"Il faut une médecine préventive pour les chômeurs"
Comment veiller à la santé des chômeurs français ? Entretien avec le psychiatre Michel Debout, qui réclame la mise en place d'un dispositif préventif pour cette population à risques.
Publiés mardi 27 janvier, les chiffres du chômage de décembre ne changeront pas la donne : la France compte désormais plus de cinq millions de chômeurs toutes catégories confondues. Une population qui fait face à des risques sanitaires plus importants que celle des actifs en emploi, selon le psychiatre Michel Debout.
Ce membre de l'Observatoire national du suicide (ONS, créé par le ministère de la Santé) a publié, à la mi-janvier, un livre pour dénoncer Le traumatisme du chômage (éditions de l'Atelier / Fondation Jean-Jaurès). Entretien avec ce médecin qui prône la mise en place d'un dispositif de médecine préventive pour les chômeurs.
Francetv info : Pourquoi affirmez-vous que les chômeurs ont une santé plus fragile que les actifs ayant un emploi ?
Michel Debout : Cette observation a été réalisée depuis bien longtemps. Dès les années 1930, on a constaté une hausse des suicides au cours des années qui ont suivi la crise de 1929. J'ai essayé très tôt d'alerter les pouvoirs publics sur les conséquences sanitaires de la crise économique de 2008.
Dans une étude, relayée en février 2012 par Le Monde, j'ai estimé qu'entre la fin 2008 et la fin 2011, la crise avait probablement provoqué environ 750 suicides. Une surmortalité corrélée à la poussée du chômage : pendant cette période, 650 000 chômeurs de plus avaient été enregistrés.
L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié, il y a un mois, des chiffres confirmant cette évaluation. Près de 600 suicides pourraient être attribués à la hausse du chômage en France entre 2008 et 2010, selon cette étude publiée dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l'Institut de veille sanitaire (InVS).
Quels sont les risques qui pèsent sur les chômeurs ?
Le risque pour la santé n'est pas seulement psychique, il est global. Ceux qui ont connu un an de chômage, entre 30 et 60 ans, verraient ainsi leur espérance de vie se réduire d'environ un an, selon l'Inserm. Les récents résultats de l'enquête Santé et itinéraire professionnel du ministère de la Santé confirment la relation étroite entre chômage et santé, quel que soit l'âge. Un homme au chômage fait face à un risque annuel de décès plus élevé qu'un actif en emploi du même âge. C'est évidemment une moyenne.
La perte d'un emploi entraîne une fragilisation. Le chômeur risque de développer de l'hypertension, un infarctus ou des maladies chroniques. Sans oublier les risques psychiques : la sidération, la perte de sommeil, d'affectivité ou la dévalorisation, qui entraîne une perte de confiance en soi et peut s'installer sur une très longue période. Cela s'appelle une dépression. Attention, ces risques ne concernent pas uniquement les personnes victimes de licenciements économiques ou de plans sociaux médiatisés. Les artisans, exploitants agricoles ou commerçants qui perdent leur activité sont aussi concernés. Signalons, enfin, que les chômeurs peuvent se retrouver en état de stress avancé.
C'est-à-dire ?
J'ai vu un jour quelqu'un de désespéré, alors qu'il venait d'avoir un accident sans conséquence. "Je suis au chômage et je partais à la recherche d'un emploi quand j'ai eu mon accident", m'a-t-il expliqué. Il a ajouté : "Le fait d'avoir manqué ce rendez-vous, c'est comme si la terre s'était écroulée. J'ai un revolver, si je n'arrive pas à m'en sortir, je sais ce qu'il me reste à faire." Cette personne était au chômage depuis huit mois, avec des dettes. Il avait le sentiment qu'il n'y avait pas de futur possible pour lui.
Faut-il davantage de prévention ?
La prévention n'est pas assurée parce que personne ne s'y intéresse ! Quand on perd un emploi, on ne bénéficie plus de la médecine du travail qui assure cette mission de prévention. Il devrait y avoir une consultation médicale obligatoire dans les deux à trois mois qui suivent un licenciement. Et un suivi médical à partir de ce moment-là, s'il existe un risque prévisible de décompensation rapide. Il faut aussi donner une information précise aux chômeurs concernant les symptômes qui doivent les alerter.
Il faut surtout leur dire qu'on se préoccupe d'eux, et ce n'est pas rien. Cela leur permet de garder le lien social. Il est aussi plus facile de retrouver un emploi si l'on veille à sa santé. Mais attention, ce dispositif de prévention doit être un accompagnement, pas un contrôle ou un guichet supplémentaire dans le parcours déjà compliqué du chômeur.
Ce dispositif vous semble-t-il urgent ?
Oui, parce qu'il y a un risque patent. On a trop attendu. Rappelons qu'il a fallu vingt ans pour que soit mis en place, en septembre 2013, l'Observatoire national du suicide (ONS), que je réclamais depuis si longtemps.
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