Triplement des contrôles des chômeurs : "Le problème principal aujourd'hui est que les employeurs refusent d'embaucher", réplique la CGT chômeurs et précaires

Le gouvernement a annoncé vendredi vouloir "considérablement accélérer les contrôles" des bénéficiaires de l'assurance chômage. Victoire Bech, membre de la direction nationale de la CGT chômeurs et précaires, dénonce "un mythe du chômeur qui ne souhaiterait pas travailler".
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Pôle emploi est devenu France Travail le 1er janvier 2024. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS)

En déplacement vendredi 1er mars dans les Vosges, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé que le gouvernement allait "considérablement accélérer les contrôles" des bénéficiaires de l'assurance chômage, avec un passage de 500 000 contrôles aujourd'hui à 1,5 million de contrôles par an d'ici fin 2027. "Le problème principal aujourd'hui est que les employeurs refusent d'embaucher", réplique Victoire Bech, membre de la direction nationale de la CGT chômeurs et précaires, invitée sur franceinfo.

franceinfo : Que pensez-vous des annonces faites par Gabriel Attal, pensez-vous qu'elles vont dans le bon sens ?

Victoire Bech : Ces annonces vont dans la droite ligne de ce qui se fait depuis plusieurs années, puisque les contrôles ont drastiquement augmenté ces dernières années et les radiations qui allaient avec également. Nous sommes totalement opposés à cette mesure qui consiste, encore une fois, à aller regarder du côté des chômeurs pour justifier du chômage de masse. Alors que le problème principal est que les employeurs refusent d'embaucher ou qu'ils embauchent dans des conditions de précarité, de dégradation des conditions de travail et des salaires qui expliquent, en grande partie, la précarité des travailleurs. Les travailleurs précaires représentent une part importante des allocataires de l'assurance chômage.

Mais ces réformes n'ont-elles pas aidé à faire baisser le taux de chômage ?

Si vous regardez le rapport intermédiaire que vient de rendre la Dares [département des statistiques du ministère du Travail] au sujet des réformes de l'assurance chômage de 2019, il a indiqué que ces réformes ont créé, en tout et pour tout, 22 000 postes. Ce qui fait qu'aujourd'hui, ce n'est absolument pas les réformes de l'assurance chômage qui ont créé les postes mais bien le fait qu'on qualifie un contrat d'une journée comme une reprise de travail. La baisse du taux de chômage est liée à l'obligation qui est faite aux chômeurs d'accepter n'importe quel emploi, y compris des contrats d'une heure par mois, et lorsqu'ils ont du travail ne serait-ce qu'une heure, ils ne sont plus comptabilisés dans les chiffres du chômage. Par conséquent, il faut interroger la réalité des chiffres qui sont avancés par le gouvernement et par le Bureau international du travail puisqu’aujourd'hui, les chiffres du BIT excluent de facto un très, très grand nombre de travailleurs privés d'emploi et de précaires. Ça permet au gouvernement de minimiser le caractère systémique du chômage et surtout la très grande responsabilité des employeurs dans ce phénomène de masse. Des employeurs qui ne veulent pas ou ne cherchent pas à embaucher.

Pourtant, beaucoup d'employeurs dans des secteurs en tension, comme le bâtiment, l'hôtellerie ou la restauration, se plaignent de ne pas réussir à embaucher. N'y a-t-il pas là, une responsabilité des chômeurs ?

Les études de Pôle emploi démontrent le contraire. En février 2021, il y avait 6 % d'offres qui n'avaient pas été pourvues. Et parmi ces 6 %, toutes avaient reçu des candidats. Si ces offres n'avaient pas été pourvues, c'était pour trois raisons. La première, c'est l'absence de candidats avec des qualifications suffisantes. La deuxième, l'absence de candidats avec une motivation suffisante, c'est une notion qui reste encore à définir. Et la troisième, c'était l'abandon de recrutement en raison de l'annulation du besoin de recrutement. Donc, en réalité, aujourd'hui, pour toutes les offres d'emploi qui apparaissent sur le site de Pôle emploi [ou France Travail depuis le 1er janvier 2024], on trouve des candidats. Ce sont bien les employeurs qui refusent les candidats qui se présentent.

Les négociations autour de l'emploi des seniors sont au point mort, êtes-vous inquiète d'un coup de rabot des indemnités chômage des seniors ?

Les négociations seniors qui sont en cours indiquent très clairement que le droit à l'indemnisation des seniors va être revisité à la baisse de manière extrêmement drastique puisque tous les dispositifs dérogatoires au régime normal qui touchaient les plus de 55 ans vont être supprimés. Le gouvernement a d'ailleurs indiqué que si les négociations n'aboutissaient pas dans ce sens-là, il reprendrait la main avec une lettre de cadrage et légiférer par décret ou par loi, alors même qu'on est dans un contexte où tous les seniors peuvent le dire : à partir de 50 ans, trouver un emploi devient le parcours du combattant. Donc aujourd'hui, on nous présente un projet de nouveau CDD senior qui revient peu ou prou à faire financer les emplois des travailleurs de plus de 50 ans par les cotisations sociales, donc par l'Unédic, par le budget de l'État ou par le biais de subventions très importantes et de suppressions de cotisations sociales.

Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, a justifié qu'en indemnisant un peu plus longtemps les seniors, on ne les incitait pas à reprendre le travail. Vous contestez cette affirmation ?

Je conteste tout à fait ce diagnostic puisque la plupart des seniors sans emploi sont totalement désespérés par la situation. En réalité, c'est bien les employeurs qui ne veulent pas embaucher ou qui veulent embaucher à leurs conditions à eux, c'est-à-dire qui refusent de payer le travail. On plonge une très grande partie de la population dans la pauvreté. C'est la volonté du patronat et du gouvernement de systématiquement pointer du doigt les chômeurs alors qu'en réalité le patronat crée un chantage extrêmement grand pour que le gouvernement légifère dans le sens d'une baisse drastique des salaires et des conditions de travail, vers plus de précarité, vers des salaires réduits, vers des salaires subventionnés par l'État ou encore par les cotisations sociales. C'est, selon nous, la seule et unique motivation de ces réformes. Il y a un mythe du chômeur qui ne souhaiterait pas travailler alors qu'en réalité, la situation de privation d'emploi en France aujourd'hui génère des troubles psychiques et un isolement social que peu de travailleurs peuvent tenir.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.