: Info franceinfo Manque d'effectifs, retour à l'emploi limité... Un député constate "un dysfonctionnement évident" de Pôle emploi
Dix ans après la création de Pôle emploi, le député Les Républicains, Stéphane Viry, a mené une mission d'information "flash" sur l'opérateur. Franceinfo révèle en exclusivité les conclusions de ce rapport, qui sont présentées mardi à l'Assemblée nationale.
Il a souhaité, avec ce travail, obtenir des réponses sur "l'efficience" du service public de l'emploi. Le député Les Républicains de la première circonscription des Vosges, Stéphane Viry, a mené une mission d'information "flash" sur le fonctionnement — et les dysfonctionnements — de Pôle emploi, dix ans après sa création, avec la fusion de l'ANPE et l'Assedic.
L'idée lui est venue dans la lignée d'une grève à Pôle emploi fin novembre, dénonçant des suppressions de postes au sein de l'opérateur. Après trois semaines d'enquête et d'auditions, Stéphane Viry rend ses conclusions à la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, mardi 19 février. S'il estime que la naissance de Pôle emploi a été "une réelle avancée pour les demandeurs d'emploi et les entreprises", le député LR pointe néanmoins un "dysfonctionnement évident de notre service public de l'emploi". Franceinfo révèle en exclusivité les grandes lignes de son constat, et ses principales recommandations.
Une modernisation réussie...
C'est la première conclusion du député Stéphane Viry. En une décennie, "Pôle emploi a démontré sa capacité à se moderniser pour améliorer le service rendu aux usagers", constate l'élu dans le texte qu'il adresse à la commission des Affaires sociales. Il salue une "offre de services" de l'opérateur qui s'est "largement étoffée", avec la fusion entre l'ANPE — chargée de l'accompagnement des demandeurs d'emploi — et l'Assedic, chargée de leur indemnisation.
Globalement, c'est un opérateur qui a réussi à se positionner, et à se moderniser. En dix ans, je dis 'bravo'.
Stéphane Viry, député Les Républicains des Vosgesà franceinfo
Stéphane Viry évoque un "tournant du numérique" bien engagé, et plusieurs nouvelles missions qui vont dans le sens d'un meilleur service. Le député LR cite la mise en place de différents niveaux d'accompagnement des chômeurs, en fonction de leur autonomie et de leurs difficultés. Il relève aussi la "modernisation des modalités d'accueil en agence", de "nouveaux services pour l'accès à la formation" ou encore la mise en place d'une mission de "conseil en évolution professionnelle".
"La différenciation des portefeuilles des conseillers et la dématérialisation de l'offre de services permet de consacrer plus de temps aux demandeurs d'emploi les moins autonomes", constate l'élu. Ce dernier juge en parallèle que le nouvel accueil des chômeurs, avec des rendez-vous et la mise en place d'un "conseiller référent", est source d'une "meilleure personnalisation de la réponse" offerte aux usagers. Globalement, avec en parallèle un management plus "déconcentré", Pôle emploi "a réalisé des gains de productivité qui lui ont assurément permis de gagner en efficience", estime Stéphane Viry.
... mais des conditions de travail "dégradées"
Mais ces gains de productivité "ont été poussés à leur maximum", tempère le député. Dans ses conclusions, Stéphane Viry s'inquiète de la charge de travail très importante des agents de Pôle emploi, conséquence des nouvelles missions et du manque de moyens humains au sein de l'opérateur.
Les agents de Pôle emploi sont assez remarquables dans leur volonté de faire, ils sont dévoués. Mais ils peuvent s'user plus vite que prévu.
Stéphane Viry, député Les Républicains des Vosgesà franceinfo
"Le volume de leurs portefeuilles ne leur permet pas d'accomplir sereinement l'ensemble des missions qui leur incombent", affirme l'élu. Les conseillers en "suivi" — pour les demandeurs d'emploi les plus autonomes — accompagnent en moyenne 349 chômeurs. Ceux travaillant sur l'accompagnement "guidé", c'est-à-dire régulier, aident en moyenne 216 personnes, alors que Pôle emploi évoque un portefeuille de 150 chômeurs maximum sur son site. Même constat pour l'accompagnement "renforcé", qui concerne les personnes "les plus éloignées de l'emploi" : les agents y aident 100 personnes en moyenne, contre un portefeuille maximum annoncé de 70 demandeurs d'emploi.
