: Reportage Ă Bordeaux, le vin sans alcool tente de se faire une place
Qui dit "Bordeaux" dit "vin", mais qui dit "vin" ne dit plus forcĂ©ment "alcool". La preuve, cette annĂ©e une unitĂ© de dĂ©salcoolisation trĂŽnait Ă l'entrĂ©e du salon Vinitech, rendez-vous mondial des professionnels de la vigne et du vin, qui se tenait Ă Bordeaux (Gironde), du 26 au 28 novembre. Si les ventes de vins alcoolisĂ©s ont diminuĂ© d'1,8% sur les huit premiers mois de l'annĂ©e 2024, les Ă©quivalents sans alcool ont vu leur chiffre d'affaires progresser de 28% sur la mĂȘme pĂ©riode.
Pour Coralie de BoĂŒard, fille d'un des grands noms du vin dans le bordelais, l'aventure a commencĂ© dĂšs 2019, lorsque les propriĂ©taires qataris du Paris Saint-Germain lui ont commandĂ© une version sans alcool du vin issu de sa propriĂ©tĂ©, le ChĂąteau Clos de BoĂŒard, Ă Montagne-Saint-Ămilion."J'ai eu ensuite besoin de deux ans et demi pour rĂ©aliser un produit qui correspondait Ă mes valeurs et Ă ce que j'avais envie de partager", se remĂ©more-t-elle. "Au dĂ©but, j'Ă©tais regardĂ©e d'un mauvais Ćil, j'ai tout entendu au sujet de ce vin dĂ©salcoolisĂ©". Mais le succĂšs est rapidement arrivĂ© : "On a commencĂ© la premiĂšre annĂ©e en en vendant 35 000, puis 45 000 et dĂ©sormais, c'est un volume de 80 000 bouteilles, ce qui reprĂ©sente Ă peu prĂšs un tiers de ma production."
Prince Oscar provient de ma grande cuvée traditionnelle sur ma propriété, de laquelle j'ai extrait l'alcool.
Coralie de BoĂŒard, propriĂ©taire du ChĂąteau Clos de BoĂŒardĂ franceinfo
Mais de quoi parle-t-on exactement ? "On l'appelle vin dĂ©salcoolisĂ©e puisqu'Ă la base, c'est un vin qui a rĂ©alisĂ© sa fermentation alcoolique, malolactique, son Ă©levage barrique, et juste avant la mise en bouteille on le retire des barriques pour en faire sa dĂ©salcoolisation. Une bouteille de Prince Oscar cĂŽte environ 25 euros en province, et environ 30 euros Ă Paris, c'est moins que mon vin traditionnel parce que je cherche Ă ce que le plus grand nombre de personnes arrivent Ă le partager autour d'une table." Et ce malgrĂ© des coĂ»ts plus importants : transport vers le lieu de dĂ©salcoolisation, dĂ©salcoolisation en elle-mĂȘme, mise en bouteille Ă l'extĂ©rieur puis retour au domaine. L'expĂ©rience reste tout de mĂȘme payante. "Aujourd'hui, on se rend compte que c'est une des solutions qui peut ĂȘtre visĂ©e face Ă des circonstances Ă©conomiques compliquĂ©es" pour le monde viticole, confie la productrice.
Comment dĂ©salcoolise-t-on un vin ? "D'abord, il y a nanofiltration pour sĂ©parer la partie noble (le tanin, les polyphĂ©nols, les colorants, les arĂŽmes et les acides) du permeat, qui lui se compose de l'eau et de l'alcool", dĂ©taille Massimo Pivetta, responsable monde process vinicole et Ćnologie pour l'entreprise Omnia Technologies. Le permeat est ensuite introduit dans une unitĂ© de dĂ©salcoolisation pour sĂ©parer l'alcool de l'eau. Un processus assez rapide, qui prend entre 30 et 60 secondes. "Ensuite, l'eau est rĂ©introduite avec la partie solide, pour donner le vin dĂ©salcoolisĂ©. De son cĂŽtĂ©, l'alcool concentrĂ© Ă 85/90° peut ĂȘtre utilisĂ© pour produire des gins, whisky ou cognacs", poursuit-il.Â
Nous travaillons sur ces solutions depuis plus de vingt ans
Massimo Pivetta, Omnia TechnologieĂ franceinfo
"Nous travaillons sur ces solutions depuis plus de vingt ans avec une cave prÚs de Béziers", explique Massimo Pivetta. Car si le vin sans alcool n'émerge que depuis quelques années, des solutions pour réduire l'alcoolémie de certains vins sont à l'étude depuis plus longtemps, notamment dans le sud, pour ne pas commercialiser de vins trop forts. Des unités qui coûtent chez Omnia Technologies entre 250 000 et un million d'euros, pour des capacités de désalcoolisation de 2 500 à 40 000 litres par jour.
