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Enquête franceinfo "Un conseiller m’apprend que je dois 16 000 euros, je suis abasourdie" : quand des chômeurs doivent rembourser Pôle emploi

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17min
Article rédigé par franceinfo - Cécile Hautefeuille
Radio France

Près d’un milliard d’euros ont été versés à tort par Pôle emploi à des chômeurs. Enquête sur une cascade d’erreurs qui peuvent tourner au cauchemar pour les demandeurs d’emploi.

En 2016, plus de 981 millions d’euros ont été versés à tort à des demandeurs d’emploi selon l’Unédic, le gestionnaire de l’assurance chômage. Cela n’a rien à voir avec de la fraude. Il s’agit bien de sommes versées par erreur par Pôle emploi. On les appelle des "trop-perçus" que les demandeurs d’emploi doivent rembourser.

Quand ils l’apprennent, c’est souvent un choc. C’est ce qui est arrivé à Nathalie en 2017. Inscrite depuis plusieurs années à Pôle emploi, elle cumule allocations chômage et maigres revenus non-salariés, issus de son statut de micro-entrepreneur. Quand elle demande un rendez-vous à Pôle emploi pour faire une banale demande de formation, elle n’imagine pas une seconde ce qui va lui tomber dessus. "Un conseiller m’apprend que je dois 16 000 euros. Je suis abasourdie. Il me demande mes avis d’imposition et le lendemain, le montant passe à plus de 20 400 euros ! Ce monsieur a quand même la présence d’esprit de m’expliquer que l’erreur ne vient pas moi."  

Un courrier de Pôle emploi... jamais envoyé 

D’où vient cette erreur ? L’explication, surréaliste, est donnée quelques jours plus tard, via des échanges de mails avec son conseiller. Nathalie découvre que depuis plusieurs années, elle ne s’enregistre pas correctement, chaque mois, auprès de Pôle emploi (dans le jargon, on parle d’"actualisation") mais que personne ne l’a prévenue ! Lors de cette procédure mensuelle obligatoire, le demandeur d’emploi doit dire s’il a travaillé, fait une formation ou un stage et s’il est toujours à la recherche d’un travail. Nathalie a toujours scrupuleusement respecté la procédure qu’on lui avait dictée : "Je devais déclarer zéro heure de travail, quel que soit le volume d’activité. J’envoyais ensuite mes bilans financiers et tous les trimestres, Pôle emploi vérifiait ce que j’avais réellement gagné."

Sauf qu'en 2013, la procédure a changé sans que personne ne la prévienne. Les mois où elle travaillait, elle aurait dû déclarer une heure au lieu de zéro. "Ça se joue à un chiffre dans une case, c’est quand même hallucinant" peste Nathalie. Son conseiller a reconnu qu’elle aurait dû recevoir un mail il y a quatre ans, qui n’a jamais été envoyé.

Les conseillers de Pôle emploi reconnaissent eux-mêmes que des mails n'ont pas été envoyés pour avertir des changements de procédures. (Cellule investigation / Radio France)

Mais ce témoignage n’explique pas à lui seul le problème des trop-perçus. L’éventail des erreurs est très large. En 2017, l’Unédic s’est inquiété de la hausse des trop-perçus réclamés. Un audit a été commandé et a apporté une réponse assez précise. "Quand on creuse un peu, explique Rémy Mazzocchi, en charge de la gestion des risques, on s’aperçoit que dans 80% des cas, ces trop-perçus sont liés à des situations de cumul allocation chômage et emploi."    