Ce portefeuille moyen a d'ailleurs augmenté de 23% en deux ans, souligne Stéphane Viry. Avec "l'élargissement continu des missions et des publics bénéficiaires de Pôle emploi", et "faute d'une réévaluation des moyens budgétaires et humains à due proportion, la charge de travail des conseillers est mécaniquement augmentée", regrette le député. "Le sentiment d'une importante dégradation de leurs conditions de travail et, par conséquent, d'une forte détérioration du service rendu aux usagers, est très répandu", analyse-t-il.
Un manque de suivi et une efficacité "limitée"
Pour évoquer ce service "trop souvent dégradé", Stéphane Viry évoque deux chiffres révélateurs. En 2016, deux chômeurs sur trois "suivis" n'avaient toujours pas eu d'entretien avec leur conseiller, quatre mois après leur inscription à Pôle emploi. Cinq mois après leur inscription, un chômeur sur quatre en accompagnement "renforcé" n'avait pas encore eu ce premier entretien.
Si leur taux de satisfaction est d'environ 75%, "de nombreux demandeurs d'emploi déplorent l'absence d'accompagnement ou la mauvaise orientation qui leur est proposée", résume le député. Régulièrement, "les offres ne correspondent pas exactement à leur profil", ou "les formations ou prestations d'accompagnement qui leur sont proposées ne leur paraissent pas adéquates". Des "retours négatifs", qui sont aussi "légion" parmi les entreprises, poursuit-il. Stéphane Viry explique cela par le manque de contacts, et parfois de confiance, entre l'opérateur et les employeurs.
Il faut une connexion très directe entre les entreprises, qui connaissent bien les besoins en recrutement, et Pôle emploi, qui connaît bien ses demandeurs d'emploi. Aujourd'hui, ce contact est insuffisant.
Stéphane Viry, député Les Républicains des Vosgesà franceinfo
Conséquence de ce suivi incomplet, 45% des demandeurs d'emploi n'ont toujours pas retrouvé de travail "durable" après 18 mois au chômage, relève le député. S'il explique que Pôle emploi "n'est qu'un opérateur" et non "un régulateur du marché du travail", Stéphane Viry reconnaît, auprès de franceinfo, que "l'accès à l'emploi n'est pas bon" avec Pôle emploi.
"Cesser l'hémorragie des effectifs"
Il s'agit de la principale recommandation de Stéphane Viry. "Il est indispensable de cesser l'hémorragie d'effectifs et de les stabiliser pour les années à venir", insiste l'élu, alors que 800 postes devraient être supprimés à Pôle emploi en 2019, et 4 000 à horizon 2022, d'après les syndicats.
Le député constate qu'en dix ans, les effectifs de Pôle emploi n'ont augmenté que de 10%, et diminuent depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. En moins de deux ans, le service public de l'emploi a perdu quelque 1 200 équivalents temps plein travaillés (ETPT) avec la fin des contrats aidés, et plusieurs centaines d'autres postes.
Il s'inquiète aussi de l'ouverture aux droits au chômage des salariés démissionnaires et des indépendants. Selon la direction de Pôle emploi, cette réforme, à elle seule, nécessite entre 300 et 400 ETPT supplémentaires. Pour Stéphane Viry, "faire sans cesse plus ou mieux avec moins" n'est plus viable au sein de l'opérateur.
Un recours aux acteurs "privés" envisagé
L'élu LR appelle également à "un audit exhaustif" sur le recours aux opérateurs privés de placement au sein de Pôle emploi. Il constate que les informations à ce sujet sont difficiles d'accès, et qu'il existe "une très forte méfiance" des conseillers à l'égard de ces prestataires. Pourtant, "les retours des demandeurs d'emploi sur ces prestations (...) sont globalement très positifs", constate Stéphane Viry.
Le recours aux opérateurs privés ne devrait plus être un tabou.
Stéphane Viry, député Les Républicains des Vosgesà franceinfo
L'élu s'interroge sur le monopole de Pôle emploi en matière de retour sur le marché du travail. "S'il était challengé dans le cadre d'une large filière de l'emploi, avec peut-être d'autres opérateurs privés de l'emploi, peut-être qu'en France, on y gagnerait", suggère-t-il. Stéphane Viry ne sait pas encore, à ce stade, quelles seront les suites données à sa mission "flash". Mais "nous devons sans tarder apporter des correctifs pour faire de Pôle emploi le grand acteur du service public de l’emploi que nous avions imaginé", insiste-t-il dans son texte.
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