Menu sans viande à la cantine : on a passé sur le gril les arguments des détracteurs du maire de Lyon
Alors que Grégory Doucet a instauré un menu unique sans viande dans les cantines de sa ville pour des contraintes sanitaires, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une mesure "sectaire" et "idéologique". Mais ces arguments sont-ils défendables ?
"Une honte !" Le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, n'a pas mâché ses mots en réagissant, mardi 23 février, sur RTL, à la décision de la mairie de Lyon (Rhône) de fournir provisoirement des menus uniques sans viande dans les cantines. "Qui peut comprendre qu'aujourd'hui, dans les cantines de la République, on arrête de servir de la viande tous les jours de la semaine ? Evidemment, moi je ne le comprends pas, mais comme beaucoup, beaucoup, de parents d'élèves", a-t-il tonné tandis que la polémique continue de diviser la classe politique, jusqu'au sein du gouvernement.
Pour la mairie de Lyon, dirigée par l'écologiste Grégory Doucet, supprimer l'option carnée et proposer un menu unique permet d'"accélérer le service" afin de mieux se plier aux exigences du nouveau protocole sanitaire contre le Covid-19. Une mesure d'ordre technique qui permettrait d'enchaîner plus de services pour compenser la réduction de l'accueil d'enfants du fait de la pandémie. Or, la justification n'a pas convaincu ses détracteurs, prêts à rivaliser d'arguments pour défendre la bidoche à la cantoche. Franceinfo décortique ces arguments.
Il s'agit d'une mesure "idéologique" : c'est discutable
Pour la droite lyonnaise, cela ne fait aucun doute : l'idéologie s'est invitée dans l'assiette. Pour l'élue LR Béatrice de Montille, "la majorité écologiste profite de la crise sanitaire pour faire passer des mesures idéologiques sans aucune concertation". Le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, a quant à lui dénoncé une "tentation totalitaire d'un courant de pensée qui veut imposer ses options à tous par la contrainte". Même le gouvernement s'est engouffré dans la polémique, par la voix du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lequel fustigeait sur Twitter une "idéologie scandaleuse".
Pourtant, le maire écologiste Grégory Doucet n'est pas le premier à opter pour cette mesure : dans la même perspective de gain de temps, l'ancien maire de la ville, très proche d'Emmanuel Macron, Gérard Collomb, avait pris la même décision à l'occasion de la première vague épidémique, sans susciter de remous dans la majorité présidentielle. "A l'époque, cela avait été reçu comme du pragmatisme, c'est aujourd'hui considéré comme 'dogmatique', 'sectaire' et 'idéologique'", fustige un communiqué d'Europe Ecologie-Les Verts. Interrogé par France Bleu, le cabinet du ministre de l'Agriculture s'est justifié, invoquant "une vraie différence de situation entre mai et maintenant. (...) Nous ne sommes plus dans une situation d'urgence, face à une situation exceptionnelle." Quant à Gérard Collomb, il a rejoint la manifestation des agriculteurs en colère organisée à Lyon lundi après-midi.
Pour la porte-parole d'EELV, Eva Sas, proche de Yannick Jadot, "il y a clairement une volonté de nuire, de nous dépeindre en idéologues et jusqu'au-boutistes". L'ancien marcheur Matthieu Orphelin, député écologiste du Maine-et-Loire, dresse une analyse similaire dans les colonnes de Libération : alors que l'écologie s'impose comme une préoccupation majeure des Français à l'approche de la présidentielle de 2022, les soutiens d'Emmanuel Macron "veulent tenter de montrer que d'un côté, il y a une écologie idéologique qui est celle d'EELV et l'écologie du progrès, que porterait LREM". "Typiquement, les menus végétariens dans les cantines scolaires sont un sujet sur lequel on devrait pouvoir débattre, remarque-t-il. Mais non, le gouvernement ne veut pas débattre de ça. Il veut juste cliver."
Les enfants de "familles modestes" ne mangent de la viande qu'à la cantine : c'est faux
"Pour les familles modestes, la cantine est souvent le seul lieu où les enfants peuvent manger de la viande dans la semaine", croit savoir Béatrice de Montille. Pour sa part, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a fustigé sur Twitter "la politique moraliste et élitiste des 'Verts' [qui ] exclut les classes populaires. De nombreux enfants n'ont souvent que la cantine pour manger de la viande".
