: Vidéo Elle devait améliorer les revenus des agriculteurs... La loi EGalim aurait-elle surtout profité à la grande distribution ?
Enfin, les agriculteurs, notamment les producteurs de lait, s'étaient sentis entendus par le gouvernement... C'était il y a dix-huit mois : lors de l'adoption de la loi EGalim, qui devait leur garantir une rémunération au juste prix. En encadrant les promotions dans la grande distribution, la loi a bel et bien permis de récupérer plus d'un milliard et demi d'euros. Mais où est passé l'argent ? Un extrait de "Complément d'enquête".
"Il n'est plus possible qu'en France, un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois. (...) Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix, qui doit pouvoir partir des coûts de production." Cette phrase prononcée par Emmanuel Macron aux Etats généraux de l'alimentation, en octobre 2017, et la loi EGalim qui l'a suivie ont suscité de grands espoirs chez les agriculteurs. Depuis des années, ils se battaient pour la prise en compte de ces fameux coûts de production. Ils ont vite été déçus.
Christine et Jean-Michel dirigent une organisation de producteurs de lait. Ce sont eux qui négocient le prix de vente du litre avec l'acheteur (Lactel, filiale du géant Lactalis). Mais dans la chaîne du lait, après l'industriel, il y a le distributeur. Laure Pollez, journaliste à "Complément d'enquête", les rejoint dans une grande surface, avec un économiste qui travaille avec eux.
Sur une bouteille vendue en rayon 80 centimes, explique-t-il, l'industriel empoche 37 centimes, et le magasin 16. Pour améliorer le revenu des agriculteurs, ne faudrait-il pas augmenter le prix en rayon ? Les hypermarchés n'y tiennent pas, pour des raisons exposées par l'économiste : "Le distributeur ne veut pas l'inflation. Donc il bloque, en rayon, toute augmentation tarifaire de l'industriel. De l'autre côté, la tentation, pour l'industriel, c'est de se faire une marge à l'achat, sur les éleveurs."
Quelques gouttes de lait "équitable" dans un océan de misère
Que penser alors des initiatives vertueuses telles que ces laits équitables ? Vendus près de 1 euro la bouteille, ils affichent jusqu'à 45 centimes reversés à l'éleveur. Soit davantage que le graal de 40 centimes souhaité par la profession (contre 34 centimes actuellement)… Pourtant, ces bouteilles ne représentent que quelques gouttes de lait dans un océan de misère, "des volumes ridicules par rapport à la taille du linéaire", selon l'économiste. Pour lui, "industriels et distributeurs se donnent une bonne image en vendant ce lait".
La loi EGalim n'aurait donc rien changé au rapport de force entre producteurs et grande distribution ? En limitant drastiquement les promotions dans les magasins, elle a pourtant permis de récupérer 1,6 milliard d'euros en deux ans – censés être redistribués aux éleveurs. Mais où est passé cet argent ?
Industriels et distributeurs se renvoient la balle
Laure Pollez a posé la question à une brochette d'industriels et de distributeurs réunis ce soir-là au ministère de l'Ecologie. Danone, Lactalis, Leclerc, l'ANIA (Association nationale des industries agroalimentaires)… tout l'agroalimentaire est là. Mais le "magot", personne n'a envie d'en parler. Tout le monde se renvoie la balle. Pour le président de l'ANIA, il ne peut être, "mathématiquement", que dans la grande distribution, car "c'est elle qui encaisse cet argent".
La loi EGalim manquerait-elle d'un gendarme pour obliger les géants à redistribuer ? "Aucun mécanisme n'était prévu. Où ils ont vu que la grande distribution, quand elle faisait des profits, elle les reversait naturellement aux caissières ou bien aux agriculteurs ?" s'interroge le député (LFI) François Ruffin, pour qui le résultat de la loi EGalim est clair : "En fait, on a augmenté les marges de la grande distribution."
Extrait de "EGalim : juste prix ou loi pour rien ?", un reportage à voir dans "Complément d'enquête" le 27 février 2020.
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