Les pĂ©tillants en tĂȘte des ventes
Pourrez-vous boire du Champagne sans alcool pour les fĂȘtes ? La rĂ©ponse est non ! "Tout dĂ©pend du cahier des charges de chaque appellation" rappelle Cyril Egoroff, directeur gĂ©nĂ©ral d'Effevent, basĂ©e Ă Reims, qui Ćuvre Ă la promotion des vins effervescents, avec ou sans alcool. Pour autant, "les attentes des nouvelles gĂ©nĂ©rations se portent vers le sans-alcool, particuliĂšrement sur les effervescents, pour lesquels on observe un phĂ©nomĂšne de 'premiumisation'", ajoute-t-il.Â
"En termes de proportion sur le marchĂ©, les vins dĂ©salcoolisĂ©s qui se vendent le plus sont les vents effervescents", complĂšte StĂ©phane BriĂšre, associĂ© et directeur gĂ©nĂ©ral de l'entreprise B&S Tech, qui accompagne des domaines vers le sans-alcool. "C'est un produit qui est plus accessible, trĂšs festif, qui correspond Ă l'idĂ©e du sans-alcool de rester dans un moment de convivialitĂ© sans ĂȘtre exclu, donc toutes les occasions de fĂȘte et de cĂ©lĂ©bration vont appeler une proposition sans-alcool", ajoute-t-il.
Pour obtenir un vin sans alcool effervescent, la mĂ©thode est la mĂȘme que pour un vin dit "tranquille", que l'on va ensuite gazĂ©ifier. "La bulle permet de remplir un rĂŽle organoleptique, et en quelque sorte remplacer quelques attributs de l'alcool", dĂ©taille Serge BriĂšre. Cette Ă©tape est donc cruciale pour les effervescents sans alcool, en tĂ©moigne la prĂ©sence sur le stand Ă Vinitech de Lorenzo Italiano, chercheur Ă l'Institut d'Ćnologie de Geisenheim (Allemagne), venu prĂ©senter les avantages liĂ©s Ă l'utilisation du CO2 dans le remplacement de l'Ă©thanol.
Des caves 100 % sans alcool
Preuve d'une offre de plus en plus diversifiée, l'apparition de caves qui ne vendent pas une seule goutte d'alcool. à quelques pas de l'hÎtel de ville de Bordeaux, à l'entrée du centre commercial Saint-Christoly en pleins travaux de rénovation, un commerce flambant neuf : Belles Grappes, premiÚre cave dédiée au sans alcool, a ouvert il y a quelques semaines à peine. Pour Anne Kettaneh, propriétaire des lieux, l'objectif est d'offrir tout ce qui se trouve chez un caviste traditionnel : vins, biÚres mais aussi spiritueux. "Je voulais apporter ma pierre pour que demain l'on ait encore des viticulteurs, et préserver le vin comme patrimoine national et régional", assure celle qui a longtemps travailler dans le syndicalisme agricole, face à la lente déconsommation du vin, notamment par les plus jeunes.
Parfois, il y en a qui rentrent et qui me disent qu'ils sont dubitatifs, mais ils font la dĂ©marche d'entrer et d'entamer le dialogue.Â
Anne Kettaneh, caviste sans alcoolĂ franceinfo
"Il n'y a pas de client type. J'ai des gens de tous les Ăąges, des jeunes qui n'aiment pas spĂ©cialement l'alcool, mais qui ont envie de se faire plaisir, des jeunes femmes enceintes ou allaitantes, des gens plus ĂągĂ©s qui veulent faire attention Ă leur santĂ© sans forcĂ©ment renoncer Ă leur petit verre du soir", dĂ©crit Anne Kettaneh. ParticularitĂ© bordelaise, "les gens viennent trĂšs souvent pour le rouge, ce qui est le plus difficile Ă conseiller pour un caviste, car c'est celui qui s'Ă©loigne le plus du vin classique", assure la neo-caviste.Â
"La pĂ©riode des fĂȘtes est trĂšs propice Ă commencer le vin sans alcool, par exemple en commençant par un pĂ©tillant sans alcool ou en terminant au dessert par un sans alcool pour Ă©viter les mĂ©langes", assure Kettaneh. L'occasion de franchir le pas pour ceux qui voudront ensuite tente le Dry January.Â
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
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