droits à la retraite sont en effet revalorisés par l'inflation, et non par la croissance des salaires...
Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'on a mis en place une désindexation des droits à la retraite. Si la croissance est suffisamment forte, les salaires suivent, mécaniquement, mais, du coup, les droits à la retraite évoluent moins vite. Donc le taux de remplacement va baisser au fil du temps à partir du moment où cette mécanique joue à plein.
Et ça va mieux se passer avec le système à points ?
Dans le nouveau système – j'insiste là-dessus auprès des décideurs –, il faut que la valeur du point de retraite soit non-manipulable et qu'elle soit indexée sur la croissance des salaires. Elle doit toujours suivre l'évolution des salaires pour faire en sorte que les droits à la retraite soient toujours revalorisés en fonction de la croissance des salaires. C'est très important.
Si on se laisse la possibilité de dire qu'il suffit de baisser la valeur du point pour faire des économies, on prend le risque de ne pas créer de confiance dans les garanties offertes par le système.
Antoine Bozioà franceinfo
D'autre part, je suis critique sur la création d'un âge pivot avec des pénalités [une décote si l'on prend sa retraite avant un certain âge]. La bonne façon de faire, à mes yeux, c'est de donner aux assurés une indication individuelle sur l'âge auquel ils atteindront le taux de remplacement correspondant à peu près au maintien de leur niveau de vie, un taux de 75% par exemple. Ce point-là n'est pas le même pour tous. Il faut redonner des garanties. Si un ouvrier qui a commencé tôt atteint ce seuil à 62 ans, il part à 62 ans.
On n'est pas tous obligés de partir au même âge en retraite.
Antoine Bozioà franceinfo
Il n'y a pas de raison économique à ça. Et si on veut partir à un taux de remplacement inférieur en sachant qu'on aura pas le même niveau de vie, il faut qu'on puisse le faire. Enfin, si on estime qu'il n'y a pas assez d'argent dans le système, au vu de ce qu'on constate, on peut en remettre. Il y aura moins d'argent pour les salaires, mais davantage de droits à la retraite. On doit faire ces choix de façon plus transparente qu'aujourd'hui.
La retraite par répartition – les actifs paient les pensions des retraités d'aujourd'hui – reste le meilleur des systèmes ?
Oui, parce qu'on a un système qui fonctionne très largement par répartition. Si on voulait demain basculer dans un système par capitalisation, ça ferait un trou formidable. Il faudrait soit arrêter de payer pour les retraités actuels, soit dire aux actifs : "Payez pour les retraités actuels et payez vous en plus votre retraite." A un moment, si on passe de la répartition à la capitalisation, quelqu'un doit payer deux fois.
L'objectif de la réforme des retraites n'est pas de changer de système [de la répartition vers la capitalisation]. Il est de dire : dans un système par répartition, on peut arriver à donner des garanties plus solides à l'ensemble des salariés pour les assurer qu'ils ne paient pas dans le vide. Ils doivent savoir qu'à chaque fois qu'ils mettent un euro de cotisation, ils auront plus qu'un euro de pension. La répartition est quand même un système qui fonctionne et donne des garanties fortes. Simplement, on ne peut pas cotiser le même montant et obtenir une même pension en passant plus de temps en retraite que les générations précédentes.
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