Un "prêt à taux zéro" pour les coups durs 

Car il faut effectivement savoir que parmi les inscrits à Pôle emploi, ils sont des millions à travailler, parfois quelques jours ou quelques heures par mois. Ces personnes ont alors le droit de cumuler des allocations chômage et le salaire issu de cette activité réduite. Or, quand un demandeur d’emploi qui a travaillé doit s’actualiser en fin de mois, il ne sait pas toujours précisément quel est le montant de son salaire. C’est pour cette raison que Pôle emploi réalise un paiement provisoire, en attendant de recevoir la fiche de paie. "À ce moment-là, on peut avoir une différence entre le montant déclaré et le montant réel, détaille Elisabeth Gueguen, directrice de la réglementation et de l’indemnisation à la Direction générale de Pôle emploi, ce qui peut déclencher un trop-perçu." 

On n’est pas loin de la fraude, mais tant que ces personnes acceptent de rembourser, je ferme les yeux

Un directeur d'agence Pôle emploi

à franceinfo

Il arrive aussi que des demandeurs d’emploi fassent une erreur en inscrivant le montant ou oublient de déclarer un changement de situation. Il y a donc ceux qui font des erreurs involontaires et d’autres, qui le font sciemment ! C’est ce que révèle le directeur d’une agence Pôle emploi, qui souhaite préserver son anonymat : "Certains demandeurs d’emploi font de fausses déclarations sur les montants réels de leur activité. C’est un peu comme un prêt à taux zéro qu’ils s’accordent quand ils ont besoin de quelques centaines d’euros pour faire face à un coup dur."  

Des sous-traitants privés qui commettent des erreurs

L’erreur peut aussi venir des entreprises privées qui travaillent pour Pôle emploi. Ce sont en effet des prestataires qui saisissent les fiches de paie ou les attestations employeurs envoyées chaque mois par les demandeurs d’emploi. Et ils peuvent se tromper sur les montants. Ou mal interpréter certaines données, comme le reconnait ce directeur d’agence qui tient à rester discret : "L’intérêt de cette sous-traitance, c’est que le personnel de Pôle emploi gagne du temps pour accompagner les demandeurs d’emplois. L’inconvénient, c’est que le prestataire n’a pas l’expertise de notre métier. Il suffit d’une situation un peu complexe pour qu’un bug soit possible. Par exemple, si un demandeur d’emploi envoie, pour le même mois, un arrêt maladie et une fiche de paie, ça peut générer une incohérence."

Mais à cela, la direction de Pôle emploi répond que les prestataires sont très contrôlés et que l’erreur est humaine : "Si on demandait à un de nos agent de faire les saisies de bulletins de salaire, on n’atteindrait jamais le taux d’erreur zéro", ajoute Elisabeth Gueguen, chargée de l’indemnisation au sein de Pôle emploi. À propos des erreurs de saisies, nous avons eu accès à un document interne qui retrace les "remontées d’anomalies de saisies". On y voit clairement que les erreurs les plus fréquentes concernent l’emploi et le salaire.

Pôle emploi reconnait dans un rapport interne la saisie en doublon, à l'origine de nombreuses erreurs. (Cellule investigation / Radio France)

Il arrive aussi que les prestataires privés saisissent un bulletin de paie deux fois. Conséquence : le salaire est enregistré en double dans le système informatique et cela déclenche automatiquement un trop-perçu alors qu'en réalité, c'est Pôle emploi qui doit de l'argent au demandeur d'emploi ! "Nous avons des exemples multiples de cas où le trop-perçu n'existe pas et où c'est Pôle emploi qui n'a pas assez versé d’argent" détaille d'ailleurs Rose-Marie Péchallat, conseillère Pôle emploi à la retraite et animatrice du forum Recours radiation, un site d'entraide pour les chômeurs (un million de visiteurs par an).

Un trop-perçu doit pouvoir être démontré. Il faut être tenace et faire valoir son droit à obtenir cette information

Rose-Marie Péchallat, animatrice du forum Recours radiation

à franceinfo

D'après elle, "cela nécessite l'intervention de conseillers qui maîtrisent le sujet !" Et justement, ces experts en indemnisation, les agents les plus compétents pour gérer les trop-perçus, seraient de moins en moins nombreux, si l'on en croit un syndicaliste SNU-Pôle emploi qui témoigne de manière anonyme. "Ce type de métier est en décroissance, ce n'est plus une priorité pour la direction. On préfère tout miser sur l'accompagnement."