En plus de l'insulte inacceptable aux agriculteurs et aux bouchers français, on voit bien que la politique moraliste et élitiste des « Verts » exclut les classes populaires. De nombreux enfants n'ont souvent que la cantine pour manger de la viande... Idéologie scandaleuse. https://t.co/gFGf0JWZKn
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) February 20, 2021
La viande n'est pourtant plus le marqueur social d'autrefois, comme le confirmait en 2013 une étude réalisée par le ministère de l'Agriculture : "Alors que la consommation de poisson reste plus fréquente dans les foyers plus aisés, celle de viande, jadis réservée aux catégories favorisées, est désormais plus importante dans le bas de l'échelle sociale." Ainsi, en 2007, "la consommation moyenne de produits carnés des cadres et professions libérales était de 112 g par jour tandis que celle des ouvriers s'élevait à 137 g par jour".
D'autres études, plus récentes, dressent un parallèle entre le niveau d'éducation et la consommation de viande. Ces travaux de l'Anses, datés de 2017 et rapportés par Le Monde, indiquent que la proportion de viande augmente dans les catégories qui ont arrêté l'école au niveau primaire et collège – et dont les revenus sont les plus faibles. Or, lorsque les enfants sont âgés de moins de 10 ans, leurs habitudes alimentaires sont corrélées au niveau d'étude de leur parent représentant, écrit Le Monde.
Par ailleurs, le baromètre du Secours populaire pointe la difficulté des plus précaires à se procurer une alimentation variée (viande inclue). Et ce, alors que "les élèves issus de familles défavorisées sont deux fois plus nombreux à ne pas manger à la cantine que les élèves issus de familles favorisées et très favorisées", selon le ministère de la Santé.
Les enfants ont "besoin de viande" pour grandir : c'est discutable
Dimanche, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a annoncé qu'il saisissait le préfet du Rhône à propos des menus sans viande dans les cantines scolaires lyonnaises. "Donnons-leur simplement ce dont ils ont besoin pour bien grandir. La viande en fait partie", écrivait-il sur Twitter. Pour le député et porte-parole de LREM, Jean-Baptiste Moreau, agriculteur de profession dans la Creuse, des "nutriments essentiels pour les enfants" sont présents dans la viande.
Le lendemain – première journée de l'application de la mesure –, les enfants ont découvert dans leur assiette une salade de haricots verts bio, du merlu sauce ciboulette, du chou vert et des pommes de terre, ainsi que de la crème anglaise et une compote, selon Le Parisien. Alors, assez équilibré pour les enfants ? "Il leur faut en particulier des protéines, des acides aminés. C'est vrai que la viande en fournit", remarque Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste, sur franceinfo.
"Mais des alternatives existent, comme les œufs, comme le poisson, mais également des protéines comme les pois chiches. Il y a du choix", poursuit ce spécialiste de l'alimentation. Ainsi, un repas végétarien ne va donc pas "empêcher" un enfant de grandir "dans la mesure où il est équilibré". "Il faut d'autres sources de protéines et essayer de bien comprendre le goût des enfants", conclut le nutritionniste.
Un menu carné peut être plus "écolo" qu'un menu sans viande : a priori, c'est faux
C'est un autre argument avancé dans un communiqué de la FDSEA du Rhône : celui de l'écologie via la promotion d'une filière française vertueuse. "Nos modèles d'élevages apportent une complémentarité agronomique, une biodiversité !" a ainsi réagi le syndicat agricole. "Je réitère mon étonnement sur le remplacement de la viande par le poisson et les œufs, dont les conditions de production sont souvent tout sauf écologiques", a opposé un internaute cité dans notre direct, tandis que d'autres vantaient les circuits courts.
Cependant – n'en déplaise aux amateurs de barbecue –, impossible de rivaliser avec la viande en termes d'émissions de gaz à effet de serre, et en particulier, avec la viande de bœuf. Comme l'explique le site Carbon Brief, qui détaille l'impact en terme d'émissions de gaz à effet de serre de l'alimentation, la part du transport est minime dans le calcul des émissions produites par l'élevage, au détriment d'autres facteurs, comme l'importation de la nourriture destinée à ses animaux.
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