: Vidéo Souffrance au travail : comment La Poste aurait étouffé les affaires de suicide de salariés
D'après des témoignages inédits recueillis lors d'une enquête pour "Envoyé spécial", plusieurs salariés de La Poste se seraient donné la mort à cause de leur travail ces dernières années. Pourquoi la presse en a-t-elle si peu parlé ? Pour la première fois, des communicants dévoilent la stratégie que l'entreprise aurait mise en place pour éviter un scandale médiatique comparable à celui qui a touché France Télécom.
"A France Télécom, ils ont eu plein d'emmerdes avec leurs suicides. Est-ce que La Poste en a eues ? Certainement pas ! C'est hyper bien bossé..." Ces propos émanent d'une ancienne attachée de presse de La Poste. Nathalie a travaillé dix ans en province. Selon elle, des procédures étaient prévues pour éviter la médiatisation des drames.
Souffrance au travail : "Tous les communicants ont été mobilisés"
Alors que les suicides de salariés de France Télécom ont déclenché un énorme scandale médiatique, la presse a en effet très peu évoqué le cas de La Poste. Cette discrétion serait, selon certains témoins, le fruit d'une stratégie, que des communicants dévoilent pour la première fois dans "Envoyé spécial".
Gérard, qui travaille dans le sud de la France, explique ainsi que lorsque la souffrance au travail, dans les années 2010, a commencé à faire les gros titres de la presse nationale, "tous les communicants ont été mobilisés, territoire par territoire", pour minimiser et marginaliser le phénomène chez eux.
Suicides de salariés : "J'appelais le journaliste, et je me débrouillais pour que ça ne sorte pas"
Nathalie, l'ancienne attachée de presse qui témoigne à visage caché, détaille les procédures employées en cas de suicide d'un employé. "La première des choses qu'on faisait, c'est de demander : 'Est-ce qu'il a laissé une lettre ? Est-ce qu'il met La Poste en cause ?' S'il n'a pas laissé de lettre, on ne s'embête pas : il est postier, il aurait pu être dentiste. Par contre, quand il mettait La Poste en cause, j'en faisais plus une victime de la société qui évolue, quelqu'un qui a du mal à prendre le train en marche. (...) J'appelais le journaliste du secteur concerné – très souvent un ami – et je me débrouillais pour que ça ne sorte pas, affirme-t-elle. Le pire que j'ai eu, c'est deux lignes [dans la presse]. J'ai rarement eu plus."
"Je suis intervenue, j'ai étouffé [l'affaire]"
L'ex-attachée de presse évoque deux dossiers, l'un en Bretagne, l'autre en Auvergne, pour lesquels elle a été appelée : "Je suis intervenue, j'ai étouffé, ça s'est très bien passé." Selon elle, tout "problème" survenu dans n'importe quel petit bureau de province remontait aussitôt au siège, et les argumentaires tombaient dans la demi-heure qui suivait. Le but étant que tous les attachés de presse de La Poste tiennent le même discours. "Ce qui était primordial, c'était de sauver les apparences. La Poste reste une entreprise conviviale. Propre sur elle."
Nathalie porte aujourd'hui un regard sévère sur son ancien employeur et ses techniques de management. Elle a quitté l'entreprise pour ne pas, dit-elle, "passer [s]a vie à jouer les fossoyeurs".
Extrait de "La Poste sous tension", un reportage à voir dans "Envoyé spécial" le 12 septembre 2019.
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