Jusqu’à 10 mails d’assistantes maternelles par jour

Il existe une profession particulièrement touchée par le problème des trop-perçus : les assistantes maternelles. D’ailleurs, dans son rapport publié en 2017, le médiateur national de Pôle emploi, qui est totalement indépendant de l’institution, leur consacre plusieurs pages et interpelle la direction de Pôle emploi sur ce "problème récurrent". Un problème que connaît très bien Sandra Onyszko de l’Ufnafaam, fédération d’assistantes maternelles, pour alerter depuis très longtemps sur le sujet. Elle a déjà écrit deux fois à des ministères, sans réponse. Des mails d’assistantes maternelles qui se voient notifier des trop-perçus, elle en reçoit "entre trois et dix par jour ! Et bien souvent, elles ne comprennent même pas pourquoi on leur réclame de l'argent, on leur demande simplement de rembourser". 

Pourquoi cette profession est-elle particulièrement touchée ? Parce que les assistantes maternelles ont rarement un seul employeur et doivent jongler entre différents contrats. Quand il faut actualiser sa situation tous les mois, ce n’est pas toujours évident de bien renseigner toutes les cases, de ne pas commettre d’erreur. D’autant que certaines s’estiment mal accompagnées par Pôle emploi. Sabrina est assistante maternelle dans l’Hérault et elle se souvient en détail d’une conversation qu’elle a eu avec une conseillère. "Je suis arrivée avec des dizaines de contrats et de fiches de paie. La dame m’a demandé pourquoi il y en avait autant. Je lui ai expliqué le fonctionnement de mon métier et elle était très étonnée ! Comment voulez-vous qu’ils nous expliquent comment s’actualiser si eux-mêmes ne connaissent pas notre métier ?"  

Des assistantes maternelles racontent sur Facebook leurs déboires de trop-perçus avec Pôle emploi. (Cellule investigation / Radio France)

Alors face à toutes ces critiques, Pôle emploi a décidé de réagir. Depuis décembre 2017, des conseillers sont spécialement détachés pour aller à la rencontre des assistantes maternelles sur le terrain et faire de la pédagogie. Un guide en forme de mode d’emploi commence également à être distribué. "Le but c’est de rassurer tout le monde" assure la direction. De son côté, l'Unédic s'est "inquiété" de la hausse du nombre des trop-perçus constatés (+ 13,2 % entre 2015 et 2016) et un groupe de travail a été lancé, en lien avec Pôle emploi, pour "décortiquer et sans doute simplifier les procédures." Des procédures encore trop méconnues des demandeurs d'emploi. Un rapport du CEET, centre d’études de l’emploi et du travail, pointait en 2016 la méconnaissance du dispositif de cumul emploi / allocations chômage et le manque criant d’information dont disposent ceux qui peuvent en bénéficier.  

Les demandeurs d'emploi ne connaissent pas certains droits liés à leur assurance chômage.  (Cellule investigation / Radio France)

Effacement total ou partiel de la dette  

Et le remboursement dans tout ça ? C'est là aussi un sujet de préoccupation pour l'Unédic, gestionnaire de l'assurance chômage. En 2016, le taux de recouvrement a dégringolé : 57,2 % contre 61,8 % en 2015. Soit : 361 millions d'euros qui n'ont pas été récupérés. Pôle emploi et l’Unédic estiment que cette dégradation est la conséquence d'une décision du Conseil d’État en octobre 2015. Elle a empêché Pôle emploi de faire des retenues sur les allocations des demandeurs d'emploi pour se rembourser. La loi El Khomri a finalement annulé cette décision et donné plus de temps aux demandeurs d’emploi pour faire des recours (deux mois). Durant ce laps de temps, Pôle emploi n'a pas le droit de se servir sur les allocations, ce qui explique également que les sommes mettent plus de temps à être récupérées.

Jusqu'à 650€, le directeur peut effacer la dette

Il faut aussi savoir qu’un demandeur d'emploi peut demander un effacement partiel ou total de son trop-perçu. Déjà, en dessous de 77 euros de trop-perçu : on ne vous demande pas de rembourser. C’est une "admission en non-valeur", une somme définitivement perdue pour l’assurance chômage. Ensuite, jusqu’à 650 euros c’est le directeur d’agence qui a le pouvoir d’annuler la dette. Ce directeur d’agence anonyme n’hésite pas à le faire : "Personnellement je regarde de près la situation de la personne : si elle est criblée de dettes, si elle est dans une situation difficile alors j'efface tout ou partie du trop-perçu. Mon autre ligne de conduite, c’est d’effacer la dette si elle est due à une erreur de Pôle emploi. Quand l’erreur vient de chez nous, il faut effacer."  

"On nous marche dessus. On est laminé"

 Au-delà de 650 euros, ce sont les instances paritaires régionales qui statuent sur l’effacement de la dette. Elles sont composées de représentants patronaux et syndicaux. En 2016, 67 % des demandes de remises de dette ont été rejetées. La solvabilité du demandeur et l'origine du trop-perçu sont les deux principaux critères qui sont examinés si l'on en croit l'Unédic. Nathalie, qui avait un trop-perçu de 20 000 euros, est parvenue à faire annuler sa dette à force de courriers, de contacts avec le correspondant du défenseur des droits dans sa région. Soulagée, Nathalie reste écœurée par la méthode. "Pendant cinq mois j’ai écrit des courriers de recours et je n’ai jamais eu de réponse, pas même un accusé de réception ! Et puis un jour, miracle, un mail m’annonce que la dette est annulée. Un courrier très banal. Pas de signature. Aucune excuse. Cinq mois sans dormir et puis ce courrier impersonnel. On est traité comme des moins que rien. On nous marche dessus, on est laminé."  

Mail de Pôle emploi reçu par Nathalie qui confirme l'effacement de sa dette. (Cellule investigation / Radio France)

Y a-t-il une pression de l'Unédic sur Pôle emploi pour récupérer davantage d'argent ? Rose-Marie Péchallat, du site Recours radiation, le soupçonne. "Ce qu'on remarque, c'est que des trop-perçus qui sont normalement prescrits au bout de trois ans basculent comme par hasard sur une accusation de fraude. Ça laisse plus de temps à Pôle emploi pour poursuivre la personne puisqu'en cas de fraude, la prescription est de 10 ans !" Une accusation sans fondement pour la direction de Pôle emploi, qui est catégorique : "Nous démentons formellement. Il n'existe aucune pression, ni recommandation, ni demande, ni même simple suggestion de l'Unédic visant à ce que Pôle emploi transforme des trop-perçus en fraude."

Ce qui est certain, c'est que, dans les "indicateurs stratégiques" de l'Unédic, il existe bien un objectif chiffré de pourcentage de sommes à récupérer : 66 %. Dans son dernier rapport sur l’année 2017, qui vient d’être rendu public, le médiateur de Pôle emploi, Jean-Louis Walter, parle d’une "culture de négation de l’erreur", qui est "fermement ancrée" à Pôle emploi. Selon le médiateur, "l’erreur de Pôle emploi" reste un tabou et "camoufler l’erreur demeure un réflexe de sauvegarde." Il appelle Pôle emploi à "reconnaître et assumer ses erreurs", qui sont "inévitables.

"Reconnaître et assumer" : extrait du dernier rapport du médiateur national de Pôle emploi sur l'année 2017. (Extrait du rapport du médiateur de Pôle emploi)

Selon le médiateur, les réclamations autour des trop-perçus représentent 19 % du nombre total de saisines. C’est le deuxième motif de réclamation, juste après le droit à l’indemnisation. 

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